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DEUXIÈME CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL

2.1 L’apport de la poïétique et la capacité se dépasser

2.1.2 La démarche artistique et la démarche de création

Dans ce contexte d’objectivation du construit de démarche artistique, nous tentons de mieux comprendre une démarche de création en temps réel à travers des recherches en situation éducative et en situation de pratique artistique. La démarche de création porte divers points de vue qui s’inscrivent entre la position de la démarche de création vue comme action divine, comme action humaniste, comme expression du “n’importe quoi”, comme engagement social et comme action dynamique de l’être pensant et agissant. C’est à cette dernière position de la démarche de création que l’objet de recherche s’intéresse à travers les recherches de Gosselin (1991) en situation éducative, et de Paillé (2002) en situation de pratique artistique.

Pour Gosselin (1991):

La démarche de création est un processus dynamique motivé au départ par la création de soi (Valéry, 1938; Rogers, 1961; Maslow, 1968), qui favorise le dépassement de l’être investi dans une démarche personnelle (Gingras-Audet, 1979; Angers et Bouchard, 1986) et l’émergence d’aptitudes humaines, voire des capacités (Valéry, 1938; Gingras-Audet, 1986). (p. 63)

Dans une recherche sur la dynamique d’un cours d’arts plastiques au secondaire et des conditions optimales favorisant une expérience de la démarche de création, Gosselin (1991) propose «une modélisation diachronique de la démarche de création vue comme un processus et une dynamique» (p. 66) (Cf. figure 4).

Figure 4- Représentation de la création à la fois comme un processus et comme une dynamique selon Gosselin (1991)

Dans la figure 4, à un premier niveau sont placées linéairement dans la direction de gauche vers la droite, les trois phases du processus suivantes: phase d’ouverture, phase d’action productive et phase de séparation. À un deuxième niveau, en parallèle, ces trois phases activées par les trois mouvements ondulatoire et interactif dont inspiration, élaboration et distanciation, créent la dynamique.

La première, la phase d’ouverture, fait référence à la première étape valéryenne, soit la “formation de la nébuleuse” et se caractérise par le mouvement venant de l’inspiration

qui entraîne l’éclosion de capacités (de sentir, de ressentir, d’écouter, etc.) et la possible intention de projet (Ibid.).

La deuxième, la phase d’action productive, fait référence à la formulation valéryenne de la “flèche” qui dessine une direction à prendre entre la “nébuleuse” et une forme quelconque en train de se créer. Cette phase, caractérisée par le mouvement d’élaboration, se produit entre la récupération de l’émotion initiale et un travail conscient de transformation sur un matériel qui s’organise formellement et symboliquement. Aussi, cette phase interpelle, selon Gosselin (1991), «les capacités d’articulation conceptuelle et matérielle incluant les aptitudes d’analyse, de traitement et d’organisation et la prise de décision» (p. 74).

La troisième, la phase de séparation, fait référence à la formule valéryenne qui se termine par une “forme” (carré, cercle ou signe) ou autre qui représente l’oeuvre achevée. Cette phase est caractérisée par le mouvement de distanciation qui permet de retracer dans la matérialité de l’œuvre, la capacité d’articulation entre les conditions interne et externe de la démarche de création.

Ce modèle de Gosselin (1991) d’une représentation de la démarche de création comme processus et dynamique – bien que très proche de la formule valéryenne –, est innovatrice par l’interaction proposée entre les trois phases et les mouvements qui entraînent l’éclosion de capacités. En soi, ces capacités favorisent le dépassement de soi, autant dans l’agir que la réflexion, et «la création de soi par l’élargissement progressif du champ de la conscience» (Ibid., p. 128). En ce sens, la création de soi repose nécessairement sur la capacité d’articulation intentionnelle et conscientisée de produits (objets, actions ou événements) externes canalisés à partir d’une intention initiale branchée sur le monde intérieur.

