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L’ « économie socialiste de marché » et la restructuration des entreprises publiques (1992-2003)

RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 2 Le mode de développement chinois

2.2. L’économie chinoise de 1978 à 2003 : une réentrée graduelle dans le capitalisme

2.2.2. L’ « économie socialiste de marché » et la restructuration des entreprises publiques (1992-2003)

Les années 1993-1994 marquent l’accélération des réformes avec le lancement d’une politique visant à restructurer les grandes entreprises publiques123 et à privatiser les entreprises de taille restreinte, afin notamment de rétablir la capacité fiscale de l’État. La mise en œuvre de cette stratégie s’étale sur pas moins d’une décennie. Rappelons tout d’abord que dans les danwei, les tâches liées à la production (conception, gestion des fournisseurs, commercialisation et vente) étaient assurées par le planificateur, sous une contrainte budgétaire « lâche ». À l’inverse, leur fonction sociale était bien plus importante que celle des entreprises capitalistes, avec la prise en charge de la protection sociale et du logement, et l’imposition d’un intense contrôle social sur ses membres. À partir des années 1980, l’un des objectifs de la réforme consiste à internaliser les fonctions assumées par le Plan tout en externalisant les secondes (Pairault, 2008; Pairault, 2015; Naughton, 2007).

Pékin avait dans un premier temps promu le passage à une gestion déconcentrée accordant un rôle plus important aux localités, jusqu’aux réformes plus importantes de 1986. Mais ce n’est qu’en 1993 que le PCC accorde aux personnes morales la possibilité de détenir des droits patrimoniaux. La gestion comptable est également transformée cette même année, l’accent étant mis sur l’importance des transactions contractuelles et la gestion financière plutôt que sur la fabrication matérielle de biens. L’introduction d’un Code du travail en 1994 – qui signifie pour les travailleurs urbains la fin du « bol à riz en fer » – constitue une autre étape de la transformation des danwei en de véritables entreprises avec l’aboutissement du transfert de la gestion des ressources humaines amorcé en 1986 (Pairault, 2015).

Si les réformes de 1993-1994 ont permis de renouveler la fonction des entreprises publiques, l’objectif de la décennie 1990 consiste en fin de compte à les restructurer en les soumettant à des techniques de gestion relevant du droit privé, ou en d’autres termes, de mettre fin à la contrainte budgétaire « lâche » considérée comme responsable de la surchauffe

123La manière de qualifier ces entreprises varie d’un auteur à l’autre, les auteurs francophones utilisant

généralement le terme d’ « entreprises d’État », traduit de l’anglais « state-owned entreprises » (SOE). Nous optons ici pour la convention adoptée par Pairault et inspirée par la Comission européenne, qui permet d’éviter la confusion entre l’État en tant que personne morale et les institutions permettant d’administrer la nation : il parle d’entreprises publiques (ou à capitaux publics) pour évoquer « toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics

peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent et ce indépendamment de la forme juridique adoptée par cette entreprise (CEE, 1980). Le secteur des entreprises à capitaux publics ne peut être assimilé à un secteur d’État car c’est aujourd’hui en Chine un secteur d’entreprises vouées au marché et ayant une individualité juridique, patrimoniale et financière » (Pairault, 2015, p. 20).

de la décennie précédente. Plutôt que de viser leur privatisation, le code de 1993 sur les sociétés de capitaux (gongsifa) organise la dématérialisation du patrimoine national : « de détenteur de biens matériels tangibles, le peuple représenté par l’État [devient] détenteur de droits sur ces biens ou sur leur contrepartie quand ils ont été vendus, échangés, fusionnés... » (Pairault, 2015, p. 24). Cette réforme repose ainsi sur la distinction subtile entre droits de propriété et droits de détention (zhanyou), ces derniers introduisant une notion de révocabilité. De ce fait, « on autorise la gestion à titre privé de moyens de production toujours publics » (Pairault, 2015, p. 27).

Le processus s’accélère lors du XVe congrès du PCC en 1997, lorsque la décision est prise par Jiang Zemin et Zhu Rongji de « retenir les grandes et laisser les petites » entreprises (zhua da fang xiao). La plupart des PME sont alors mises en faillites, « louées » à des personnes privées, ou partiellement, voire complètement privatisées, tandis que les grandes entreprises sont transformées en sociétés par action124. Cette politique entraîne en quelques années une réduction de près de 40% du nombre d’entreprises industrielles appartenant à l’État, et la disparition de plusieurs dizaines de millions d’emplois publics dans les zones urbaines125.

Mais la dématérialisation des actifs d’État accroît malgré tout le risque de détournements et conduit à l’élaboration d’une série de lois et de règlements définissant les différentes formes d’entreprises. Et si le tableau en annexe n°2.5 montre l’importance croissante des entreprises de droit privé depuis cette époque, il ne permet pas de faire ressortir la part des entreprises à capitaux privés. « C’est là très évidemment l’expression du succès des réformes : avoir transformé des entreprises de droit public en entreprises de droit privé dont le financement public n’est plus la caractéristique immédiatement perceptible — même si cela résulte en partie d’un habillage sémantique » (Pairault, 2015, p. 32). La dématérialisation du patrimoine national impose en conséquence de renouveler sa gestion. La création de la State- owned Assets Supervision and Administration Commission du Conseil d’État (SASAC) en 2003 permet de fusionner les fonctions de différentes administrations en une seule structure

124Lors de ce congrès, Jiang Zemin a voulu favoriser la transformation des entreprises d’État en sociétés par

action afin de « clarifier les droits de propriété ». Mais la frénésie qui s’en est suivie, accompagnée de risques d’accaparements et de détournements d’actifs, a conduit le gouvernement à intervenir dès juillet 1998 pour éviter les dérives d’une privatisation incontrôlée (Pairault, 2007, 2015).

125 Les statistiques sur le sujet sont difficilement exploitables. Selon le Bureau National des Statistiques (BNS),

le nombre de ces entreprises passe approximativement de 100 000 à 61 000 de 1993 à 1999 (BNS, 2000, in Rocca, 2006).

chargée du contrôle des « entreprises centrales » (zhongyang qiye ou yangqi), c’est-à-dire les entreprises à capitaux publics sous la tutelle du gouvernement central (Pairault, 2015)126.

Deux périodes peuvent schématiquement être distinguées dans la période allant de 1978 à 2003. À la fin des années 1970, les dirigeants chinois opèrent un « réajustement » de la politique économique afin de rompre avec les excès de l’époque précédente. Dans les campagnes, les structures économiques et sociales évoluent rapidement, avec la fin des communes populaires, le lancement d’un mouvement migratoire de grande ampleur et le développement de petites structures industrielles très dynamiques. Le cœur de l’industrie urbaine reste quant à lui épargné à l’exception de quelques expérimentations telles que les zones économiques spéciales et la mise en place du système de responsabilité. Le processus s’accélère en revanche dans la première moitié des années 1990, les autorités veillant à maintenir un contrôle sur la restructuration des entreprises publiques afin d’éviter le « big bang » à la soviétique.

2.3. Identification de la configuration institutionnelle chinoise

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