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CHAPITRE 2. LA MÉTHODOLOGIE: Une recherche collaborative

2.3 Le scénario d’enquête en deux temps

2.3.1 Des entretiens individuels

Suivant Kvale et Brinkmann (2009), un des buts de l’entretien en recherche qualitative est de comprendre le monde à partir du point de vue des acteurs concernés et de relever le sens qu’ils accordent à leur expérience. L’entretien semi-dirigé semble plus intéressant en regard de la posture endossée dans cette recherche, suivant la définition qu’en donne Savoie-Zajc (1997) :

[...] une interaction verbale animée de façon souple par le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le flux de l’entrevue dans le but d’aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux sur lesquels il souhaite entendre le répondant, permettant ainsi de dégager une compréhension riche du phénomène à l’étude. (p.265)

En d’autres mots, contrairement au questionnaire fermé, l’entretien semi-dirigé donnerait la possibilité d’approfondir, avec la personne interviewée, divers éléments de sa pensée et de sa pratique. Il mise sur un canevas non rigide, cette flexibilité permettant de faire émerger des savoirs dont la personne interviewée n’a pas toujours conscience. J’ai ainsi conduit avec chacun des 5 enseignants formés à l’étranger deux (2) entretiens individuels semi-dirigés, d’une durée approximative de 90 min. Compte tenu des objectifs visés, ces entretiens sont de deux types: un entretien biographique, tel qu’envisagé par Demazière (2011), et un entretien d’explicitation reposant sur certaines des techniques de Vermersch (1994).

Un entretien biographique portant sur les pratiques d’évaluation dans le pays d’origine. Suivant

Demazière (2008, 2011), l’entretien biographique trouverait ses racines dans la Tradition sociologique de Chicago, celle développée au tournant des années 1920-1930. Théoriquement, ce dispositif de production de récit biographique au travers de l’entretien de recherche s’inscrit plus largement dans la saisie de l’expérience d’individus engagés dans une activité sociale et la compréhension des « significations qu’ils y investissent » (Demazière, 2011, p.63). Sur un plan méthodologique, ce dispositif d’enquête s’organise suivant deux séquences : (1) inciter les individus interviewés à raconter la manière dont ils ont vécu une situation donnée en mettant l’accent sur le déroulement des évènements qui l’ont ponctuée, la sollicitation se faisant à partir d’une consigne ouverte et large, telle que « Pouvez-vous me raconter comment vous vivez le fait

de ..., comment cela se passe, comment vous voyez les choses? »; (2) explorer de façon précise les

acteurs impliqués et jugés significatifs, la sollicitation se faisant à partir de questions telles que « Vous avez parlé de ... Est-ce qu’on peut revenir sur ce qui s’est passé, me raconter cette

situation que vous avez vécue? » (p.67). Ce type d’entretien a permis d’appréhender les

interactions qui ont été déterminantes dans la construction de l’expérience des enseignants formés à l’étranger. Les thèmes relatifs au choix et à la formation au métier d’enseignant, aux évènements marquants de la carrière, sont abordés lors de ce premier entretien. Les données de ce premier entretien ayant été collectées, j’ai accordé, dans l’exploitation, une attention particulière aux manières de faire l’évaluation, notamment leur nature, leur fréquence, leurs objectifs, le sens qui leur est accordé, leur impact sur la carrière des élèves et la leur, leur valeur sociale et l’image du type d’enseignant qu’elles véhiculent dans le pays d’origine. Ce premier entretien a permis d’élaborer les manières d’évaluer routinières de chacun des enseignants dans leurs pays d’origine, avant d’arriver au Québec.

Un entretien d’explicitation portant sur les expériences marquantes de l’évaluation des apprentissages des élèves au Québec. L’entretien d’explicitation constitue pour Vermersch

(1994) toute une théorie qui a trouvé des domaines d’application en analyse des pratiques professionnelles – en pédagogie par exemple – en tant qu’aide à la mise en évidence des démarches suivies au cours d’un processus d’apprentissage. Il permettrait de procéder à un retour sur une action effectuée antérieurement dans le but de l’analyser plus finement en se la remémorant en détails. Il exige du chercheur de guider la personne interviewée et de la soutenir afin qu’elle puisse exprimer de façon verbale l’enchaînement des différents actes constitutifs de son action. Cette explicitation aiderait la personne interviewée à s’auto-informer et à apprendre de sa pratique, une potentialité intéressante dans la perspective d’une recherche qualitative collaborative. Sans retenir toute la conceptualisation de l’auteur, je me suis servi de certaines de ses techniques de relance, suivant quatre fonctions de l’entretien : initialiser, focaliser, élucider, réguler22. Ces techniques de relance ont permis de revenir avec les enseignants formés à l’étranger sur des situations d’évaluation qui auraient été, pour eux, des catalyseurs d’apprentissages significatifs dans leur processus d’intégration socioprofessionnelle. Dans ce deuxième entretien individuel, qui visait à comprendre comment les enseignants formés à

22 Vermersch (1994) conceptualise quatre fonctions essentielles des relances dans l’entretien d’explicitation. La

première, initialiser le dialogue, permet d’instaurer la communication. La deuxième, focaliser l’échange, permet de s’arrêter sur un point spécifique s’il n’a pas été déterminé auparavant. La troisième, élucider le moment choisi, permet de faire une description détaillée de l’action. La quatrième, réguler l’échange, permet au chercheur de soutenir la personne interviewée dans son effort de verbalisation.

l’étranger ont ajusté leurs pratiques d’évaluation des apprentissages au Québec, une place importante a été accordée à la description de cas exemplaires de situations d’évaluation significatives pour eux, c’est-à-dire riches en apprentissages. Cet entretien a permis également à chacun des enseignants formés à l’étranger de dégager un cas exemplaire (représentatif) à co- analyser avec le groupe éventuellement, lors des entretiens collectifs.

La trame de ces deux types entretiens individuels prend, dans la présente recherche, le format de deux guides d’entretien (cf. Annexe 1 et Annexe 2) élaborés en m’inspirant des canevas de la recherche conduite auprès des enseignants formés à l’étranger par Morrissette et Demazière. Certaines des questions explorent l’expertise en évaluation que le praticien a développé au fil du temps avant immigration (cf. Annexe 1), d’autres portent plus directement sur l’expérience d’évaluation au Québec (cf. Annexe 2). Ces questions sont ouvertes, ce qui m’a permis de m’ajuster en situation avec les enseignants, de faire évoluer le canevas entre les deux entretiens individuels.

Également, en tenant compte d’expériences personnelles vécues dans une précédente recherche et qui m’amènent à penser que c’est lorsque les enregistreuses sont fermées que l’on entend des propos qui auraient pu être très significatifs au regard des objectifs poursuivis, un questionnement d’opportunité a été posé à la suite de propos spontanés d’un enseignant formé à l’étranger qui, dans une discussion informelle, a amené des anecdotes significatives de ses apprentissages de l’évaluation dans les écoles montréalaises. Ces anecdotes, issues de la « banlieue » de l’entretien, sont saisies pour explorer en profondeur leur potentiel dans la (re)construction du savoir-évaluer, avec toujours le consentement des enseignants formés à l’étranger.

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