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CHAPITRE 2. LA MÉTHODOLOGIE: Une recherche collaborative

2.3 Le scénario d’enquête en deux temps

2.2.3 Les entretiens de groupe

Le choix de l’approche collaborative suggère de retenir l’entretien de groupe comme dispositif pour susciter des données, car il constitue un premier choix pour coconstruire et comprendre le sens que les participants accordent à leurs pratiques, pour stimuler leur réflexion, au travers des dynamiques interactives qui permettent d’entrer dans leur complexité. Deslauriers (1991) l’évoque ici:

le groupe permet aux personnes de réfléchir, de se rappeler des choses oubliées qui ne seraient pas remontées autrement à la mémoire ; le groupe agit comme auto- correcteur en permettant à la personne de modifier son jugement et de donner une opinion plus nuancée ; le groupe peut recréer une sorte de microcosme social où le chercheur peut identifier les valeurs, les comportements, les symboles des participants. (p.38-39)

Les chercheurs qui ont utilisé l’entretien de groupe dans le cadre d’une recherche collaborative – par exemple Diédhiou (2014), Larouche (2000), Morrissette (2011) –, ont mis en relief comment cette modalité permet de faire émerger « des dimensions imprévues relatives à l’objet d’étude » (Morrissette, 2011, p.13). Par exemple, dans la recherche que j’ai conduite à la maîtrise (2014) auprès de 14 enseignants de français sénégalais pratiquant l’évaluation formative en classes pléthoriques au lycée, l’entretien de groupe a donné l’occasion de faire émerger la dimension « d’étrangeté culturelle » (Douville, 2002) qui façonne leurs façons de faire, c’est-à- dire les contradictions fortes entre les valorisations culturelles de leur contexte d’enseignement et les injonctions politiques et administratives qui touchent leur travail.

Aussi, l’entretien de groupe favoriserait une construction conjointe du sens dans un espace partagé d’intersubjectivité et dans lequel les acteurs coopèrent tout en s’influençant mutuellement, comme l’évoque ici Morrissette (2011):

[...] choisir l’entretien de groupe, c’est aussi faire le pari de la fécondité du métissage des points de vue pour explorer l’objet d’étude, les interactions permettant aux acteurs de soumettre à la médiation de l’Autre le sens construit autour de leur expérience, afin de favoriser l’émergence d’une pluralité de perspectives. (p.12)

Dans le cadre de ma recherche doctorale, les entretiens de groupe 6 et 7 – les 5 premiers ayant été réalisés dans le cadre de la recherche de Morrissette et Demazière – sont l’occasion de co-analyser des cas « exemplaires » (Desgagné, 2005) de situations d’évaluation, c’est-à-dire jugés représentatifs de la pratique des enseignants formés à l’étranger. Dans le but de saisir les apprentissages négociés et légitimés au travers de l’interaction avec leurs différents partenaires scolaires, les enseignants ont été aussi invités à évoquer des situations problématiques ou critiques relatifs à leur pratique d’évaluation et décrire les péripéties de la manière dont ils ont opéré pour se tirer d’affaire; la co-analyse (Vinatier, 2011) de ces situations a permis d’identifier les enjeux ou tensions au cœur des interactions qui ont jalonné leur parcours d’apprentissage. Une

telle exploitation est d’intérêt pour la formation et la recherche, telle que souhaitée dans la recherche collaborative. Elle a permis aux enseignants formés à l’étranger d’apprendre des expériences des uns et des autres concernant la reconstruction de leurs manières d’évaluer et surtout les personnes qui y ont joué un rôle prépondérant.

L’utilisation de la co-analyse comme processus de cueillette de données

Comme souligné, c’est à partir du cadrage de l’entretien de groupe que j’ai mis en place une démarche de co-analyse avec les 5 enseignants formés à l’étranger. Dans la présente recherche, la co-analyse est mobilisée en tant que processus de cueillette de données par analyse et croisement d’expériences singulières, des cas exemplaires vécus par les enseignants formés à l’étranger. Plus concrètement, au cours de l’entretien de groupe, la co-analyse se déplie en trois phases: a) la verbalisation du cas exemplaire; b) la thématisation ou ciblage du problème; c) la focalisation sur le problème. Je présente les trois temps du schéma itératif du processus de co- analyse que je conceptualise à partir de la façon dont je l’ai mobilisé dans ma recherche.

