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DEUXIÈME CHAPITRE: CADRE CONCEPTUEL

1.2 Le processus d’objectivation, les niveaux d’objectivité et une méthode opératoire

Le concept d’objectivation ne peut se définir sans la réalité d’un objet visé à conceptualiser. L’objet de notre recherche est l’objectivation du concept de démarche artistique, soit la recherche d’indicateurs la caractérisant dans le contexte d’une formation en arts visuels en milieu universitaire. Pour ce faire, la recherche scientifique établit des niveaux d’objectivité et une méthode opératoire qui reconnaissent l’évolution du concept d’objectivation comme processus et qui déterminent le rapprochement possible du savoir scientifique comme produit.

Pour accéder au niveau de “vérité” dite scientifique, il convient d’approfondir épistémologiquement le processus d’objectivation, c’est-à-dire au-delà de la critique (Lenoir et al., 2012). Pour ces auteurs, la ‘‘vérité’’ scientifique issue du processus d’objectivation nécessite donc un travail épistémologique de reconstruction et de critique de son processus historique de production et de reproduction, de sa genèse et de son maintien» (Ibid., p. 67). En ce sens, introduits par Lenoir (1993a) et repris par Lenoir et al. (2012) le processus d’objectivation se définit selon les cinq niveaux suivants.

Le processus d’objectivation dans son aspect du développement génétique de l’être humain.

Le processus d’objectivation dans sa dimension opératoire formelle vue sous l’angle statique de la validation méthodologique, c’est-à-dire en tant que mode d’application du processus de connaissance face à un objet constitué ou virtuellement définissable au sein d’un système opératoire (d’une problématique) scientifique déterminé a priori. Le processus d’objectivation dans sa dimension opératoire formelle vue sous l’angle dynamique d’une épistémologie critique du rapport d’objectivation, c’est-à-dire en tant que dialectique du discours par opposition au “discours de la méthode”.

Le processus d’objectivation en tant que dimension réelle et constitutive des rapports sociaux, c’est-à-dire en tant que dialectique du réel.

Le processus d’objectivation en tant que dialectique du développement historique, c’est-à-dire en tant qu’inscription de la dialectique du réel dans son cheminement historique. (Ibid., p. 86 )

Sur le plan de la recherche scientifique, les deuxième et troisième niveaux sont visés «en cherchant à dépasser le second niveau parce qu’ils relèvent de l’analyse des perspectives scientifiques dans leurs applications méthodologiques» (Ibid.) Le processus d’objectivation scientifique se réalise dans l’action, tel que compris

à travers un mouvement dialectique d’appréhension du réel (d’où la place fondamentale et prioritaire de l’action dans le processus d’objectivation), ce processus conduit à la formation progressive de schèmes opératoires de plus en plus autonomes dans leur construction à l’égard de la matérialité du réel, et à la construction objective de la réalité conceptualisée. (Ibid., p. 88)

L’objectivation, qui se veut scientifique dans ses rapports avec la réalité et l’action, reconnaît certaines capacités qu’il faut développer progressivement en tant que chercheure. Entre autres, «la capacité de poser en extériorité la totalité du concret-réel ou des segments de cette totalité afin de les considérer comme des objets d’étude» (Ibid., p. 83) s’avère à la base de cette reconnaisance dite scientifique.

Le processus d’objectivation scientifique se veut un processus progressif de construction des savoirs qui détermine des modes et des contenus spécifiques.

Il faut saisir que le concept d’objectivation s’accomplit par une construction de savoirs multiples et l’établissement de relations variées marquées par la médiation. Dans une perspective constructiviste selon Mucchielli (2004), la «connaissance humaine cherche à relier dans une totalité les phénomènes à partir d’un processus d’association conjonction» (p. 33). Dans cet esprit, «la recherche des relations entre les choses» (Kant, 1983, In Mucchielli, 2004) dévoile “l’ingenium” (sorte d’intuition) qui serait pour les constructivistes «cette faculté mentale qui permet de relier de manière rapide, appropriée et heureuse, des choses séparées» (Ibid.). La conception constructiviste de la connaissance met l’accent sur la capacité des individus à relier, à joindre et à associer des objets, liens et

phénomènes, plutôt qu’à les séparer. La rencontre de “l’ingenium”, dans la réalisation par exemple d’un projet de création, nous apparaît comme “l’euréka” d’Archimède (Koestler, 1965) ou le processus de “bisociation” de Koestler (1965). En effet, ces phénomènes décrivent la rencontre de deux axes en un point de convergence, marquent l’importance de l’entre-deux et d’une mise en commun produite par la médiation.

