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DEUXIÈME CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL

2.2 L’apport du milieu professionnel artistique contemporain et la capacité se situer

2.2.2 La praxis en progression constante, la cohérence articulable et la pratique réflexive

La praxis en arts visuels est un processus en progression constante impliquant les savoirs disciplinaires pratiques et théoriques et de multiples autres savoirs qui nécessitent l’effectuation d’une pratique réflexive à partir d’une pratique artistique et pour notre recherche en situation éducative. Dans le contexte d’une rationalité esthétique, le concept de “cohérence articulable” est ciblé comme indicateur d’une objectivation du concept de démarche artistique.

Il faut comprendre que la praxis en arts visuels n’est pas seulement théorisation dans la suite d’une pratique. La praxis peut être aussi en processus de théorisation tout au long de son effectuation. Larivée (2004, In Regroupement des artistes en arts visuels, 2004), en parlant de sa pratique artistique d’intégration de l’art à l’architecture, souhaite même «un dialogue [qui] passe par une réflexion intérieure d’une pratique et non par une réflexion sur une pratique. La nuance est d’importance puisqu’elle demande que l’ensemble s’intègre et “soit réfléchi”» (Ibid., p. 16). N’est-ce pas un idéal de praxis à atteindre, sinon à dépasser, pour un artiste?

Être réflexif, selon Roux (1999), suppose le développement d’une attitude réflexive tout au long de la pratique artistique en arts visuels et la recherche constante sur les mises en œuvre qui nourrissent la praxis. La réflexion, pour Roux (1999), n’est pas seulement sollicitée dans les phases de théorisation, elle est davantage sollicitée dans l’action. La pratique acceptée comme une recherche productive et où la pratique est définie comme un processus «qui articule interrogation et analyse critique avec un “agir productif”» (Ibid.,

p. 95), mène à une pratique dite critique. Il faut reconnaître que la théorie n’intervient qu’en relation avec une pratique, et qu’à l’inverse, «la théorie n’est pas au service de la pratique», elle n’est pas qu’argumentations et justifications a posteriori des productions, «elle peut enrichir le regard et la production» (Ibid.).

Le va-et-vient entre la pratique, la théorisation, la réflexion et la praxis peut conduire à une certaine rationalité esthétique qui, selon Rochlitz (1992), s’effectue par la critique et l’argumentation. La rationalité est pour cet auteur «une forme de connaissance, […] un savoir ou […] un savoir-faire» (Ibid., p. 229). Nous comprenons déjà que l’esthétique s’intéresse à l’œuvre plus qu’au processus, mais l’esthétique peut nous indiquer certains critères au regard d’un produit final et du fait artistique. Parmi quatre éléments mentionnés pour déterminer ce qu’est une œuvre d’art, Rochlitz (1992) mentionne que le principal critère est

celui d’un certain type de cohérence traditionnellement désignée par le concept de “forme” ou “d’unité”. Il ne s’agit pas de cohérence logique mais de cohérence articulable d’une vision, d’une conception, d’un style, d’un réseau de métaphores littéraires, picturales, voire musicales. […] Le concept de cohérence ne désigne aucun type particulier d’unité de l’œuvre; il veut dire qu’elle se compose que des éléments, mais de tous les éléments (ou du moins d’un nombre significatif de ces éléments) qui sont présentés à une perception réfléchie. (p. 233)

Aussi, dans une visée plus objective et critique sur la compréhension du caractère dit artistique, plus près de l’œuvre d’art que du travail de la création, il est retracé dans la rationalité esthétique des critères et des valeurs à considérer pour l’objectivation de la démarche artistique, voire ce qui peut être qualifié d’artistique ou pas.

Goodman (1988) a introduit la question conditionnelle «Quand y a-t-il art?» (In Rochlitz, 1992, p. 209), au lieu de la question essentialiste «Qu’est-ce que l’art?» (Ibid.). Il énumère cinq «critères (cinq symptômes) permettant de supposer qu’un objet remplisse une telle fonction (densité syntaxique, densité sémantique, plénitude relative, exemplification, référence multiple et complexe)» (Ibid., p. 210). Pour Rochlitz (1992), «les critères au nom

desquels un travail peut être qualifié d’artistique ou de non artistique relèvent d’une procédure critique, d’un processus d’argumentation, mais de tels critères peuvent néanmoins être circonscrits» (p. 209). Rochlitz ajoute qu’il «reste à savoir ce qu’il y a quand on prétend qu’il y a art» (Ibid., p. 210). Il précise que «Goodman remplace la rationalité esthétique par une rationalité cognitive indifférenciée qui passe à côté du phénomène artistique et de ces exigences normatives» (Ibid.). Et l’auteur réaffirme que l’art est sensibilité et que l’expérience esthétique s’objecte à la rationalité esthétique. Il apparaît plus acceptable de parler de rationalité esthétique du discours de l’art. En ce sens, Rochlitz (1992) indique que

comme tout phénomène social, l’œuvre d’art, objet qui prétend être compris et reconnu selon sa valeur, relève d’une approche herméneutique, d’une interprétation et d’une évaluation. Même si elle se heurte à l’ambiguïté constitutive de la forme artistique, l’approche “compréhensive” rencontre dans l’œuvre le “point de vue” d’un sujet créateur, autrement dit un objet déjà symboliquement structuré. (p. 211)