(1) Verbalisation. Cette phase correspond au moment où l’enseignant formé à l’étranger raconte au groupe le cas exemplaire qu’il a retenu à la suite de l’entretien d’explicitation tenue avec lui. La verbalisation de l’expérience est sollicitée à partir de la demande la suivante : Racontez-nous le cas exemplaire représentatif de l’adaptation de vos manières

d’évaluer en contexte montréalais, que vous avez souhaité partager au groupe. Pour

faciliter la verbalisation, j’ai utilisé des questions de relance comme : Qui sont les acteurs

impliqués? Quels ajustements avez-vous apporté en raison du contexte du milieu d’accueil? etc.

(2) Thématisation ou ciblage. Cette phase correspond au moment où le groupe et le chercheur dégagent le ou les problèmes au cœur du cas exemplaire raconté. La question qui servait de déclencher à la réflexion est la suivante : Quel problème se pose dans

l’expérience que nous venons d’écouter?

(3) Focalisation23. Cette phase correspond au moment où le chercheur relance le groupe au sujet du problème soulevé par le cas exemplaire à l’étude. J’ai utilisé les questions suivantes : Comment le problème identifié dans le cas exemplaire vous interpelle

relativement à votre expérience dans votre pays d’origine et au Québec? Qu’est-ce qui fait l’exemplarité du cas que nous venons d’entendre en regard de votre expérience de l’évaluation dans les écoles montréalaises? Cette question de relance permet de recueillir

les analyses comparées et d’amener chacun des enseignants formés à l’étranger à parler de son expérience sur le problème. Je fais préciser la manière dont le problème est vécu et conçu dans les deux contextes de travail, au Québec et dans le pays d’origine. Lors de la phase de focalisation, je me suis surtout servi de l’une des ficelles méthodologiques de Becker (2013), pour amener les enseignants formés à l’étranger à établir des comparaisons entre des cas liés à leurs pratiques dans leurs pays d’origine et des cas liés à leurs pratiques dans les écoles montréalaises. Selon l’auteur, la comparaison de cas arrimés à des contextes précis permet d’appréhender la complexité des phénomènes, la pluralité des processus qui les produisent, ainsi que les différentes variations de ces processus. J’ai privilégié la comparaison des manières d’évaluer dans le pays d’origine et au Québec. Cette comparaison a permis de faire émerger de nouvelles questions et dimensions à investiguer. J’ai essayé de partir des différences ou des écarts pour d’approfondir le questionnement sur les manières d’évaluer en question.

Un guide de discussion a été préparé (cf. Annexe 3), tenant compte de l’objectif de la recherche. Il comporte les questions générales qui orientent le travail de co-analyse des pratiques d’évaluation, principalement à l’étape de Coopération de la démarche de recherche collaborative. Ces questions soutiennent l’interprétation des cas exemplaires racontés pour faire ressortir ce qui fait leur exemplarité en regard de l’expérience d’évaluation des apprentissages des enseignants formés à l’étranger dans les écoles montréalaises. Elles permettent également de dégager les enjeux et tensions au cœur des cas problématiques racontés et des personnes concernées. Ces questions, qui se raffinent selon le cas exemplaire en question et les interactions en groupe, ont

23 La focalisation a permis la triangulation des informations par le croisement des points de vue et des expériences

permis aux enseignants formés à l’étranger de faire le lien comparatif entre leurs différentes expériences de l’évaluation des apprentissages des élèves vécues dans leurs pays d’origine et celles vécues au sein des écoles montréalaises. Au dernier entretien de groupe – la phase de Coproduction –, j’ai proposé aux enseignants formés à l’étranger un schéma intégrateur (cf. Annexe 4) qui conceptualise les processus de (re)construction de leurs pratiques d’évaluation en comparant les pratiques dans le pays d’origine à celles en vigueur au Québec et sur lequel ils sont invités à réagir. Ils ont ainsi pu vérifier, confirmer et valider les interprétations dont il témoigne, en y apportant des corrections, en y injectant de nouvelles informations et en approfondissant certains questionnements, entre autres.

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