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1.1.2 L’École québécoise : un nouveau contexte de travail à apprivoiser

1.1.2.2 La contrainte d’obligation de résultats

Une courte perspective historique suffit pour comprendre qu’au Québec, les pressions du contexte de crises des finances, intervenues autour des années 1970 – 1980, ont favorisé l’instauration d’un nouveau mode de gestion managériale dans la sphère du service public. Cette Nouvelle gestion publique (NGP) a entraîné une obligation de résultats dans divers domaines d’intervention qui impliquent des coûts humains et des retombés à long terme (Demazière, Lessard & Morrissette, 2013; Legendre & Morrissette, 2014). Dans le domaine de l’éducation, l’obligation de résultats serait influencée par le paradigme de « l’école efficace » (School

effectivness, Coleman & al., 1966) et exercerait une forte pression sociale en faveur d’un système

éducatif performant. Portée par une idéologie politique qui vise la rentabilité du système éducatif, l’obligation de résultats conduirait à formaliser des normes et procédures conventionnées pour faciliter la prise de décision et la régulation du système éducatif. Dans les écoles par exemple, cette obligation de résultats se diffuse au travers de l’évaluation des enseignants à partir des compétences définies par l’employeur et l’accentuation de la pression en faveur de l’évaluation axée sur les résultats à obtenir (Dempster, 2002; Lessard, 2014). Cette nouvelle donne n’affecte pas spécifiquement les enseignants formés à l’étranger, mais participe du contexte général dans lequel ils s’insèrent.

L’évaluation deviendrait ainsi une pratique institutionnalisée (Lessard, 2014) qui serait la pierre angulaire de la visée d’efficacité collective dans l’amélioration des rendements scolaires avec l’implication de tous les acteurs (i.e. : direction, enseignants, parents, élèves, etc.) et l’importance de la contribution de l’action de chaque enseignant à la réussite de ses élèves. Pour les enseignants, cette situation se traduirait par l’augmentation de la pression à accentuer les pratiques d’évaluation des apprentissages des élèves et par l’accroissement de la tension entre la fonction de sanction de l’évaluation et la fonction de soutien de l’évaluation. Ces exigences en lien avec les normes et valorisations du contexte scolaire québécois posent des défis particuliers aux enseignants formés à l’étranger; j’y reviens plus loin (cf. section 1.2.2).

Cet état de situation serait d’ailleurs accentué par le retour en force au Québec des notes chiffrées depuis 2008 puis en 2011 avec le bulletin unique. D’ailleurs, plusieurs auteurs (par exemple Lessard, 2004) dénoncent les dérives (i.e. : la culture du testing), notamment le risque d’assujettir l’enseignement à l’évaluation (Teach to the test) et l’apprentissage pour l’évaluation

(Learn for the test). Nous savons qu’au Québec, les États généraux de 1995-1996 ont conduit à un changement des référents théoriques de l’apprentissage et des pratiques pédagogiques qui en découlent (Morrissette & Legendre, 2011). Cette évolution requiert une rupture avec la transmission de savoirs décontextualisés, pour accorder une priorité au réinvestissement des savoirs dans des situations-problèmes complexes. Ce changement nécessite aussi que l’évaluation soit intégrée à l’apprentissage pour favoriser la réussite du plus grand nombre (et non la sélection, une visée plus familière aux enseignants formés à l’étranger)8. La mise en œuvre du curriculum axé sur les compétences à développer exige une liberté d’action et d’initiative pour l’enseignant qui ne peut cadrer avec une conception techniciste, applicationniste (Morrissette & Legendre, 2011). En d’autres mots, comment articuler l’obligation de réduire les apprentissages à une note chiffrée alors que les compétences mettent en œuvre des ressources aux natures diverses qui ne peuvent s’inscrire dans une logique comptable, avec les exigences d’aide continue à l’apprentissage nécessaires au développement des compétences des élèves? Par souci d’efficacité, les enseignants ne peuvent uniquement appliquer des procédures pédagogiques axées sur la transmission de savoirs formalisés et faciles à évaluer. L’évaluation engendre une autonomie grandissante de l’enseignant en contexte de compétence; celui-ci doit utiliser aussi sa subjectivité dans son jugement (Romainville, 2011).

Il faut noter que, si l’obligation de résultats rejoint davantage les enseignants formés à l’étranger en raison de sa logique comptable, ce n’est pas le cas pour l’exigence de s’approprier un curriculum par compétences. Il semble que cette dernière constituerait une contrainte plus importante. Par exemple, ils doivent travailler dans des situations authentiques, favoriser des situations d’apprentissages complexes et interactives, susciter la collaboration, entre autres. Ils ont aussi à s’approprier une nouvelle vision de l’apprentissage qui valorise le rôle de l’élève en tant que constructeur de son savoir, en même temps qu’ils doivent composer avec une injonction paradoxale liée à l’évaluation des apprentissages : mettre en œuvre une évaluation intégrée aux situations d’enseignement-apprentissage en tenant compte de la pression exercée envers une logique comptable, tel qu’en fait foi le retour aux pourcentages dans les bulletins d’élèves (depuis 2008). Si l’appropriation de la réforme de 2001 a été exigeante pour tous les enseignants, elle

8 Le Québec choisit ses immigrants et le partage de la langue française est souvent un critère prépondérant. Pour cette

raison, la majorité des immigrants provient d’Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Algérie), et dans ces pays, souvent sous l’influence du système français, l’évaluation a une fonction exclusive de sanction et de sélection.

l’est davantage pour eux : ils n’ont qu’une formation constituée de 5 cours pour se « mettre à niveau » – dont un cours sur l’évaluation –, alors que leurs collègues formés au Québec ont, en plus d’une formation de 4 années, des stages en milieu de pratique9.

En somme, ces enseignants se trouveraient donc à devoir composer avec une « injonction paradoxale » (Legendre & Morrissette, 2014), soit à conjuguer une obligation de résultats qui pousse à rendre des notes chiffrées à une évaluation formative continue des apprentissages requise par l’approche par compétences, une situation jamais connue avant qui présente des défis quotidiens au plus près de leurs pratiques.

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