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DEUXIÈME CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL

2.1 L’apport de la poïétique et la capacité se dépasser

2.1.4 Les phases du travail de la création et le système plastique

Les cinq phases du travail de la création selon Anzieu (1981), représentent la séquence didactique qui a servi à la planification en temps réel du dispositif d’enseignement-apprentissage en quatre blocs (intention, production, production artistique, exposition et diffusion) déjà introduits pour l’élaboration d’un projet de création en contexte de formation. La troisième et quatrième phases du travail de la création (Ibid.) introduisent le concept de système plastique, possible indicateur dans la recherche d’une objectivation du concept de démarche artistique.

Le travail de la création, ou travail créateur selon Anzieu (1981), s’effectue dans une succession de cinq phases déjà introduites, qui marquent notre conception personnelle de cette trajectoire, nos pratiques artistiques et d’enseignement. Anzieu (1981), d’abord psychanalyste, a réinvesti ses connaissances dans «le domaine d’étude issu de l’esthétique qu’est celui de la poïétique, c’est-à-dire de la production de l’œuvre par le créateur» (p. 10). Il a su à travers ses expériences personnelles, cliniques et spécifiques «au contact des

“grandes œuvres” qui portent les traces et les inscriptions du processus qui les a produites» (Ibid.), distinguer les cinq phases du travail de la création suivantes:

 Éprouver un état de saisissement créateur;

 Prendre conscience d’un représentant psychique inconscient;  L’ériger en un code organisateur de l’œuvre et choisir un matériau

apte à doter ce code d’un corps;

 Composer l’œuvre dans ses détails;  La produire au-dehors. (Ibid., p. 93)

Ces phases du travail de la création, ou travail créateur, selon Anzieu (1981) et de leurs inscriptions dans l’œuvre sont ainsi définies.

La première phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “éprouver un état de saisissement créateur”, subvient d’une façon imprévisible dans tout genre de situations de la vie ou d’un travail préparatoire à la volonté de créer. D’un contenu psychique de ce vécu, se libère, avec vivacité, une représentation unique ou de multiples images remplies de sensations diverses. Une phase de régression ou d’une dissociation s’ensuit et procure une période chaotique, un combat entre les parties du Moi qui tolère l’angoisse du moment, et l’autre qui devient vigilant à ce qui se passe. Cette vigilance maintenue permet de passer à la deuxième phase du travail créateur.

La deuxième phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “prendre conscience d’un représentant psychique inconscient”, s’accomplit grâce à la prise de conscience par le Moi de liens possibles entre des représentants psychiques, des représentants symboliques, des mots, des formes ou autres. Anzieu (1981) ajoute que

s’ils entrent seulement dans des réseaux associatifs, le sujet en reste au jeu et à la créativité. Mais s’ils fonctionnent comme des schèmes directeurs de toute une complexité, une pluralité, une multidimensionnalité de réseaux associatifs, le sujet s’achemine vers la phase suivante, celle d’une véritable création. (p. 108)

Il s’agit d’une activité entre l’inconscient et le préconscient, qui «suralimente l’activité de liaison et de symbolisation de cette dernière instance psychique» (Ibid., p. 109).

La troisième phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “instituer un code organisateur de l’œuvre et choisir un matériau apte à doter ce code d’un corps”, est la mise en forme du corps de l’œuvre et sa matérialité, celle de l’institution d’un code organisateur à partir d’un représentant psychique révélé dans la phase précédente et de la mise en forme du corps de l’œuvre. Ici, réside une autre différence entre la créativité et la création. Dans la créativité, le représentant psychique devient un objet de curiosité en périphérie combiné à un flot de pulsions qui aboutit dans un journal personnel, dans des jeux de mots ou d’esprit ou autres activités d’exploration spontanées. Dans la création, «ce représentant psychique est instauré comme central; d’anecdotique, d’essentiel; d’aléatoire, nécessaire; de non relié au reste, sources d’enchaînements rigoureux; de désordonné, structurant» (Ibid., p. 116). Du caché au fond de Soi, nous assistons à l’accomplissement du Moi dans l’effectuation d’un objet possédant

une logique interne, dont celui-ci peut se représenter les conséquences, les développements, les manifestations en les imprimant dans un matériau approprié: ou, dit autrement, ce représentant inconscient d’un processus ou d’un état psychique primaire fournit le dynamisme organisateur de toute une série, de toute une complexité de processus psychiques secondaires. (Ibid.)

Anzieu (1981) introduit la notion de code dans le travail de la création, terme qui recouvre divers éléments reliés à la production créatrice. À cette phase, le noyau psychique prend forme à travers un code et «il reste à lui faire engendrer l’œuvre, ce qui requiert le choix d’un matériau sonore, plastique, verbal, etc., maniable par le créateur et organisable selon le code» (Ibid., p. 117.) Dans l’instauration d’un code organisateur qui donnera corps à l’oeuvre à travers la matérialité, va se jouer le conflit entre «le Moi idéal qui veut que le sujet soit un et tout et le Surmoi qui exige ordre et contraintes. […] Dans cette situation conflictuelle se développe un système propre au créateur, nommé par les sémioticiens “idiolecte”» (Ibid., p. 124) ou engagement d’un système plastique. Cette troisième phase du travail créateur s’avère une phase importante à considérer dans la démarche de recherche et l’objectivation de la démarche artistique engagée dans la structuration du système plastique.

