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Une transformation profonde des structures sociales durant la période de reconstruction (1949-1956)

RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 2 Le mode de développement chinois

2.1. Aux origines du capitalisme chinois (259 av J-C 1978)

2.1.4. L’établissement d’un système monétaire-salarial (SMS) sous la période maoïste (1949-1978)

2.1.4.2. Une transformation profonde des structures sociales durant la période de reconstruction (1949-1956)

La lenteur de la réforme des entreprises contraste avec la rapidité de la réforme agraire lancée en 1950. La mobilisation des régions rurales avait commencé dès l’invasion japonaise, le PCC n’ayant pas attendu la fin de la guerre civile pour commencer la mise en pratique de certaines des idées socialistes. Mais la restructuration du monde paysan en collectivités communistes s’intensifie après 1949 dans une atmosphère de répression, accompagnée de procès expéditifs et d’exécutions de masse des propriétaires fonciers (Fairbank et Goldman,

102 Pour les historiens chinois, il ne s’agit cependant pas de nationalisation à proprement parler mais de

« transformation » (gaizuo), les entreprises passant d’un statut privé à mixte, sans expropriation, le propriétaire continuant à toucher de faibles dividendes (Bergère, 2007).

2010). La campagne de collectivisation de la production agricole, qui conduit à transformer l’ensemble des exploitations familiales en coopératives, n’en suscite pas moins l’enthousiasme des élites communistes et des paysans103. L’État s’impose alors comme le seul acheteur de produits agricoles et impose des quotas de production aux paysans, seuls quelques marchés informels restant tolérés en dehors de l’économie planifiée. Dès 1956, 98% des agriculteurs sont regroupés en coopératives. Le gouvernement impose enfin une distorsion des prix qui conduit à dévaloriser la production agricole au profit de la production industrielle, et peut alors focaliser l’essentiel de son attention sur les zones urbaines et l’industrie.

Les communistes au pouvoir se lancent également dans une transformation des structures sociales urbaines, mais de manière plus progressive que pour les institutions rurales. Dans une Chine largement agraire, l’État doit en effet « créer » presque ex nihilo la classe ouvrière, dont il fait sa base sociale. On ne comptait ainsi que trois millions de travailleurs dans le secondaire avant 1949, puis 15 millions en 1952 et enfin près de 70 millions en 1978 (Rocca, 2006). Proclamés « maîtres du régime », les ouvriers sont privilégiés en terme de prestige et de conditions d’existence, bénéficiant d’avantages sociaux importants au sein de leur unité de travail (danwei).

La priorité donnée au développement industriel dès l’arrivée du PCC aux commandes est très fortement inspirée du modèle soviétique, qui sert de ligne de conduite aux dirigeants chinois pendant leur première décennie au pouvoir104. En conformité avec la stratégie de son illustre voisin, le gouvernement porte ses efforts sur l’industrie lourde et intensive en capitaux (métaux, machinerie, chimie), plutôt que dans des secteurs intensifs en travail qui auraient peut-être mieux convenu aux spécificités démographiques du pays. La mise en œuvre d’une telle politique requiert une grande mobilisation de la puissance publique, mais la détermination des autorités est telle que le niveau d’investissement atteint 26% du PIB dès 1954105, un niveau particulièrement élevé pour un pays à ce niveau de développement. En dépit de la forte instabilité de la politique économique qui marque l’ère maoïste, l’impulsion donnée dans les premières années ne s’est pas relâchée ensuite. Durant la période qualifiée par Naughton de « Big Push », la production industrielle a ainsi crû de 11,5% par an entre 1952 et

103 Entre 1950 et 1952, 42% de la terre arable a été redistribuée aux paysans pauvres sous forme de petites

propriétés privées, confortant le soutien de la population au pouvoir en place (Naughton, 2007).

104 Cette collaboration se traduit par l’envoi de 6000 conseillers soviétiques en Chine, pendant que 10000

étudiants chinois prennent le chemin inverse. Elle a également un impact dans la géographie du développement industriel, le centre de gravité passant des provinces côtières à celles du Nord-Est, imprégnées par une grande influence de l’URSS.

1978, la part du secteur industriel dans la production nationale passant de 18% à 44% (Naughton, 1995, 2007).