Pour l’artiste chercheure et auteure Paillé (2004), la démarche de création est une activité physique, cognitive et psychique inscrite dans un trajet arythmique modulé de phases, des étapes et des processus qui interagissent en boucle récursive produisant des arrêts, des reprises,

des accélérations, des piétinements, des retours, des bonds, des répétitions. Pour actualiser une vision singulière du monde, la démarche demande des capacités de savoir-faire, de méthodologie, de pragmatique, de conceptualisation et de perception souvent gouvernées par des affects, des pulsions et des nécessités inconscientes, préconscientes ou non conscientes. (p. 9)

Paillé (2004) développe une pensée innovatrice de la démarche de création à partir de sa pratique artistique, les construits théoriques significatifs et l’analyse des projets spécifiques de créateurs. Trois phases développent son modèle, dit synchronisé, proche de ceux d’Anzieu (1981), Gosselin (1991) et de Valéry (1938) et en même temps distinct, à savoir: «la collision, “l’œuvre en train de se faire” et l’extériorisation» (Paillé, 2004, p. 14). Pour chacune de ces phases, il faut comprendre que le créateur engage «un travail pratique et un travail psychique sur les plans des affects, des percepts et des concepts dans le travail de l’œuvre en train de se faire» (Ibid.).

La première phase de la démarche de création, la “collision”, «se caractérise par la capacité du créateur à capter l’événement instaurateur qui oriente le développement conceptuel et formel de la pratique artistique» (Ibid., p. 19). C’est une phase qui se qualifie subjective en raison de son essence volitive et fugitive, mais qui en même temps porte l’élan à entreprendre la démarche de création.

La deuxième phase pour Paillé (2004), “l’œuvre en train de se faire” – terme emprunté à Valéry (1957) –, concerne l’élaboration réelle de son projet de création intitulé Livre-livre, voire la dimension pratique, le passage à l’action et la mise en forme. Trois étapes précisent cette deuxième phase: l’explosion, l’exploration et la systématisation (Ibid., p. 49). L’explosion est comme un premier jet pulsionnel dans la matérialité, s’ensuit une période d’exploration, de découverte, que cette auteure nomme “formage” d’une idée directrice. Le travail pratique organise matériellement et techniquement, puis conceptualise “le corps de l’œuvre” (Anzieu, 1981). Le travail psychique produit les tiraillements, le doute, les craintes, la pertinence dans le faire. Et s’installe la “systématisation”, c’est-à-dire la capacité pour le créateur d’utiliser les diverses explorations pour «mettre en place un

système organisationnel qui oriente et structure le travail» (Paillé, 2004, p. 49). Ici est introduit le «représentant psychique inconscient en code et à trouver un corps à faire fonctionner selon ce code» (Ibid.). Cette étape fait référence à la troisième phase du travail de la création d’Anzieu (1981), soit “donner corps à l’œuvre et instaurer le code organisateur”. Les concepts de code, de système plastique et d’idiolecte sont développés plus loin. Cette étape représente pour l’objet de notre recherche dans le travail de la création, une séquence précise à considérer, l’organisation du système plastique qui rend singulier le travail de la création.

La troisième phase, “l’extériorisation”, est la phase de distanciation et commande les capacités de finaliser l’œuvre, de lui donner un titre, de l’exposer à l’extérieur au regard public, d’accepter la critique, et de la voir revenir dans l’atelier. Pour le créateur, cette phase qui s’avère en périphérie du travail de la création, n’est pas la plus intéressante en raison du détachement à faire et de la fonctionnalité des opérations externes proprement dites de la création.

Le concept de démarche de création tel que promu par Gosselin (1991) en situation éducative, s’inspire de la formule valéryenne (Valéry, 1938) et du rapport entre autres à la création de soi, du dépassement de l’être et du développement de capacités. Paillé (2002), en contexte de pratique artistique, combine la formule valéryenne, le concept de capacité et davantage les phases du travail de la création d’Anzieu (1981). La démarche de création, telle que comprise et expérimentée par ces deux auteurs chercheurs, bien qu’inspirante et fondamentale, demeure plus abstraite, plus près de l’essence originelle, et subjective de l’art et de la création. Nous retenons particulièrement le développement de capacités dans le processus temporel des phases de la démarche de création. Pour poursuivre l’objectivation du concept de démarche artistique, sont investigués les rapprochements plus concrets de la création avec la réalité d’un travail ou d’une production.

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