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CHAPITRE 2. LA MÉTHODOLOGIE: Une recherche collaborative

2.2 Les participants à la recherche : le choix d’un groupe optimal

Pour investiguer la (re)construction du savoir-évaluer en contexte d’intégration socioprofessionnelle, j’ai recruté des enseignants formés à l’étranger du secondaire, considérés par leurs expériences personnelles comme les mieux placés pour en rendre compte (Morrissette, 2011; Poupart, 1997). Concernant la taille du groupe, j’ai ciblé un « groupe optimal » de 5 enseignants. Suivant St-Arnaud (2008), la taille d’un groupe est difficile à déterminer en nombre absolu, surtout s’il est constitué aux fins d’une recherche. Cet auteur suggère de préconiser un « groupe optimal », c’est-à-dire un groupe limité à trois membres ou plus, « réunis en situation de face-à-face dans la recherche, la définition ou la poursuite de cibles communes » (St-Arnaud, 2008, p.7). Dans le domaine de la recherche, le groupe optimal serait privilégié pour favoriser une compréhension approfondie d’un phénomène par le biais de l’interaction des membres autour d’une thématique commune (i.e. : la cible), et l’interaction des membres entre eux.

Pour aider à limiter le nombre de membres du groupe – 20 étant le maximum à ne pas dépasser –, l’auteur (St-Arnaud, 2008) conseille de prendre en considération la nature des thématiques qu’on souhaite aborder, le temps dont le groupe dispose pour atteindre les buts visés et le rythme d’augmentation des liens interpersonnels en fonction du nombre de membres qui composent le groupe. En prenant en considération ces observations et pour donner du temps à l’explicitation des expériences vécues, j’ai retenu un « groupe optimal » de 5 enseignants formés à l’étranger pour co-analyser la reconstruction de leur savoir-évaluer dans le cadre de séances de travail qui ont duré environ 180 minutes chacune.

2.2.1 Les critères de sélection des EFE participants à la recherche

Le choix des enseignants formés à l’étranger participants à ma recherche repose sur cinq critères de sélection principalement :

(1) Les participants doivent avoir été formés comme enseignant à l’extérieur du Québec et ou du Canada.

(2) Les participants doivent être volontaires, c’est-à-dire démontrer un intérêt à s’engager dans une recherche/formation sur leurs pratiques d’évaluation en classe avec les élèves, et cela, dans une perspective de compréhension des processus de (re)construction de leurs savoirs d’expérience. Ce critère renvoie à l’intérêt du participant au plan de son développement professionnel.

(3) Les participants peuvent avoir complétés ou non les 15 crédits de cours exigés par le MELS pour l’obtention des autorisations d’enseigner, le brevet notamment. Cependant, ils ne doivent pas avoir repris la totalité de leur formation à l’enseignement au Québec, c’est-à-dire avoir suivi tous les cours d’un programme de baccalauréat à l’enseignement dans les universités québécoises. (4) Les participants doivent avoir une expérience antérieure en enseignement dans leurs pays

d’origine ou avant leur immigration d’au moins 2 ans. Cette expérience antérieure est importante pour parler de (re)construction : 2 années serait suffisantes pour que commencent à se stabiliser certaines manières d’évaluer.

(5) Les participants doivent être à contrat ou en poste et avoir moins de 6 ans d’expérience d’enseignement (suppléances, contrat, poste) au Québec, car c’est la période de 5 ans qui est habituellement désignée comme celle de l’intégration professionnelle (Lacourse, Martineau, Nault, 2011).

Les cinq enseignants formés à l’étranger qui ont participé à ma recherche répondent bien à ces cinq critères de sélection. En ce qui concerne les procédures de recrutement, j’ai profité de contacts déjà établis dans le cadre d’une recherche qui était en cours (Morrissette & Demazière, CRSH 2015-2017) avec l’une des trois commissions scolaires situées sur l’île de Montréal; le Service des ressources humaines ayant constitué aussi une entrée privilégiée pour identifier et mobiliser des personnes qui correspondent à ces critères. Aussi, deux des quatre enseignantes qui ont participé à la recherche de Morrissette et Demazière (CRSH 2015-2017) ont facilité le recrutement d’un cinquième participant que je nomme Békir. Cet enseignant, qu’elles connaissaient personnellement, a vécu des expériences qui leur semblaient très fécondes pour la présente recherche.

2.2.2 Le profil des participants à la recherche

Je l’ai annoncé, c’est un groupe constitué de 5 enseignants formés à l’étranger qui a participé à ma recherche. Dans cette section, je présente les données sociodémographiques de chacun d’entre eux puis un état de leur savoir-évaluer à leur arrivée au Québec. Le Tableau 1 ci- dessous présente les données factuelles sur les enseignants formés à l’étranger qui ont volontairement collaboré à ma recherche. Par la suite, je propose quelques lignes biographiques dans lesquelles les enseignants formés à l’étranger font eux-mêmes le point sur leur compétence à évaluer lorsqu’ils arrivent au Québec.