Au-delà du niveau d’investissement, c’est l’ensemble de la mise en œuvre de la politique économique qui est calquée sur le modèle soviétique. À partir du lancement du premier plan quinquennal (1953-1957), l’État assigne des objectifs de production aux entreprises et décide de l’allocation des ressources entre les producteurs. Au niveau micro- économique, les prix ne jouent plus le rôle de validation de la production, et le PCC renforce son contrôle sur la gestion des entreprises par le biais d’un système d’organisation du personnel très hiérarchisé. La planification se développe néanmoins dans des conditions spécifiques au cadre chinois. Le moindre développement d’infrastructures de transport et de communication contribue à une décentralisation plus importante de la prise de décisions. L’un des rares indicateurs permettant d’attester de la spécificité de ce mode de régulation par rapport au modèle soviétique réside dans le nombre beaucoup moins important de biens dont l’allocation est dirigée par le Centre (voir graphique en annexe n°2.1 sur l’évolution du nombre de biens alloués par l’État). Par ailleurs, les firmes de taille réduite occupent en Chine un rôle beaucoup plus important qu’en URSS.

En se basant sur l’investissement public comme principal indicateur, Naughton propose une périodisation de la politique économique menée par le PCC durant la période maoïste (voir graphique n°2.1). Il parvient ainsi à mettre en évidence les liens entre un environnement politique instable, marqué par des luttes internes au Parti et des campagnes de mobilisation massive de la population, et l’inconstance de la politique macro-économique, qui alterne entre des phases d’irrationalité et de modération.

Graphique n°2.1: Evolution de l’investissement public d’une année sur l’autre (1953-1978) (%)

Source : Naughton, 2007, p. 63. ; BNS, 1999 ; Statistical Yearbook of China, différentes années

Graphique n°2.2 : Niveau d’investissement en proportion du PIB (1952-2004)

Source : Bureau National des Statistiques, 1999 ; Statistical Yearbook of China, différentes années, in Naughton (2007, p. 57)

Au lendemain de la guerre civile, la phase de rétablissement (1949-1952) est caractérisée par le succès de la réforme agraire et la restauration de l’appareil productif, la production dans les secteurs primaire et secondaire dépassant rapidement le niveau d’avant- guerre. Le gouvernement met également fin à l’hyperinflation qui minait alors le développement. Le premier plan quinquennal (1953-1957) est ensuite sujet à de nombreux ajustements, les questions principales qui se posent aux dirigeants ayant trait au degré de décentralisation nécessaire ainsi qu’au rythme des réformes à adopter. On note deux pics d’investissements durant cette période, le premier au lancement du plan, puis le second une fois la réforme agraire achevée et le mouvement de nationalisation des entreprises accompli. Sur le plan politique, le PCC invite au début de l’année 1957 les voix critiques à s’exprimer dans la lignée du mouvement de déstalinisation à l’œuvre en URSS. Mais le mouvement des « Cent Fleurs » cède rapidement la place à la répression anti-droitière (fin 1957) et au choc du « Grand Bond en Avant » (1958-1960).

À l’issue du premier plan quinquennal, Mao s’impatiente et se fixe pour objectif de rattraper la puissance industrielle britannique en quelques années. Mais « en réduisant massivement l’offre de travail et de terres disponibles pour la production alimentaire, et en augmentant les quotas obligatoires fournis à l’État, le virage à gauche de Mao condamnait les campagnes à la famine » (Aglietta et Guo, 2012, p. 81). Celle-ci causa la mort de 25 à 30 millions d’individus en deux ans106. Outre ce bilan désastreux, cette période est également celle de l’établissement des communes populaires dans les zones rurales, d’une plus grande décentralisation de la décision économique, et d’une tentative de « marcher sur ses deux jambes » dans l’industrie, en associant secteurs à faible contenu technologique et avancé. Le Grand Bond en Avant (GBA) s’est suivi d’une nécessaire phase de « réajustement » (1961- 1963), durant laquelle l’investissement est drastiquement réduit et 20 millions de travailleurs urbains sont renvoyés à la campagne. Des milliers d’usines sont alors fermées et le Centre cherche à reprendre le contrôle sur l’économie. Dans le secteur agricole, un espace est rouvert au marché pour que les paysans puissent y écouler une petite partie de leur production. Les planificateurs reviennent en outre sur les décisions extravagantes du GBA qui ont conduit à d’inestimables pertes de terrain et de forêt au profit du développement industriel.

106 Outre l’importance suffocante octroyée au développement industriel, parmi les décisions absurdes prises au

début du Grand Bond en Avant figure la « campagne des quatre nuisibles » (chu si hai yundong) durant laquelle les paysans et les écoliers de tout le pays sont mis à contribution pour exterminer les moineaux qui se nourrissent des graines de céréales (ainsi que les rats, les mouches et les moustiques). Cet acharnement a entraîné un déséquilibre écologique favorisant la prolifération de criquets, qui se sont alors trouvés sans prédateurs.

