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PREMIER CHAPITRE: PROBLÉMATIQUE

2. L’ENSEIGNEMENT DE L’ART, LA PRATIQUE DE LA CRÉATION ET LA DÉMARCHE ARTISTIQUE: UN COURS PROJET DE CRÉATION

2.1 La question de l’enseignement de l’art

Plusieurs auteurs questionnent l’enseignement de l’art dans les milieux artistiques et éducatifs (de Duve, 1992; Douar et Waschek, 2004; Gaillot, 1997; Michaud, 1993; Roux, 1999; Souriau, 1990): si l’art ne s’enseigne pas, qu’est-ce qui fait l’objet d’enseignement dans les programmes de formation en arts visuels en milieu universitaire? L’intégration en formation universitaire en arts visuels de l’expérience esthétique et de celle artistique permet une articulation plus prononcée entre la logique du savoir et la logique de la pratique, introduites précédemment.

Dans une perspective d’interrelation et d’ouverture sur la réalité de l’art contemporain, Gaillot (1997) précise que ce n’est pas le rôle de l’université de décider de l’artistique puisque c’est à l’extérieur, dans le milieu professionnel artistique, qu’émergent les «phénomènes artistiques et esthétiques» (p. 57). D’autre part, Roux (1999) ajoute que «si l’art ne peut s’enseigner, il n’en va pas de même pour l’artistique qui, lui, offre une meilleure emprise à l’enseignement, parce qu’il est identifiable dans les comportements et des objets producteurs de sens: les œuvres d’art» (p. 144). Ces points de vue sur l’enseignement de l’art, dans la dimension actualisée du fait artistique reprise par Roux (1999), sont pertinents pour notre recherche. Elle ouvre le regard rendu possible sur la

formation universitaire en arts visuels à la démarche artistique. Mais comment s’effectue le passage de l’enseignement de l’art, plus précisément à l’enseignement artistique?

Selon Souriau (1990), l’enseignement implique l’«action de transmettre des connaissances» et la «connaissance acquise» (p. 663) à partir d’une situation, d’une démarche, d’une problématique, d’une œuvre et autres. Plus précisément, l’enseignement esthétique introduit une réflexion sur l’art en général et l’enseignement artistique aborde la pratique disciplinaire d’un art. Cet auteur distingue dans l’enseignement artistique deux types d’objectifs, soit la «formation professionnelle d’artistes» et l’«enseignement des arts comme partie de l’éducation» (Ibid.). D’une part, la formation professionnelle de l’artiste nécessite diverses mises en situation, un enseignement dirigé et des apprentissages diversifiés pour développer les compétences associées à une formation esthétique. D’autre part, l’enseignement artistique en contexte éducatif ouvre sur la possibilité de vivre l’expérience de la création dans un cadre institutionnel qui peut «contribuer à l’éducation esthétique des citoyens» (Ibid.). Nous apprenons par les voies esthétiques et artistiques à extraire le “sensible” à partir des activités humaines et à développer la pensée esthétique. Issues des sciences humaines, les nouvelles sciences de l’art, comme la sociologie de l’art, l’ethnologie, la psychologie de l’art et la psychanalyse de l’art, reconnaissent à l’enseignement de l’art les caractères polymorphe et polysémique. Réfléchir sur l’art, c’est aussi rendre accessible la connaissance, en passant par le “sensible”. Les auteurs Adorno (1974), Bachelard (1984), Heidegger (1986), Merleau-Ponty (1964) et Souriau (1990) ont élaboré leur pensée esthétique à partir des œuvres réalisées à travers le temps et leur rapport avec le public. D’une autre façon, l’enseignement de l’art peut s’accomplir directement avec le spectateur qui vit une expérience personnelle dans la rencontre avec l’œuvre d’art et l’activité artistique.

Pour de Duve (1992), l’art ne s’enseigne pas mais il peut être le lieu d’une esthétique de la transmission et du comment: «l’art se transmet d’une génération d’artistes à une autre et à quelles fonctions sociales notre société prépare-t-elle les jeunes artistes?» (p. 18).

Repenser la formation de l’artiste dans le contexte actuel représente pour cet auteur un défi majeur, où la transmission des savoirs doit s’opérer conciliant tradition et modernité.

