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PREMIER CHAPITRE: PROBLÉMATIQUE

1.2 La formation professionnelle de l’artiste en arts visuels

1.2.3 La démarche artistique et la professionnalisation

La professionnalisation de l’artiste dans notre société culturelle crée une dynamique qui systématise la pratique artistique en arts visuels et contribue à l’émergence du concept de démarche artistique. En lien avec le système de l’art contemporain qui maintient le flou artistique et l’autonomie de l’art en regard des pratiques artistiques contemporaines, nous pourrions qualifier de quasi compromettant pour notre recherche d’objectiver le concept de démarche artistique qui tend à répondre aux attentes d’un langage universel promu par une société globalisante (Bourriaud, 2009).

Sur le plan juridique, la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, instaurée au Québec depuis 1988 (Gouvernement du Québec, 1988), précise les règles de reconnaissance de l’artiste professionnel. Cette perspective de la dimension professionnelle de l’artiste, soutenue par le CALQ, le RAAV et la Société de droits d’auteur en arts visuels (SODART)3, est reconnue au départ par les pairs du milieu artistique sur présentation d’un dossier visuel ou portfolio d’artiste. Cet outil de présentation, de promotion et de diffusion est composé des éléments suivants: a) un court texte situant la démarche artistique; les notes biographiques; un curriculum vitae mentionnant entre autres les expositions individuelles et collectives; les documents visuels des productions artistiques récentes marquantes ou rétrospectivement traduisant la mise en valeur de la démarche artistique; un dossier de presse regroupant les traces de diffusion publique. À cet égard, le dossier visuel, ou portfolio d’artiste, fait état de la démarche artistique, voire l’identité artistique et professionnelle d’un artiste dans notre société.

3 À noter que la Société de droits d’auteur en arts visuels (SODART) a mis fin à ses activités en mai 2008. Un

accord portant sur les services professionnels de gestion collective des droits pour le secteur des arts visuels a été conclu avec la Société du droit de reproducation des auteurs compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC).

Pour sa part, le CALQ (2003-2004) désigne d’un point de vue externe et public à la pratique artistique, les critères qui permettent à un artiste professionnel ou un organisme professionnel de demander une bourse de soutien à la création, en ces mots:

Tout artiste qui, ayant acquis sa formation de base par lui-même ou grâce à un enseignement ou les deux, crée et interprète des œuvres pour son propre compte, possède une compétence reconnue par ses pairs dans sa discipline et signe des œuvres qui sont diffusées dans un contexte professionnel. Dans le domaine des arts visuels, le contexte professionnel désigne des lieux et des organismes principalement voués à la diffusion de l’art. Il peut s’agir de centres d’artistes, de centres d’exposition, de galeries d’art, de musées ou d’autres lieux ou organismes de diffusion reconnus. La participation à des évènements où la sélection des participants est faite par des professionnels des arts visuels est reconnue. Le contexte professionnel exclut le milieu scolaire. (p. 1)

Plus près de la pratique artistique et de l’artiste dans son atelier, d’un point de vue interne le CALQ, le MCC et le SODEC précisent, dans un document rédigé dans le suivi du Forum sur les arts visuels au Québec (Conseil des arts et des lettres du Québec, 2006), les conditions d’exercice de la profession comme suit:

La pratique des arts visuels se caractérise par un travail de recherche et d’exploration à long terme basé sur une pratique le plus souvent individuelle. Par définition, l’artiste en arts visuels est un travailleur autonome; il doit assumer toutes les phases liées à la création et la réalisation incluant souvent la mise en marché. […] il est donc fréquent qu’un artiste assure son gagne-pain par un travail parallèle à sa pratique. […] La reconnaissance du travail de l’artiste s’obtient généralement après plusieurs années de pratique artistique. La visibilité médiatique est fondamentale pour la reconnaissance publique. (p. 16)

En somme, les critères d’adhésion au statut professionnel d’artiste dans notre société comportent des règles assez restrictives, ce qui n’est pas évident pour le public en général, et les artistes amateurs qui se disent artiste après la réalisation d’un tableau. C’est aussi à partir de ce regard critérié sur la profession artiste que se joue l’écart toujours discuté entre l’art et les métiers d’art, l’artiste et l’artisan et les professionnels des milieux artistique et culturel.

