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DEUXIÈME CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL

2.1 L’apport de la poïétique et la capacité se dépasser

2.1.3 Le travail de la création et la production artistique

La poïétique met en rapport les concepts de création, de travail et de production. Dans cette perspective, sont considérés les auteurs qui s’intéressent à la création et son évolution dans le temps sous d’autres termes, comme le travail et la production, et qui selon nous, interpelle plus concrètement l’objectivation du concept de démarche artistique.

Il est important de comprendre comment le terme travail s’inscrit dans le rapport avec la création. Souriau (1990) définit le travail comme une «activité consciente, organisée, ayant un certain caractère de tension et de sérieux, et dirigée vers l’obtention d’un résultat visé» (p. 1361). Il ajoute que «le travail qui intéresse l’esthétique est celui de l’artiste» (Ibid.). Il précise que le travail «sépare l’artiste professionnel de l’amateur. L’artiste entre ainsi dans sa fonction même d’artiste dans la vie sociale et économique d’une société» (Ibid., p. 1362). Pour Souriau (1939, In Passeron, 1989), «l’art est instauration et [l]’art est un certain travail entièrement mû par la vision soit imaginaire, soit perceptive de la chose déterminée qui doit sortir de ce travail. C’est là une attitude mentale toute spécifique de la création artistique» (p. 122). En ce sens, cet auteur démontre un intérêt particulier pour l’aboutissement “chosal” du travail de la production artistique.

Passeron (1989) positionne la notion de travail en se référant à la notion marxiste du “travail aliéné” et son rapprochement avec la civilisation industrielle. Il existe une forte opposition entre le travail de la création et le travail aliéné qui mène au concept de production. Les artistes n’échappent pas à l’aliénation de leur travail en lien avec la production imposée à l’ensemble de la société. L’art est ici accepté comme travail productif, et c’est dans ce contexte que Revault d’Allonnes (1973) fut un des premiers à réfléchir sur les rapports de la création avec la production. Dans cette perspective, il est intéressant de connaître les modalités du travail de la création et les phases qui le distinguent des autres formes de travail dans notre société.

Revault d’Allonnes (1973), le premier à avoir officialisé les rapports entre création et production, critique la position prise face au concept de création et tente d’inscrire cette

activité humaine dans la réalité sociale. Selon cet auteur, trois attitudes gouvernent notre compréhension de la création:

 L’une consiste à adopter, globalement ou dans le détail, le

stéréotype classique de la création, et à produire un discours qui contribue à mieux connaître et à mieux situer l’activité créatrice afin de compléter sans cesse l’image de l’homme par l’étude de ses œuvres;

 L’autre attitude, toute opposée, consiste à refuser en bloc l’idée de

création et à s’interdire tout développement ou toute considération qui prêterait à l’homme quelque faculté créatrice;

 La troisième attitude face à la création est celle de confronter

implicitement les deux discours ou les deux séries de discours. Bref, la contradiction, sous ces formes empiriques qui sont le mélange, l’ambiguïté, la tension, le paradoxe, et parfois le conflit aigu, constitue le tissu même de la création artistique dans notre société, selon le statut qu’elle lui ménage ou lui assigne. (Ibid., p. 264)

Plus près de la réalité, Revault d’Allonnes (1973) indique que «pour créer, il faut à la fois du positif et du normatif; il faut que des éléments existent, et que se formule la volonté, le souhait, le désir, le projet qu’ils existent autrement» (p. 266). En ce sens, la création, «est décision et elle est choix» (Ibid., p. 267). Dans cette orientation, le

contraire de la création, c’est l’intégration ou l’adaptation: adaptation de l’œuvre à l’institution artistique; de l’individu à la société, au pouvoir, à l’histoire; adaptation des valeurs aux idéologies, et du travail de l’artiste aux lois de l’école ou du marché, au goût du jour; etc. Le contraire de la création, c’est l’acceptation. (Ibid., p. 268)

L’approche dialectique de la création «implique, de proche en proche celle de tous les concepts qui la situent ou la concernent» (Ibid., p. 270).

Dans cette voie, la production artistique entendue comme concept intégrateur, renvoie d’une part à la société industrielle sa référence à la production artisanale et ses lacunes, et en amont à sa référence, à l’art par l’artistique, valeur ajoutée à la production. L’approche dialectique, selon Revault d’Allonnes (1973), entre création, travail et production, montre fondamentalement sur le plan originel des tâches à accomplir, les différences dans le travail de la création et le travail industriel. Le travail de la création est avant tout «un mode

d’existence, une certaine façon de situer les choses et de se situer par rapport à elles» (Ibid., p. 284), pendant que le travail industriel s’inscrit dans une relation de reproduction de choses, où l’individu se doit d’exécuter une tâche. Cette réflexion entre le travail de la création et le travail industriel bouleverse totalement, selon Revault d’Allonnes (1973), jusqu’à «la relation entre l’art et la vie, entre l’art et ce qui n’est pas lui, car c’est d’abord dans sa “relation au système” qu’il faut réhabiliter la subjectivité» (Ibid.). C’est le questionnement fondamental qui nous intéresse entre ce qui est artistique et ce qui ne l’est pas, dans le rapport avec le système de l’art contemporain.

Ces références conceptuelles permettent de prendre position dans l’évolution du concept de démarche de création, vers le travail de la création et la production artistique, concepts qui reflètent davantage la réalité sociale du milieu professionnel artistique contemporain. Vers la poursuite d’une objectivation et un rapprochement du concept de démarche artistique, il est question des phases du travail de la création.

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