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Les trois dimensions d'un système cohérent : partage équitable de la valeur ajoutée ; légitimité ; lien macro-micro

RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 1 L’approche en termes de régulation comme cadre d’analyse de la dynamique du capitalisme chinois

1.3. Analyser la « cohérence » des capitalismes

1.3.2. Les trois dimensions d'un système cohérent : partage équitable de la valeur ajoutée ; légitimité ; lien macro-micro

L’idée de cohérence n’est jamais très éloignée de la « viabilité » dans les travaux régulationnistes. Avant même que Sapir n'explicite le lien entre les travaux institutionnalistes et l'étude de la cohérence des systèmes économiques, Boyer avait lui-même eu recours à cette notion dans sa définition des « notions intermédiaires » (Boyer, 1986, p. 46), le régime d’accumulation étant présenté comme l’ensemble des régularités permettant une progression relativement cohérente de l’accumulation du capital, en dépit des contradictions inhérentes aux capitalismes. Quelques pages plus loin, la notion de régulation est explicitée comme suit : « [c]’est précisément la finalité de la notion de régulation que d’opérer ce passage entre un ensemble de rationalités limitées posant sur des décisions de production et d’échange, multiples et décentralisées, à la possibilité de cohérence dynamique de l’ensemble du système » (Boyer, 1986, p. 54) (souligné par nous)90. Billaudot, et surtout Sapir axent

87 Et inversement, le ralentissement du rythme d’accumulation risque de menacer la stabilité des règles

constitutives des formes institutionnelles.

88 Notre propos n’est pas ici de nier l’effort de conceptualisation, encore moins d’affirmer qu’il a échoué, mais

plutôt qu’il apparaît de manière disséminée dans les écrits. La caractérisation de l’objectif central de l’ATR apparaît souvent trop courte pour être claire, ou au contraire trop longue pour être aisément transmissible. Tenter de définir les différents critères de cohérence d’un mode de développement comporte nécessairement une dimension normative, mais apparaît néanmoins profitable à la clarté de notre démonstration.

89 Sur le plan méthodologique, une telle approche nous enjoint à élaborer un cadre permettant de faire le lien

entre le macro et le micro, entre la régulation au niveau systémique et le niveau de la production des règles, où celles-ci sont interprétées. Ce sera notamment l’objet du chapitre 6.

90 Dans un nouvel ouvrage de référence publié près de deux décennies plus tard, Boyer considère que la question

essentielle est celle de la « viabilité » d’une architecture institutionnelle (2004, p. 40), définition reprise par Chavance dans sa synthèse du courant régulationniste (2007).

également leurs réflexions sur cette notion de « cohérence » (voir chapitre 6) (Billaudot, 2001 ; Sapir, 1999).

La capacité d'un système à se reproduire dans le temps ne peut se réduire aux conditions du bouclage macro-économique. La réalisation de profits par les entreprises apparaît certes nécessaire, mais ne suffit pas à elle seule à l'appréhension du succès d'une économie capitaliste. Trois conditions supplémentaires doivent être remplies pour qu'une configuration institutionnelle soit considérée comme cohérente : elle doit permettre un partage relativement équitable de la valeur ajoutée ; susciter l'adhésion des principaux groupes sociaux ; cette légitimité devant trouver un écho au niveau des organisations.

L'appréhension de la cohérence d'un système commence par la soutenabilité dans l'ordre économique. Un apport majeur de l’approche en termes de régulation est de ne pas se limiter à la compétitivité de la production d'une économie ou à l'adéquation entre l'accumulation et les capacités de financement. L'une des principales caractéristiques du mode de régulation fordiste se trouve dans les arrangements octroyant une partie suffisante de la valeur ajoutée au travail, assurant ainsi la constance des débouchés pour les entreprises. Pour autant, la mesure du niveau d'inégalités jugé acceptable ne peut être objectivée dans des indicateurs quantitatifs de type coefficient de Gini. L'analyse doit se porter conjointement sur la « soutenabilité dans l’ordre des représentations » (Sapir, 1999, p. 204). C'est en ce sens qu'il convient d'expliciter plus clairement la dimension socio-politique et idéelle de la viabilité d'un système, sous-jacente, mais formalisée de manière fragmentaire par les auteurs régulationnistes.