La réalité de la professionnalisation de l’artiste dans la société culturelle est maintenant systématisée et traitée statistiquement. Bellavance, Bernier et Laplante (2005), dans une étude menée sur les conditions de pratique des artistes en arts visuels, démontrent la systématisation de la profession artiste et sa valeur socioéconomique. Il s’agit du recensement de 3 207 artistes du Québec, réalisé grâce à la compilation de listes d’associations et d’organismes culturels reconnus par le monde professionnel. Depuis le décloisonnement des disciplines artistiques, la tendance en arts visuels est le développement du concept d’interdisciplinarité dans la pratique artistique, ce qui implique, par exemple, les combinaisons hybrides (art et médecine, art et culture, art et politique, art et sciences, et autres) et plurielles (art/anthropologie/philosophie, art/environnement/sciences politiques et autres). Les artistes, en général, combinent la profession d’artiste à une autre occupation comme enseignant, travailleur social, agent culturel et autres emplois dans la société. Statistiquement, un artiste sur deux présente une formation de bachelier en arts visuels, pendant qu’un artiste sur cinq est un autodidacte ou un artiste diplômé post-gradué (maîtrise et doctorat). La formation par apprentissage auprès d’un autre artiste peut varier entre 3 % et 26 %. Aussi, parmi les emplois paraprofessionnels à la pratique des arts, l’enseignement occupe dans la vie professionnelle de l’artiste, une place importante. Un artiste sur dix occupe un poste en enseignement régulier, allant de l’enseignement au primaire à l’université. Plus spécifiquement, seulement 2 % œuvrent en milieu universitaire. Le lien étroit entre la pratique professionnelle de l’art et l’enseignement marque au Québec le passage d’un enseignement fondé sur l’apprentissage auprès d’un maître, mais aussi au contexte actuel d’une formation formelle vue en continuité entre le collégial et l’université. Ces données factuelles traduisent une certaine réalité des impacts de la professionnalisation sur l’artiste, entre autres sur une systématisation des critères de reconnaissance du statut de l’artiste dans notre société et de sa valeur socioéconomique.

L’étude sociographique, menée sur la base de récits de vie par les chercheurs Bernier et Perrault (1985), aide à comprendre globalement et sociologiquement ce que signifie être

un artiste, la pratique de l’art, et ce qui faisait la spécificité de l’artiste contemporain dans les années 1980. Les entrevues ont été menées auprès de 18 artistes professionnels. L’analyse révèle des éléments qui définissent et distinguent l’écart entre les paradigmes de la profession et de la carrière. La profession d’artiste dans la réalité, est une voie d’ouverture plus grande du travail de l’artiste à d’autres emplois connexes que celle de la carrière qui monopolise le travail de ce dernier à sa démarche artistique et sa reconnaissance sociale. Cependant, il y a aussi possibilité de mener la profession et la carrière en parallèle ou en synergie, c’est le cas de l’artiste professionnel enseignant. Nous adoptons dans le cadre de la présente étude, cette terminologie qui ressort du Forum sur les arts visuels au Québec organisé par le CALQ en 2006, et qui représente notre situation sociale.

D’autres voies de la professionnalisation de l’artiste concernent le contexte socioéconomique, ou la sociologie de l’art. Selon Dekoninck (2002), cette nouvelle science de l’art a pour fonction «de mettre à jour les forces collectives qui œuvrent dans l’art. L’artiste, comme le spectateur, est le produit des normes et des conventions sociales. L’art ne peut plus être dès lors envisagé comme champ autonome régi par ses propres lois, mais doit être saisi dans son contexte socioéconomique» (Ibid., p. 208). Les auteurs Antal (1991), Bastide (1977), Bourdieu (1969), Duvignaud (1972), Francastel (1965), Hadjinicolaou (1973) et Hauser (1982) abondent en ce sens, où la sociologie de l’art permet de contextualiser la pratique artistique dans la réalité du travail de l’artiste et de mesurer l’implication effective de cette pratique autour de lui localement, mais aussi mondialement.

