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PREMIER CHAPITRE: PROBLÉMATIQUE

1.1 La formation et l’enseignement, l’expérience de l’art

La formation universitaire en arts visuels offre généralement en milieu universitaire, deux orientations. L’une se veut une formation disciplinaire en arts visuels qui correspond à “l’orientation création”, et l’autre est une formation disciplinaire en arts visuels jumelée à la formation pédagogique se traduisant par “l’orientation éducation”. Initialement, ces deux orientations intègrent les concepts de formation, d’enseignement de l’art, de création et de pratique artistique. Concrètement, “l’orientation création” met l’emphase plus spécifiquement sur l’expérience artistique de la démarche de création (Gosselin, 1991;

Valéry, 1938) et sur la démarche pédagogique afin de former des enseignantes et enseignants en arts visuels au regard de l’éducation artistique. Notre recherche s’attarde à “l’orientation création”, où l’expérience artistique vise l’articulation entre les dimensions pratique et théorique soit la praxis, et tend à former des artistes. Cette formation en arts visuels, dite disciplinaire, questionne fondamentalement l’enseignement de l’art dans un cadre institutionnel où l’art est valorisé comme expérience esthétique (Dewey, 2010) et davantage accepté globalement aujourd’hui en tant qu’expérience de l’art, voire une expérience artistique (Lenain, 2002; Shusterman, 1992) de la création. L’expérience de l’art revisitée comme expérience formatrice artistique, représente la voie empruntée pour y investir l’objet de notre recherche, soit la formation professionnelle à une démarche artistique. De là l’importance de distinguer les concepts de formation, d’enseignement et d’expérience de l’art qui soulèvent la problématique fondamentale de l’enseignement de l’art.

La formation se distingue de l’enseignement, selon Fabre (1994), par «une logique de changement qualitatif de la personne, une centration sur le formé et la situation de formation, une articulation des savoirs aux problèmes, enfin une relative technicité des méthodes ou des dispositifs» (p. 30). Pour sa part, l’enseignement implique trois processus se définissant par enseigner, apprendre et former: enseigner privilégie la relation du maître au savoir; apprendre favorise la relation de l’élève au savoir; enfin, former vise la relation maître et élève. Ces trois processus forment le triangle maître, élève et savoir (Ibid.).

La formation et l’enseignement introduisent la possible articulation entre les savoirs pratique et théorique (Fabre, 1994). Charlot (1990) précise que «l’enseignement relève d’une logique du savoir, la formation d’une logique de la pratique» (In Fabre, 1994, p. 59). Une problématique d’enseignement est «centrée sur l’articulation d’une logique didactique des contenus et des méthodes à une logique psychologique de relation maître-élève et de développement personnel de l’élève» (Ibid., p. 65). En amont, la formation dote «l’individu de capacités définies par rapport à des situations réelles en leur complexité: des pratiques de références finalisées et contextualisées» (Ibid., p. 60). Le concept de capacité (Gingras-

Audet, 1986; Paillé, 2002, 2004; Valéry, 1957, 1961) est approfondi dans le cadre conceptuel.

Tout comme Fabre (1994), c’est le processus de formation qui nous intéresse a priori, dans le sens où former s’avère un processus, c’est-à-dire «former quelqu’un à quelque chose, par quelque chose et pour quelque chose» (p. 25). Fabre (1994), par le schéma 1 qui suit, décrit la dynamique du champ pédagogique, ou un modèle de la formation, en présentant la relation entre trois logiques dans un triangle. Il précise en ces termes: «le former “à” de la logique didactique, celle des contenus et des méthodes; le former “par” de la logique psychologique de l’évolution du formé; le former “pour” de la logique socio- économique de l’adaptation aux contextes culturels et professionnels» (Ibid., p. 26).

Schéma 1: Dynamique du champ pédagogique selon Fabre (1994)

C’est aussi au produit de la formation, que notre étude s’intéresse. Selon l’articulation entre les logiques de la dynamique du champ pédagogique ou modèle de la formation de

Fabre (1994), il est question «de formation professionnelle, de formation psychosociologique ou de formation didactique selon qu’il s’agit plutôt de préparation de métier, de développement personnel ou de construction de savoir» (Ibid.).

Pour saisir l’objet de notre recherche, la formation de l’artiste en arts visuels en milieu universitaire nécessite l’articulation entre ces trois logiques du modèle de la formation de Fabre (1994) et les savoirs concernés. Il faut comprendre l’articulation entre: 1) la pratique artistique professionnelle (le métier, le savoir-faire); 2) la démarche personnelle, la démarche artistique qui se révèle à travers la pratique de la création et la pratique artistique (le savoir-être, le savoir-devenir); 3) la transmission du savoir disciplinaire et des autres savoirs (savoir-savoir, savoir-être, savoir-faire).

L’articulation entre ces logiques de la pratique que soutient la formation et celles de la construction des savoirs qu’entraîne leur enseignement, contient les prémisses d’une médiation entre les savoirs pratique et théorique, soit la praxis, le savoir praxique de la discipline en arts visuels, le sujet apprenant et l’enseignant dans le contexte de formation.

Si la formation et l’enseignement démontrent, selon plusieurs auteurs (Fabre, 1994; Gouvernement du Québec1, 1984, In Legendre, 1993; Lamer et Maurice2, 1984, In Legendre, 1993; Reboul, 1980), leur logique propre et leur possible médiation entre la pratique, les savoirs et la personne enseignante, l’expérience formatrice par l’art (Dewey, 2010; Fabre, 1994; Shusterman, 1992) porte aussi sa propre logique.