La quatrième phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “composer l’œuvre dans ses détails”, est la composition proprement dite de l’œuvre, où sa finalité se traduit par le travail d’un style, d’un genre, d’une organisation de l’ensemble pour rendre l’œuvre achevée. C’est une phase dite «d’accompagnement de la création, de suite nécessaire à lui donner, qui n’est plus en tant que telle créatrice […] et qui relève, plus généralement, des tâches de confection, de rédaction, d’écriture […]» (Ibid., p. 125). Ici se vit le conflit fondamental du créateur entre le Moi idéal et le Surmoi, là se joue particulièrement le travail du style. Anzieu (1981) définit l’idiolecte en ces termes:

Le Surmoi impose en force son code, qui est d’ordre juridique et éthique, et qui est aussi celui du langage. Et il essaie de déprécier, de nier, d’étouffer le code logique singulier et nouveau, l’idiolecte, le style personnel de discours ou d’expression que le Moi du créateur est en voie d’inventer. (p. 65)

Se définit le «code au travail dans l’œuvre esquisse d’une mise en ordre de la diversité des codes» (Ibid., p. 163) et renvoie au système plastique. Pour l’objectivation du concept de démarche artistique, les rapports avec le code organisateur de “l’œuvre en train de se faire” et qui prend corps dans la troisième phase du travail de la création selon Anzieu, (1981), représente une piste d’objectivation à retenir. Il est question du “fait artistique”, qui déjà engagé à la troisième phase par le système plastique, devient dans la quatrième phase: le style final dans l’œuvre. Ce passage d’une production à la production artistique que nous nommons dans les quatre blocs de notre expérimentation, renvoie à l’écart ce qui fait que cela devient artistique, le concept de coefficient artistique d’obvie et obtus, que nous verrons dans l’apport didactique des arts visuels.

La cinquième phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “la produire au- dehors”, implique l’œuvre terminée, le détachement de l’œuvre et à l’exposition à un public potentiel pour recevoir les possibles critiques. Ce sont les rapports «du créateur à l’œuvre qui s’achève et le rapport du créateur au public qu’il imagine prenant contact avec l’œuvre» (Ibid. p. 127). L’auteur rappelle les deux critères esthétiques pour qualifier une œuvre, d’œuvre d’art, en ces termes: «faire ce qui n’a encore jamais été fait, voire sa valeur

reconnue – le premier seul dépend du créateur; le second par définition, lui échappe» (Ibid., p. 129). Entre en jeu, pour le créateur, le suivi de l’œuvre qui a sa propre vie.

Plusieurs auteurs et chercheurs, dont Gosselin (1991), Laurier et Gosselin (2004) et Paillé (2002) s’inspirent de près ou de loin des phases du travail de la création, ou travail créateur d’Anzieu (1981), en situation éducative et en théorisation d’une pratique artistique.

Autrement, selon Ehrenzweig (1967, 1974), le travail créateur s’élabore en trois phases qui correspondent à la projection, l’intégration partiellement inconsciente (scanning inconscient) qui donne à l’œuvre sa vie, et enfin, la réintrojection partielle et la rétroaction à un niveau mental plus élevé. Nous n’avons pas retenu cet auteur parce qu’il utilise sans distinction les concepts de création et de créativité. Aussi, les phases du travail créateur, selon Ehrenzweig, ne considèrent pas la dimension d’extériorisation, voire le “produire au- dehors” d’Anzieu (1981) et la capacité d’extériorisation de Paillé (2002, 2004).

Le travail de la création pour la présente recherche, s’inspire des phases du travail de la création, ou travail créateur d’Anzieu (1981), et de la considération du travail de la création comme production et production artistique (Passeron, 1989; Revault d’Allonnes, 1973). Ce travail de la création engage le travail psychique, le travail pratique et le travail périphérique. Quatre blocs déjà introduits au premier chapitre inspirés des cinq phases du travail de la création selon Anzieu marquent notre conceptualisation du travail de la création, déjà présenté dans le tableau 1. Chacun de ces blocs correspond à des activités d’apprentissage du travail de la création vécues en temps réel de la création, et permet le va-et-vient sur l’une ou l’autre des phases.

Retour sur le code et le système plastique

Comme indiqué, nous revenons sur la troisième phase du travail de la création selon Anzieu (1981), “l’ériger en code organisateur de l’œuvre et choisir un matériau apte à doter ce code d’un corps ”, et afin de mieux comprendre, le fonctionnement du système plastique, les niveaux de graduation d’un code, la progression dans le travail de la création investi

dans la composition du système plastique et l’articulation entre les phases, particulièrement entre la troisième et la quatrième.