Michaud (1993) questionne aussi l’enseignement des arts visuels en raison des changements techniques et culturels. Il s’interroge sur la fonction des écoles d’art et sur le devenir créateur ou productif. Il indique trois fonctions des écoles d’art qui consistent à «apprendre, pratiquer et produire» (Ibid., p. 15). Si on ne peut enseigner à produire des œuvres d’art, on peut certainement enseigner des techniques qui ne font pas à elles seules l’artiste d’aujourd’hui. Cet auteur se positionne face aux conceptions romantiques de l’artiste et des gestes qui sont prisonniers du mythe de la créativité. Une école d’art, pour Michaud (1993), doit viser l’équilibre, être le lieu où se pratique l’art, lieu d’apprentissage, lieu d’enseignement des techniques, lieu où on apprend à produire des œuvres et à devenir des artistes. Il précise: «produire mieux que créer» (Ibid., p. 21). Reste à concevoir cette école d’art en tant que lieu où l’on apprend à produire, à devenir un artiste créateur et original, un lieu de production artistique.

Gaillot (1997) reprend ce questionnement de l’enseignement des arts plastiques à travers une didactique critique des arts plastiques face à l’enseignement de cette discipline en France et ce, peu importe le niveau d’enseignement. Il considère «une didactique pensée comme pratique plastique et pratique artistique» (Ibid., p. 6) et met en évidence la nécessité d’une articulation entre l’enseignement et l’apprentissage. Enseigner, pour ce dernier, c’est permettre la médiation entre l’élève et le savoir, «ce qui implique de référer tant à la connaissance de l’objet enseigné (épistémologie) qu’à la connaissance du sujet apprenant (psychologie)» (Ibid., p. 13). Quant à apprendre, c’est «acquérir une compétence, c’est construire des représentations et développer des comportements afin de pouvoir se rendre présente l’idée d’un objet de la pensée ou afin de pouvoir agir sur les objets sur lesquels l’apprentissage a porté» (Ibid., p. 14). Si enseigner et apprendre sont indissociables, l’enseignement des arts plastiques suppose l’intégration d’une pratique réflexive tout au long des apprentissages.

En somme, plusieurs auteurs (de Duve, 1992; Gagnon-Bourget et Joyal, 2000; Gosselin, 1991, 2005, 2006; Laurier, 2003; Michaud, 1993; Richard et Lemerise, 1998; Roux, 1999; Savoie, 2000) repositionnent l’enseignement de l’art en favorisant l’articulation entre la pratique artistique et la pratique réflexive et ce, à toutes les phases de la pratique de la création.

Les difficultés d’enseigner l’art reposent sur l’écart entre la possible objectivation du fait artistique et la subjectivité qui règne autour de l’art en général. Ces concepts centraux de la formation universitaire en arts visuels sont mis en relief par différents auteurs à travers la question problématique de l’enseignement de l’art. Dans cette voie de recherche d’un enseignement plus objectif, ne délaissant pas l’art et la création comme abstraction idéologique en toile de fond, Roux (1999) propose l’enseignement de “l’artistique” déjà introduit, qui représente «cet ensemble spécifique de démarches, de postures et de pratiques s’incarnant dans les œuvres reconnues comme artistiques» (p. 144). Il s’interroge sur l’appréhension, l’évaluation et la compréhension «de la dimension artistique d’un geste, d’une démarche ou d’une production» (Ibid., p. 145). Roux énonce divers points de vue sur des indicateurs possibles du fait artistique, que nous verrons au second chapitre.

L’enseignement de l’art en milieu universitaire aujourd’hui, tout comme l’art contemporain, est porteur d’un questionnement sur l’art en général et sa place dans une société dite culturelle. À titre d’artiste professionnelle enseignante, le trajet séquentiel d’une production artistique que nous proposons dans le cadre d’un programme de CEAV, et plus particulièrement d’un cours, vise l’articulation entre la pratique de la création et l’émergence en temps réel d’une démarche artistique. Gaillot (1997) affirme que

l’art ne s’enseigne pas directement, il ne s’éprouve pas non plus spontanément. D’où la nécessité de construire des situations ou des événements de l’ordre du sensible qui pourront être interrogés suivant des modalités à même de pointer l’essence fragile et mouvante de la démarche artistique. (p. 61)

Dans le cadre de la réflexion que nous menons, nous privilégions l’enseignement de l’art dans une approche davantage poïétique qu’esthétique. À ce moment, l’enseignement

de l’art est plus près de “l’œuvre en train de se faire” (Passeron, 1989; Souriau, 1939; Valéry, 1938), de la créatrice et du créateur, de l’étudiante et de l’étudiant dans la pratique de la création. Aussi, cette approche favorise la fusion entre l’enseignement esthétique et l’enseignement artistique dans le contexte d’une expérience formatrice par l’art, plus précisément le contexte valorisant l’élaboration d’un projet de création.

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