Cette approche particulière de la “rationalité esthétique” a été engagée par Kant (1983) dans la faculté de juger, un jugement de goût, voire un concept indéterminé. Par la suite, Habermas (1987) s’attaque aussi à la rationnalité esthétique. Il suggère un jugement esthétique relevant de “l’évaluatif” ou de normes culturelles, lesquelles ne semblent pas universalisables. Selon Rochlitz (1992), le terme rationalité «renvoie à une forme de connaissance, à un savoir et un savoir-faire» (p. 229). En ce sens, la rationalité esthétique peut-elle nous aider à objectiver le qualificatif dit artistique? Où sont les frontières entre ce qui est accepté comme étant artistique et ce qui ne l’est pas? Selon Rochlitz, plusieurs éléments sont à considérer, soit «le type de symboles employés, les conditions historiques de la création artistique, le savoir quant à ce qui peut être art ou pas, cela en fonction du passé récent et des possibilités qui y sont associées» (p. 230).

Le concept de “cohérence articulable” retracée dans la rationalité esthétique mène à une condition importante pour son effectuation, soit celle de la pratique réflexive à partir d’une pratique artistique et son rapport avec la théorisation. C’est de cette articulation

réfléchie entre la pratique et la théorie sous diverses formes, que la praxis en arts visuels fait son œuvre et a une portée critique, voire stratégique.

La pratique réflexive

Pour nous, la pratique réflexive s’est engagée depuis nos études de maîtrise en arts plastiques, option éducation. D’une perspective de l’enseignante chercheure à celle de praticienne réflexive, d’une perspective de réflexion dans l’action à celle de théorisation en action, la pratique réflexive a engagé la théorisation de nos pratiques artistique et d’enseignement.

La pratique réflexive renvoie, selon Schön (1994), à l’étude «du phénomène de l’abstraction et des opérations de la pensée» (p. 11). Cet auteur mentionne, à travers Piaget et Inhelder (1954), que «l’abstraction consiste à ajouter des relations au donné perceptif et pas seulement à les en tirer» (Ibid.). Il poursuit en précisant que

l’abstraction que Piaget appelle “réfléchissante”, qui elle, au lieu de s’en tenir aux propriétés de l’objet, consiste à tirer de l’action elle- même certains caractères dont elle assure la réflexion […] sur des actions ou opérations de niveau supérieur car il n’est possible de prendre conscience des processus d’une construction antérieure qu’au moyen d’une construction sur un nouveau plan. […] Cette perspective de la réflexion “en cours” d’action ou de la réflexion “sur” l’action marque sa pensée de la pratique réflexive, plus précisément du praticien réflexif et le savoir dans l’agir professionnel. (Ibid.)

La pratique réflexive, dans la conception de Piaget et Inhelder (1954), est plus ouverte, moins restrictive que celle de Schön (1994). Dans le mouvement évolutif de cette pratique, la “théorisation-en-action”, telle que formulée par Masciotra (1998a), nous rejoint davantage.

La “théorisation-en-action” de la praticienne ou du praticien-chercheur, est une méthodologie de la recherche théorique en éducation développée par Masciotra (Ibid.) dans le suivi de la pratique réflexive. Les notions de “réflexion-en-action” et de “science de l’agir expert” l’amènent à proposer son propre modèle qui intègre le domaine du Budo, terme japonais qui signifie “voie des arts martiaux”. Il faut comprendre que dans l’application de sa

méthode, la notion de description demeure toujours, et est fondamentale. Selon Masciotra (1998a),

[l]a description, en tant que processus de théorisation, vise à faire le récit du savoir expérientiel du monde afin de mieux le comprendre et l’expliquer, tandis que l’action se veut pratique et vise à enrichir notre expérience du monde afin de mieux s’y rapporter. La “mission” de la “théorisation-en-action” (TA) est de rechercher et de favoriser l’harmonie entre le théorique et le pratique qui se coordonnent parfaitement lorsque le théorique constitue une compréhension conceptuelle du pratique et que la pratique se révèle en “compréhension- en-acte du théorique”. […] Cette perspective nécessite de continuels allers et retours entre le pratique et le théorique. […] Elle opère “sur”, “dans”, “par” et “pour” la pratique propre ainsi que celle des autres praticiens. (p. 7)

Pour notre recherche, la “théorisation-en-action” représente une méthode qui concilie la théorisation à partir de la pratique. Pour le domaine des arts visuels, cette méthode nous semble révolutionnaire. Laurier et Gosselin (2004) empruntent la voie de la “théorisation- en-action” dans la direction de leurs étudiantes et étudiants de maîtrise en arts visuels. C’est à partir de leur pratique artistique respective que se développe la méthodologie de recherche. La thèse de Paillé (2002) abonde dans le même sens. Une théorisation ancrée dans la pratique nous réconcilie avec la pratique réflexive.

La praxis en arts visuels, se veut dépassement du savoir pratique par la dynamique d’une pratique réflexive qui engage l’articulation entre les multiples savoirs pratiques et savoirs théoriques. La praxis, selon Fabre (1994), s’avère le lieu d’un regard critique sur la pratique artistique, la progression constante et la cohérence “articulable” qui s’inscrit dans l’oeuvre.

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