Pour Anzieu (1981), et repris par Paillé (2004), «un des traits nécessaires du créateur est sa capacité à jongler simultanément avec plusieurs codes d’univers différents» (p. 50). Cette réalité nous incite à mieux définir, à la base, le concept de code qui, d’après Anzieu (1981) se définit par

le recueil d’ensemble des lois obligatoires dans un domaine donné (civil, pénal, commercial, professionnel, etc.) et valables pour tous les individus d’une même société (je propose de désigner ce sens originaire et de degré zéro comme “sens 0”). Un tel code est à la fois une totalité. Mais inachevée et ouverte à des remaniements, une obligation assortie de sanctions, et une mise en ordre implicite, seulement ébauchée et non systématique. (p. 164)

De cette “conception 0” du code et de son évolution vers un sens non juridique, Anzieu (1981,) précise que le

code désigne un ensemble de signes conventionnels rendant possible l’usage de certains moyens de transmission de l’information ou de certains objets à ceux et seulement à ceux qui connaissent ce code. Un tel code encore appelé grille, appartient non plus à tous les membres de la société mais à une catégorie de personnes qui se distinguent des autres […] et qui voit dans un tel code les possibles inscriptions intentionnelles. (p. 165)

Il y a donc une variété de codes qui peuvent être juridiques, non juridiques, génétiques, linguistiques, chiffrés, secrets picturaux, musicaux et autres. Ces codes portent chacun – selon le degré de signe et signification – les niveaux un, deux, trois, quatre, etc. Pour Anzieu (1981), plus précisément dans cette dérivation des codes établis, le concept de code «devient synonyme de système, c’est-à-dire d’un tout différent de la simple somme de ses parties et tel que l’arrangement des parties au sein du tout confère à celui-ci ses propriétés (sens 4)» (p. 173).

Dans cette acceptation d’un code comme système dont la fonction est de communiquer en produisant des messages, tous les arts sont concernés, qu’ils soient

littéraires ou non. Ce fait nous entraîne à poser le regard sur l’organisation interne d’un code. Ici, l’objet au coeur de ces systèmes devient l’élément étudié, soit “le trait essentiel”. Les systèmes «sont orientés selon un ou plusieurs axes qui déterminent ces positions (l’abscisse et l’ordonnée en géométrie analytique, l’axe pragmatique et l’axe syntagmatique dans le langage)» (Ibid.). Ces systèmes sont variables à l’infini et sont exploités par les personnes créatrices dans le travail de la création, cela en générant des codes particuliers à partir de ceux établis ou sinon, en identifiant de nouveaux codes.

Le concept de code et le travail de la création sont au départ des concepts abstraits et complexes qui appréhendent entre autres la pensée divergente (Anzieu, 1981) et ce, en regard des points de vue “synchronique” et “diachronique” du travail de la création. Ces points de vue, d’une part horizontaux (tenir ensemble ou opposer des codes de types très éloignés ou se faire croire que l’on a le code explicatif, etc.), et d’autre part verticaux (visée récapitulative, dans l’utopie de totaliser l’histoire de la société ou personnelle, etc.), interagissent dans la construction d’une grille d’analyse. C’est là que peut s’effectuer le “grand écart”, et par exemple, «la dimension diachronique des codes reprise dans le style» (Ibid., p. 177).

Dans cette même voie de pensée, pour Paillé (2004)

le code détermine l’organisation en système. Le système “idiolecte” repose sur les choix de chaque créateur: choix de codes et de sous- codes; choix de règles internes et choix de stratégies d’intervention selon le projet de création. Le système impose son cadre de jeu à l’intérieur duquel les variations infinies, combinées aux stratégies multiples, créent le point de vue privilégié d’un créateur. Les limites imposées par le choix d’un système se meuvent dans un espace de liberté. (p. 50)

Le système plastique ou idiolecte, un concept expérimental développé par Anzieu (1981), qui est propre à chaque créateur, détermine la manière singulière d’actualiser sa vision du monde à travers un objet symbolique. Le système plastique représente pour nous un concept très proche du concept de démarche artistique. Il rejoint le potentiel créateur qui

prend forme dans la matière et les aptitudes humaines qui rendent “singuliers” les objets, les actions et les événements.

Les phases du travail de la création selon Anzieu (1981), représentent pour notre démarche de recherche une référence fondamentale et une conceptualisation à la fois de construits d’affects, de percepts et de concepts. Ces phases ont inspiré la séquence didactique de l’expérimentation. Le traitement de la diversité de codes, leur graduation de 0 à 4 selon Anzieu (1981), les versions synchronique et diachronique reprises dans une grille d’analyse, sont retenus pour démontrer une progression du travail de la création, le développement de capacités, et plus spécifiquement la capacité se dépasser dans la lecture du système plastique.

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