En effet, l’expérience formatrice par l’art reconduit l’expérience esthétique promue à travers les œuvres et le temps et s’actualise au contact de l’art contemporain par l’utilisation du terme plus englobant d’expérience dite artistique. Cette expérience plus globalisante

1 Veuillez noter qu’il a été impossible de retracer la publication gouvernementale (Gouvernement du Québec,

1984) citée par Legendre (1993). Nous avons par ailleurs interpellé le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport à ce propos, qui ne l’ont plus dans leurs archives.

2 Veuillez noter qu’il a été impossible de retracer la publication de Lamer et Maurice (1984) publiée par le

Gouvernement du Québec. Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport n’ont plus ladite publication. Ainsi, nous indiquons de seconde source Legendre (1993) qui en a fait la référence.

introduit les points de vue externe et interne sur la formation par l’art, et effectivement sur la pratique artistique en arts visuels.

Du point de vue externe, l’expérience esthétique de l’art vise traditionnellement l’appréciation de l’œuvre d’art, l’expérience du moment esthétique ouvert à la connaissance et à la totalité (Dewey, 2010; Eco, 1965; Shusterman, 1992). Souriau (1990) définit l’expérience esthétique en distinguant celle du récepteur et du créateur. L’auteur mentionne la possibilité de faire cette expérience en dehors de l’art et dans l’expérience du faire (Ibid.). Dans ce rapport avec le récepteur, l’expérience nécessite un apprentissage à “l’esthétisable”, où se développe et se forme le goût. Selon Souriau (1990), cette formation à l’esthétique implique la culture dans le terme bildung, et encore davantage, l’institutionnalisation de l’art. De fait, «cette expérience ne s’inscrit pas seulement dans l’histoire de l’individu mais dans l’histoire du groupe social» (Ibid.). Par contre, plus près du point de vue interne, nous le verrons, Laurier (2003) parle de ce bildung en tant «qu’expérience d’un sujet dans sa quête de soi» (p. 4) et de son lien avec la formation et le sens de la création dans l’enseignement des arts.

D’autre part, d’un point de vue interne, l’expérience de la créatrice et du créateur s’inscrit dans l’expérience du faire, “l’œuvre en train de se faire” et la science de l’art, soit la poïétique (Passeron, 1989; Souriau, 1939). Cette position ouvre sur la dynamique d’un projet de création à réaliser impliquant un processus, un trajet ou un parcours et un produit, qu’est l’œuvre d’art. Notre recherche s’inspire du modèle des cinq phases du travail de la création (Anzieu, 1981), qui s’élabore entre le saisissement créateur et la diffusion de l’œuvre. Nous verrons ces phases du travail de la création plus approfondies dans le second chapitre. C’est ce dernier point de vue interne sur la pratique artistique et celle de la création – l’expérience artistique de la création, l’expérience dialectique entre le faire et le savoir, voire la poïétique plus que l’expérience esthétique visée particulière sur la finalité comme œuvre d’art –, qui circonscrit notre problématique.

En ce sens, Shusterman (1992) pose un nouveau regard sur l’expérience de l’art, la pratique de l’art et la théorie de l’art. Il considère l’expérience de l’art comme se rapprochant de l’expérience dite artistique, sous les trois aspects suivants: 1) une expérience de la réalité faisant partie de la vie, bien vivante, contrairement à la tradition classique où l’art est imitation fictive de la réalité; 2) une expérience admettant les dimensions pratiques et théoriques du travail sur le matériau compris à la fois comme pratique, humain, social et éducatif dans la projection d’une intention et son intégration à un tout satisfaisant; 3) une expérience de dépassement de tout l’être, qui se veut incarnée et engagée dans une réalité unifiée (Ibid.).

Selon Lenain (2002), l’expérience de l’art en art contemporain intègre tant une expérience esthétique qu’une expérience artistique. Il s’agit de cette capacité d’articulation entre l’ouverture à de multiples possibilités d’expression, a priori sans limites, et le questionnement suscité sur l’art en général, par les expériences artistiques contemporaines sans normes en rapport avec les expériences plus traditionnelles et leurs conventions. Cette nouvelle attitude procure à l’art «une autonomie radicale» (Ibid., p. 265) qui change entre autres la conception de l’expérience de l’art, son enseignement et la formation.

Les distinctions entre formation et enseignement, dans les rapports avec l’expérience formatrice par l’art, tendent à s’intégrer dans la formation universitaire des arts visuels. L’expérience formatrice par l’art, du point de vue artistique, de la poïétique plus que de l’esthétique, rejoint spécifiquement notre objet de recherche, se voulant ancré dans la pratique de la création ouverte sur les pratiques artistiques contemporaines. L’expérience formatrice par l’art agit dans ce contexte comme une articulation possible entre la formation et l’enseignement de l’art et entre la pratique et la construction des savoirs.

Les distinctions entre la formation, l’enseignement et l’expérience formatrice par l’art, suivies de leur intégration dans “l’orientation création”, posent les pierres angulaires d’une problématique de l’enseignement de l’art en milieu universitaire. Dans la voie de l’expérience artistique, les logiques du faire, issues de la pratique et du savoir ou de la

théorie, sont ainsi mises à contribution et doivent effectivement s’articuler dans l’action et la réflexion. Prendre conscience de l’expérience formatrice par l’art, c’est se rapprocher du phénomène artistique et de notre objet d’étude, qu’est la démarche artistique. C’est accepter la formation de l’artiste en milieu universitaire, la formation professionnelle, la formation artistique et le droit à un enseignement à caractère artistique.

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