L’inauguration du « Troisième Front » (1964-1966) met fin à cette politique de modération et renoue avec une version plus militariste du « Big Push ». L’idée de Mao, qui s’est brouillé avec l’URSS et se voit menacé par les États-Unis au Vietnam, est de lancer la construction d’une base industrielle à l’intérieur des terres et de protéger ainsi les capacités chinoises en cas d’invasion. Pour la première fois, l’industrie n’est plus contenue dans les provinces côtières et fait tache d’huile dans le pays. Mais le rapide développement industriel engendré par cette stratégie est freiné durant la première phase de la Révolution Culturelle (1967-1969), qui, sur le plan de la politique économique, ne rejoint pas le degré d’incohérence de la fin de la décennie précédente. Entre 1969 et 1971, un nouveau « bond » est orchestré, mais cette fois-ci en évitant un détournement massif des ressources agricoles au profit de l’industrie. Les contradictions se font néanmoins ressentir à partir de 1971, et dans une période d’apaisement international marquée par la visite du président américain Nixon (1972), le premier ministre Zhou Enlai décide de modérer le rythme des investissements et de les réorienter vers les provinces côtières. Des biens d’équipement visant à construire onze grandes usines d’engrais sont également importés en provenance des États-Unis et des Pays- Bas. Enfin, alors que la santé de Zhou Enlai se détériore, Deng Xiaoping retrouve une place importante dans la direction de la stratégie économique à partir de 1974, avant d’être de nouveau écarté avec l’avènement de la « bande des quatre » en 1976.

Résultats intermédiaires : la période socialiste comme étape vers l’entrée dans le capitalisme

Adopter la perspective de Chavance sur la familiarité des systèmes monétaires- salariaux nous permet d’appréhender la transition d’une forme de proto-capitalisme au socialisme non pas comme une rupture, mais plutôt comme une étape dans la continuité vers la formation d’institutions de type capitaliste. On assiste en effet à partir de la fin des années 1970 à la métamorphose des catégories constituées et/ou unifiées sous la période maoïste (salaires, prix, monnaie, profits et capital). À un niveau plus concret, le décollage des années 1980 s’explique en grande partie par les avancées réalisées sous l’égide du PCC dans plusieurs domaines.

Sur le plan politique, l’arrivée des communistes au pouvoir met fin aux périodes d’occupation vécues comme un traumatisme par la population chinoise et ses dirigeants. Ce retour à la souveraineté nationale se fait certes à l’origine sous le bouclier de l’URSS, mais

sans présence belliciste sur le territoire chinois107. Le commerce avec l’étranger reste alors marginal. Libéré des pressions extérieures, le PCC s’est trouvé en mesure de renouer avec certains aspects du vieux système unitaire impérial, en parvenant à dissoudre ou à coopter l’ensemble des unités indépendantes de l’autorité centrale (Aglietta, Guo, 2012). Il s’est pour cela appuyé sur des campagnes de masse violentes et souvent irrationnelles sur le plan économique.

En plus d’être parvenu à amorcer un processus d’accumulation irrégulier, mais conséquent, le régime a également apporté à la population d’importants progrès sociaux dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale. Le succès du système de santé permet tout d’abord de réduire considérablement la mortalité infantile (de 200‰ en 1949 à 47‰ en 1974), tandis que l’espérance de vie passe de 42,2 ans en 1950 à 66,4 ans en 1982 pour les hommes, et de 45,6 à 69,4 pour les femmes. L’essor démographique est également soutenu par une politique nataliste qui conduit quasiment au doublement de la population en trente ans, de 552 millions d’individus en 1952 à 1,017 milliard en 1982 (Aglietta, Guo, 2012 ; Naughton, 2007). L’éducation est une autre priorité du gouvernement communiste qui parvient à lutter efficacement contre l’illettrisme, en particulier dans les zones rurales (Pairault, 2008; Huang, 2008)108. Cette appréciation relativement positive pourrait être poursuivie dans le domaine du niveau de vie par un simple regard porté sur l’évolution du PIB par habitant109. Mais cela reviendrait à fermer les yeux sur les années de famine, venues rappeler que les avancées de la période maoïste pouvaient à tout moment être balayées par les incohérences du pouvoir.

