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1.2 LE CADRE THEORIQUE: Une théorie de la reconstruction du savoir d’expérience Comme je l’ai fait valoir, ma recherche repose sur l’hypothèse selon laquelle l’expérience

1.2.2 Le (socio)constructivisme pour éclairer la reconstruction [du savoir d’expérience] Cette seconde partie du cadre théorique puise au (socio)constructivisme une perspective

1.2.2.3 Le (socio)constructivisme : l’apprentissage de savoirs pratiques négociés dans et par l’interaction

Le (socio)constructivisme renvoie à une théorie de l’apprentissage enracinée dans la sociabilité humaine, considérant que l’individu coconstruit ses savoirs pratiques en les négociant dans l’interaction avec les autres (Fourez, 2003 ; Legendre, 2007, 2008). La négociation s’entend ici dans le sens de se coordonner et de s’ajuster avec les autres ou encore d’adapter ses stratégies d’action dans l’interaction pour que les choses se passent relativement harmonieusement, « rondement » dirait Becker (1986), une nécessité de la vie en société. Comme on le verra, l’interaction sociale occuperait une place centrale dans l’actualisation des savoirs des individus, c’est-à-dire le renouvellement de leurs ressources cognitives et leur appropriation de significations sociales négociées telles des conventions ou compréhensions partagées19.

19 Ce sont là les concepts privilégiés par Howard S. Becker pour éviter de parler de « normes sociales », un concept

qui renvoie à des règles au lieu d’accords entre acteurs (Dans Peretz, Pilmis & Vezinat, 2015). La vie en société: une improvisation. Entretien avec Howard Becker. La vie des idées.fr, 7 p. [En ligne] http://www.laviedesidees.fr/La-vie- en-societe-une-improvisation.html

S’il n’existe pas un seul constructivisme, il en va de même pour le socioconstructivisme. Trois grandes approches complémentaires se distinguent, mettant à l’avant-scène l’importance des interactions sociales dans la construction des savoirs pratiques : (1) l’approche des conflits sociocognitifs, selon laquelle les désaccords entre les partenaires favoriseraient la restructuration cognitive ; (2) l’approche de la « zone proximale de développement » de Vygotski (1934/1985), qui suggère que les individus apprennent en coopérant et en se coordonnant au travers de modalités d’interactions sans conflit ; (3) l’approche des communautés de pratique de Wenger (2005/2009) relevant que l’apprentissage est enchâssé dans un processus d’engagement mutuel d’individus participant et négociant le sens de leur activité professionnelle au travers de leurs interactions.

L’approche des conflits sociocognitifs. Issue des travaux de Piaget concernant la genèse du

développement cognitif de l’enfant, cette approche fait valoir le potentiel de la confrontation des points de vue dans l’évolution des savoirs des individus.Le concept de « conflit sociocognitif » traduit un processus d’interactions sociales au travers duquel un individu ressort « ébranlé » de l’incompatibilité des représentations ou constructions qu’il a développées préalablement avec celles des autres. Plusieurs auteurs, dont Daele (2004 ; voir aussi Legendre, 2007) soulignent l’intérêt du conflit sociocognitif pour l’apprentissage :

une personne est « en conflit sociocognitif » lorsque ses conceptions et ses structures cognitives sont confrontées à des informations perturbantes, incompatibles avec son système de connaissances préalables. La perturbation cognitive qui en découle va engager la personne dans la recherche d’un nouvel équilibre cognitif qui tiendra compte des informations perturbantes (Daele, 2004, p.55).

L’apprentissage se comprend ici en termes d’ajustements, c’est-à-dire d’une recherche d’équilibre cognitif provoquée par la confrontation entre des solutions divergentes et des doutes ayant induit un déséquilibre (Joshua & Dupin, 2004) ; au cours de ce processus, l’individu remettrait en question ses représentations, les ajusterait, voire s’approprierait de nouveaux savoirs lui permettant de se coordonner avec les autres. Les « conflits sociocognitifs » favoriseraient donc l’apprentissage.

L’approche des communautés de pratiques. L’approche des communautés de pratique de Wenger

(2005/2009) est une théorie d’inspiration (socio)constructiviste qui met en exergue que l’individu construit ses savoir en s’intégrant à un groupe. Cette théorie suggère ainsi le caractère intégré et distribué du savoir dans la vie d’un groupe professionnel. Pour l’auteur, qui considère la pratique dans ses dimensions à la fois historique et sociale et qui la traite telle une question de participation, l’apprentissage est un acte d’appartenance qui exige de l’engagement et s’appuie sur des processus de socialisation. Plus précisément, la participation en tant que membre à part entière est fonction de l’acquisition progressive du savoir tacite et des règles du groupe professionnel. La participation au sein d’une communauté traduirait ainsi un processus social d’engagement mutuel, c’est-à-dire le partage de savoirs par des acteurs qui négocient le sens de leur activité au travers de leurs interactions. Source d’apprentissage collectif et de structure sociale, ces négociations prendraient appui autant sur les conventions et les relations implicites, que sur les représentations du monde des acteurs. Wenger suggère que les membres d’un groupe professionnel partagent ainsi des savoirs sous la forme d’informations et de conventions, savoirs qu’ils acquièrent dans des processus de participation20 et de négociation de sens autour de la pratique. Il fait valoir aussi que les acteurs ne négocient pas seulement leur activité; ils négocient aussi le lien qui les unit et les fait agir tant individuellement que collectivement. En résumé, la participation et la négociation détermineraient le passage des acteurs d’une position de membre périphérique à une position membre à part entière dans le processus d’insertion professionnelle.

Ce type de (socio)constructivisme suggère une conception de l’apprentissage comme une activité socialement réglée, l’interaction avec autrui y apparaissant comme une source d’optimisation des savoirs. Cet éclairage est intéressant pour cette thèse, mais il comporte aussi quelques limites, entre autres celle de laisser dans l’ombre la part des institutions et agents socioculturels dans le développement de l’individu; il manque ainsi d’une perspective critique, notamment lorsque les relations au sein d’un groupe social sont perturbées (Ivic, 1994/2000). De fait, l’idée de conflits sociocognitifs est très étroite par rapport aux conflits sociaux qui embrassent des réalités plus larges et qui affectent l’évolution de chacun. Également, il est peu vraisemblable que chacun acquiert tous les savoirs utiles à l’organisation de son activité

20 Wenger parle de processus de participation en périphérie de la pratique. Il est important de relever que les

[professionnelle] uniquement sur un mode (socio)constructiviste, entre autres parce que la coopération qu’il suppose avec autrui, source d’apprentissages, ne va pas toujours de soi puisque tous ne partagent pas nécessairement le même but, ne s’engagent pas nécessairement dans un projet commun, etc. Ainsi, toutes les interactions ne sont pas nécessairement constructives de savoirs. Enfin, une autre critique souvent adressée au (socio)constructivisme concerne le peu de considération du facteur affectif, généralement minoré, et qui pourtant interviendrait de façon significative dans les interactions, surtout lorsque celles-ci portent sur des rapports conflictuelles (Lafortune & Doudin, 2004).

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