Tableau 1 : Le profil des enseignants formés à l’étranger-collaborateurs Noms fictifs Genre Pays d’origine Diplôme Spécialité en formation initiale Expérience en Enseignement Situation emploi en 2016 Pays d’origine Québec en 2016

Békir H Maroc Maitrise Mathématiques 15 ans 04 ans Contrat 100% Fatima F Tunisie Maitrise Sciences

naturelles

16 ans 03 ans Contrat 75% Nabila F Algérie Licence

(Bac)

Français Langue seconde

02 ans 03 ans Contrat 100% Sadia F Algérie Licence

(Bac)

Mathématiques 13 ans 04 ans Contrat 100% Vika F Moldavie Licence

(Bac)

Anglais Langue étrangère

03 ans 04 ans Contrat 100%

Lors de l’entretien individuel d’explicitation tenu avec chacun des 5 enseignants formés à l’étranger, je leur ai posé la question de savoir comment il appréciait son savoir-faire en matière d’évaluation à son arrivée au Québec. Leurs réponses permettent de situer la manière dont ils définissent leur compétence relative à la pratique de l’évaluation des apprentissages avant migration et les premières remises en cause au Québec. Je les présente successivement :

Békir dans mon pays, j’avais déjà une belle expérience en enseignement; [...] au Maroc, je participais à toutes les évaluations des apprentissages pour les examens qui concernaient mon domaine, [...] les maths; [...] je pouvais dire que je savais évaluer; ça ne m’est d’ailleurs jamais arrivé que je m’interroge sur ma façon d’évaluer mes élèves; [...] mes premières expériences au Québec m’ont prouvé le contraire; ce qui m’a beaucoup déstabilisé;

Fatima j’avais une expérience solide et une bonne connaissance de ma matière; donc je n’avais aucun problème à évaluer les apprentissages de mes élèves, du moins dans mon pays; en Tunisie, mes élèves pouvaient dire que j’étais sévère en évaluation; [...] j’enseignais les sciences naturelles; ils pouvaient dire que j’étais exigeante pour la maîtrise des connaissances, mais pas que je ne savais pas évaluer; quand j’arrivais ici, pour moi l’évaluation c’est déjà un acquis; [...] c’est ce que je croyais, même en commençant le cours évaluation des apprentissages; dans ce cours, j’ai commencé à voir que l’évaluation est domaine large; que ce n’est pas seulement proposer un test puis le corriger; mais ça implique beaucoup d’autres choses; [...] par exemple la différenciation; donc, j’ai commencé à avoir des doutes sur mes compétences;

Nabila c’est vrai que je n’ai pas beaucoup enseigné en Algérie, avant de venir ici; [...] disons deux ans et quelques sept à huit mois; mais l’évaluation des apprentissages, ce n’était vraiment pas un objet de préoccupation pour moi; [...] je veux dire que c’est quelque chose que je maitrisais parce que c’est liée à la maîtrise de ma matière, [...] le français; [...] aussi, je peux dire que mon expérience en tant que élève et ma formation à l’université, tout ça m’a préparé à faire de bonnes évaluations; [...] mes pratiques d’évaluation étaient cohérentes avec ce que font tous mes collègues; [...] c’est ici, que j’ai commencé à me poser des questions sur comment je vais

évaluer, [...] parce que ma première classe ici, c’étaient des élèves avec des troubles, un handicap; c’était la première fois que je voyais ça dans une école; donc je ne savais pas comment faire, surtout comment je vais les évaluer; [...] après aussi, j’ai eu d’autres problèmes avec mes autres élèves concernant l’évaluation; [...] donc là je commence à douter de mes compétences; on se remet en cause;

Sadia l’évaluation des apprentissages, pour moi c’était déjà un acquis ; en Algérie, j’avais la chance même de corriger les examens du baccalauréat pour l’entrée des élèves à l’université; je participais régulièrement à la correction de ces examens, pour la discipline mathématiques; [...] ce n’est pas tout le monde qui y participait; [...] en général, on choisit les meilleurs enseignants pour corriger au Bac; [...] donc quand je suis arrivée ici [au Québec], je ne peux pas dire que je ne savais pas évaluer des apprentissages ; pour moi, j’allais apprendre autre chose, mais pas l’évaluation; [...] là je commence à enseigner et je vois que beaucoup de choses sont différentes sur la manière d’évaluer; ici on a des situations problèmes, on utilise des critères pour évaluer; on a différentes grilles; tout ça est différent de ce que je savais;

Vika à mon arrivée ici, je pensais que l’évaluation c’est déjà maitrisée; j’avais enseigné quelques années dans mon pays comme prof d’anglais; j’ai même enseigné à l’université; j’avais une bonne maîtrise de ma matière; [...] donc pour moi, l’évaluation ce n’est pas un problème; si on me donne des copies avec un barème, je peux faire la correction; [...] donc avant que quitte la Moldavie, pour moi, je ne peux pas m’imaginer me dire que j’ai des difficultés pour ce qui est de l’évaluation des apprentissages des élèves; ça c’est vraiment un acquis; [...] ici, j’ai vu que tout est remis en cause sur ce que je connaissais de l’évaluation des apprentissages; [...] c’est comme si tout revient à zéro; j’avais l’impression que je ne savais plus rien faire; c’est ça qui était déstabilisant pour moi;

Ces réponses reflètent que les enseignants formés à l’étranger se reconnaissent une maîtrise de la pratique de l’évaluation, dans le contexte de leurs pays d’origine. Cette certitude qu’ils avaient par rapport à leur maîtrise de l’évaluation est remise en question dès leurs premières expériences dans les écoles montréalaises.

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