Et pourtant, la restructuration du monde paysan en collectivités a permis de rompre avec les institutions rurales de l’époque impériale et constitue un élément essentiel de l’explication du décollage des années 1980. Cette nouvelle organisation a permis d’introduire des engrais et de nouvelles variétés de grain, entraînant d’importants gains de productivité dans les années 1970. Un des obstacles à la hausse de la production industrielle – le flux limité de ressources des campagnes vers les villes – pouvait enfin être surmonté110. Aglietta et Guo réinterprètent ainsi les travaux de Naughton à l’aune de la dynamique de croissance

107 La Chine rompt d’ailleurs avec l’URSS en 1960, ce qui la conduit à se rapprocher du mouvement des « Non-

Alignés ».

108 En 1964, 33,6% de la population adulte était illettrée – dans l’incapacité d’identifier plus de 1500 caractères –

contre 22,8% en 1982 (malgré une stabilité en chiffres absolus, autour de 230 millions d’individus) (Huang, 2008).

109 S’il reste celui d’un pays pauvre, on note une légère amélioration sur l’ensemble de la période. Il faut

cependant attendre les années 1980 pour que le PIB par tête en parité de pouvoir d’achat dépasse enfin celui de l’Inde (Pairault, 2007, p. 47).

110 Nous verrons dans le chapitre 4 que ce flux s’est maintenu les décennies suivantes par une forme

inspirée des écrits d’Adam Smith. Selon eux, l’irrationalité des objectifs du Plan n’explique pas à elle seule les résultats en dents de scie de l’industrie sous la période maoïste. Si, à chaque accélération, le système s’est heurté à des limites, c’est également parce que la productivité agricole n’a pas cru assez rapidement pour libérer une main-d’œuvre susceptible de combler les besoins de l’industrie (voir tableau 2.2). En conséquence, « le revenu réel cesse de progresser et l’économie reste piégée dans un équilibre stationnaire : la croissance de l’économie ne dépasse pas la croissance de la population, et le revenu réel par tête stagne » (Aglietta et Guo, 2012, p. 83).

Tableau n°2.2 : Production agricole par tête (1955-1985) (en kg par habitant)

1955-57 1964-66 1977-79 1983-85 Grain 303 274 318 376 Huile comestible 7,5 4,9* 5,4 12,3 Viande 6,2** 7,6*** 9,3 15,1 Coton 2,4 2,8 2,2 4,8 *Seulement pour 1964-65 **Seulement pour 1957 ***Seulement pour 1965

Source : China Stastitical Yearbook 1989, in Naughton (1995, p. 53)

Dans l’industrie, la planification et la distorsion des prix ont pesé très lourd sur la société rurale et entraîné plusieurs périodes désastreuses. Elles ont cependant permis la construction d’une base industrielle, et notamment pour la première fois à l’intérieur du pays, avec la politique du « Troisème Front ». Si la croissance annuelle de l’économie atteint en moyenne 6% de 1952 à 1978, la part de l’industrie dans le PIB est passée sur la même période de 18 à 44%, pendant que celle de l’agriculture déclinait de 51 à 28%.

Au contraire de la régulation fordiste, le contrôle des salaires sous la période maoïste conduit à la fois à limiter les incitations matérielles susceptibles de mener à des gains de productivité industrielle, et contient les perspectives d’amélioration du niveau de vie. Si la population chinoise reste pauvre et les performances économiques instables, le contexte des années 1970 laisse entrevoir des perspectives d’amélioration. Outre la « révolution verte » évoquée précédemment, l’arrivée à l’âge adulte d’une population jeune et éduquée signifie l’explosion du nombre d’actifs susceptibles de prendre en main de nouvelles techniques industrielles. La combinaison de ces évolutions résulte en un surplus de main-d’œuvre rurale bénéficiant de garanties sociales moindres que la population urbaine, et qui a donc a priori

moins à perdre en cas de réforme111. Enfin, l’entrée de la Chine à l’ONU en 1971 (elle prend alors le siège de membre permanent au Conseil de Sécurité occupé depuis 1949 par la République de Chine, autre nom de Taiwan), suivie par la visite de Nixon en 1972 signe l’apaisement des tensions internationales.

Plutôt qu’une rupture intégrale avec la politique économique de l’époque maoïste, la stratégie de l’équipe dirigeante qui s’installe au pouvoir en 1978 est mieux comprise comme une tentative visant à s’appuyer sur les réussites passées tout en veillant à ne pas se fixer d’objectifs irrationnels dévastateurs pour la population chinoise. Ainsi comme le souligne Amartya Sen, “China’s relative advantage over India is a product of its pre-reform [pre-1979] groundwork rather than its post-reform redirection” (Sen, in Guruswamy et al., 2003, p.4749).

2.2. L’économie chinoise de 1978 à 2003 : une réentrée graduelle dans le

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