D’autre part, Bellavance et Laplante (2002) situent la professionnalisation, la socialisation du champ artistique et la formation professionnelle des artistes au XXe siècle dans le champ culturel, comme étant les pratiques artistiques se développant au Québec depuis les années 1950, et qui se sont structurées progressivement comme dans d’autres pays. Des pratiques artistiques traditionnelles à l’arrivée des industries culturelles, l’État se fait de plus en plus présent dans le secteur des arts. Selon ces auteurs,

[l’État] favorise le développement des institutions et entreprises du secteur culturel ainsi que la professionnalisation des occupations qui s’y rattachent au moyen de programmes de financement direct d’aide à la création et la production de mécanismes de régulation des marchés culturels. Ils tiennent également à l’extension des formations artistiques spécialisées et certifiées données souvent aujourd’hui en milieu universitaire et prolongées jusqu’au troisième cycle dans certains cas. (Ibid., p. 315)

Ces auteurs analysent la situation du Québec en matière de professionnalisation dans divers secteurs des activités artistiques avant et après le Rapport Rioux (Gouvernement du Québec, 1968), déjà cité comme un fait marquant. Pour eux, la «Commission Rioux veut réconcilier la conception anthropologique ou identitaire de la culture et le rôle actif de l’art et de l’éducation dans la société actuelle» (Bellavance et Laplante, 2002, p. 317). Dans cette perspective, le Rapport Rioux (Gouvernement du Québec, 1968), a accordé une plus grande part à l’art, compris comme un concept anthropologique ou identitaire de la culture. En même temps, il a mené à l’étatisation d’une société culturelle qui contribue à la problématique de l’écart entre l’art, d’une part qui revendique son autonomie, et d’autre part la culture qui s’approprie l’art et l’institutionnalise.

La reconnaissance du statut professionnel de l’artiste en arts visuels est un dossier complexe qui comporte de nombreux questionnements fondamentaux impliquant ce que sont devenus l’art, l’artiste et la pratique artistique aujourd’hui. Plus concrètement, pour l’avancement de l’objet de notre recherche, le statut professionnel de l’artiste et les critères d’admissibilité se confirment dans la présentation d’un dossier d’artiste, ou dossier visuel, où se révèle un texte de présentation de la démarche artistique. Cette réalité de l’artiste professionnel est transmise dans l’enseignement de l’art aujourd’hui et l’enseignement recherché de la démarche artistique.

L’enseignement de l’art est examiné par plusieurs auteurs en regard des concepts centraux que sont l’art, la pratique artistique et le travail de la création. L’enseignement du fait artistique réfère au système de l’art contemporain et au milieu professionnel artistique qui présentent de réelles pratiques artistiques à travers les dossiers d’artistes professionnels

ou dossiers visuels qui décrivent diverses démarches artistiques. C’est le lieu d’un laboratoire privilégié pour effectuer la recherche d’indicateurs caractérisant une démarche artistique, objet d’étude visé dans le cadre de notre recherche. Également, la reconnaissance du statut de l’artiste professionnel en arts visuels au Québec et les critères d’admissibilité établis par le contexte professionnel, contribuent à baliser le champ artistique, soit l’adhésion au milieu professionnel artistique. Cette réalité de la professionnalisation de l’artiste dans notre société privilégie une certaine objectivation du concept de démarche artistique, qui s’accentue dans la dimension culturelle. La formation professionnelle en arts visuels en milieu universitaire a pour mission de questionner et d’articuler ces mouvements venant de l’extérieur, tels ceux liés à l’autonomie de l’art, à l’approche critique de l’art contemporain et à la professionnalisation de l’artiste.

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