Dans cette perspective constructiviste du concept d’objectivation où la connaissance met l’accent sur la capacité des individus à relier les phénomènes, les actions et les savoirs, cette dernière est fondamentale pour notre démarche de recherche. Selon Lenoir (1996), dans la dialectique du réel, ses composantes sont les suivantes:

[…] tout processus cognitif d’objectivation, du point de vue de la dialectique du réel, se réalise dans l’interaction entre les trois composantes de base suivantes constitutives du système didacticopédagogique: premièrement, le sujet humain est producteur de la connaissance du réel et est transformé en retour du processus cognitif qu’il initie; deuxièmement, l’objet de connaissance est construit, circonscrit et défini comme objet d’étude désiré; troisièmement, le rapport cognitif s’établit entre le sujet et l’objet par l’entremise d’un système objectif de régulation (la médiation), constitutif de l’un et de l’autre, le sujet formant le terme actif du rapport. (p. 229)

Ces composantes ainsi relevées du processus d’objectivation dans la dialectique du réel selon Lenoir (1996), permettent un certain rapprochement avec l’objectivation d’une pratique artistique vue en temps réel à travers les étapes d’une démarche de création, entre l’intention de départ, la réalisation, la production finale, l’exposition et la diffusion. Aussi, nous comprenons que le processus d’objectivation relève de l’interaction entre ces composantes et ne peut s’engager sans le concept de médiation (Freitag, 1986; Lenoir, 1993b, 1996), concept retenu développé plus loin.

D’après Lenoir et al.(2012), l’objectivation est donc un «processus – et son résultat – de mise en extériorité d’un segment du réel, de la production d’un “objet” à appréhender conceptuellement» (p. 82). Le sujet qui appréhende un objet à conceptualiser, doit absolument mettre de côté la dimension subjective pour laisser place au processus

d’objectivation. Pour que cette “rupture” s’effectue, il faut recourir à “une médiation” (Ibid.) appliquée dans un système de régulation qui intervient dans tout processus d’apprentissage, dans les relations entre le sujet et l’objet, et la situation d’une pratique d’enseignement-apprentissage.

Plus près de l’objet de notre recherche, les travaux de Lenoir et Vanhulle (2006) poursuivent l’idée que la pratique dans son rapport avec l’enseignement est un processus d’objectivation

spécifiquement humain, concret et singulier, qui opère dans le contexte social et qui construit à la fois des objets que l’être humain produit (la réalité) ainsi et qui le produisent en retour par l’entremise des processus médiateurs types que sont le langage et le travail (compris au sens large) et qui agissent en tant que modes de régulation sociale. (p. 214)

Ce rapprochement avec la notion de pratique, voire même de praxis (Gramsci, 1975), poursuivi dans la philosophie de la praxis (Castoriadis, 1975; Lenoir et al., 2012; Lenoir, Maubant, Hasni, Lebrun, Zaid, Habboub et McConnel, 2007; Ricci et Bramant, 1975), est repris plus loin dans le développement du concept de médiation puisqu’elle est fondamentale pour la compréhension de l’évolution de notre démarche de recherche. Les divers points de vue énoncés sur le concept d’objectivation démontrent deux façons d’objectiver, soit accepter scientifiquement de construire à partir de savoirs théoriques déjà construits, soit en recherche exploratoire de construire la théorie à partir d’une pratique. La formation universitaire en arts visuels implique inévitablement la réalité d’une pratique avant toute chose. La théorisation sur l’art se construit sur, à travers, ou à partir de cette pratique. Elle débute par la démarche d’apprentissage qui ouvre sur des savoirs multiples, tant techniques, pratiques, théoriques, esthétiques, qu’artistiques. Cette réalité de la pratique dans le champ des arts visuels, combinée à la pratique d’enseignement, est considérée ici en relation avec la théorie, la réflexion et la critique dans le contexte de formation et d’éducation, et se rapproche du concept de la situation d’enseignement- apprentissage.

Pour compléter le processus d’objectivation et son opérationnalisation, la méthode opératoire, dans son rapport avec l’approche dialectique, considère l’effectuation d’une méthodologie d’opérationnalisation unique entre la théorie et la praxis dans la réalité. Cette méthode assure plus certainement l’objectivité du concept à atteindre pour notre recherche. Selon Lenoir et al.(2012), dans un tableau présentant diverses approches dont celle de la dialectique, pour la méthodologie se précise comme «Unité dialectique de la théorie (historico-critique) et de la pratique (empirique); Prise en compte des fonctions de sens et de valeur; Processus d’objectivation dans le rapport “sujet-objet”, dans l’histoire; Savoir tiré du rapport entre le sujet et son action sur l’objet» (p. 78). La méthode opératoire fait l’objet du troisième chapitre et approfondira les dispositifs d’une opérationnalisation dirigée.

La compréhension du concept d’objectivation passe par l’acceptation d’un engagement de la chercheure dans une démarche d’objectivité, qui rencontre dans la présente démarche de recherche en éducation liée au champ de l’art, le concept de démarche artistique, un concept appartenant à la subjectivité. C’est par l’approche dialectique entre les savoirs issus des champs de l’éducation et de l’art, tant pratique que théorique, et la médiation reconnaissant les divers niveaux de relations dans un processus d’enseignement-apprentissage, que l’objectivation sera rendue possible dans la situation visée du cours Projet de création.

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