Non loin de la question « pour qui produire ? », le capitalisme pose à un niveau plus fondamental la question du sens de l'accumulation (« pourquoi produire ? ») (Postel, Sobel, 2013). Tout autant que pour la précédente, une réponse collective doit y être apportée pour faire accepter la violence de la marchandisation du travail – et de l'environnement. Sans penser qu'un plébiscite par le plus grand nombre soit nécessaire à la viabilité du système capitaliste, on ne peut pas non plus considérer qu'il repose uniquement sur la coercition et la manipulation : il doit a minima susciter l'adhésion mesurée des principaux groupes sociaux pour que les règles soient stabilisées sans être constamment remises en cause. Chavance abonde en ce sens : « [l]a viabilité ou la soutenabilité doivent être comprises comme des notions multidimensionnelles qui incluent les aspects économiques et sociaux de même qu'une certaine forme de légitimité » (Chavance, 1999, p. 309).

La question du « vivre-ensemble » dans les sociétés capitalistes ne saurait cependant être résolue par la formulation de principes abstraits par un pouvoir lointain. La légitimité du

mode de régulation doit trouver écho au sein des organisations et être relayée par de puissants acteurs collectifs. La cohérence revêt par conséquent une dimension procédurale, des mécanismes devant permettre d'élaborer et de maintenir des compromis entre groupes d'acteurs sur une interprétation jugée acceptable du juste91. Prenant le contre-pied de la recherche de fondements micro à la macro, l’approche régulationniste s'appuie sur l'observation des formes institutionnelles pour repérer les régularités dans les comportements des organisations et des individus.

S'il est possible de synthétiser en quelques paragraphes ses principales dimensions, la cohérence n'en demeure pas moins difficile à modéliser. Le triptyque qui la caractérise – limitation des inégalités ; légitimité ; lien macro-micro – ne peut en effet s'observer que de manière dynamique (voir encadré n°4.2). Les rapports sociaux étant conflictuels par essence, la cohérence doit être comprise comme la capacité d’une société à absorber les chocs sans imploser. Elle n’est cependant pas nécessairement opposée à la crise, comme l’exprime Sapir en accord avec la tradition polanyienne : « il y a cohérence quand un certain type de crise s’avère pro-systémique et non anti-systémique […] [la crise] se nourrit des tensions qui résultent de remises en causes partielles, d'échecs limités, qui finissent par produire une représentation d'un besoin d'institutionnalisation supplémentaire dans le cadre des formes institutionnelles existantes » (Sapir, 1999, p. 204).

Encadré n°2.4 : Une analyse spatio-temporelle globale

Les auteurs régulationnistes ont recours à l'histoire plus encore qu'aux autres sciences sociales. Ils n’hésitent pas à prendre leurs distances avec une représentation de l’économie en tant que science prédictive, en soulignant le caractère incertain des périodes de crise et les vertus de l’analyse ex post. En fin de compte, seul le regard de l’historien permet de se prononcer avec certitude sur la période de viabilité d’un système, celle-ci étant mesurée à l’échelle de quelques décennies.

L’analyse doit non seulement s’inscrire dans le temps long, mais également être menée à l’échelle d’un système économique dans son ensemble. La complémentarité institutionnelle limite en effet la pertinence d’une étude confinée à un domaine de la régulation et qui omettrait de prendre en considération les interactions avec les autres formes institutionnelles92. Cette posture a par exemple conduit l’ATR à renouveler la prise en compte

du progrès technique, en refusant le déterminisme technologique des évolutions économiques. Le progrès technique doit en effet être étudié conjointement au mode de régulation, l’ATR questionnant sa « compatibilité », ou « cohérence », avec un ensemble de formes institutionnelles (Amable 2002, 237). Les caractéristiques techniques d’un mode de production ne peuvent ainsi constituer à elles seules un mode de régulation, la période fordiste ne pouvant être réduite au taylorisme.

91 Comme nous le verrons dans le chapitre 6, Reynaud s'est intéressée à la manière dont des principes généraux

de rémunération étaient interprétés au sein des entreprises. Dans la préface de son ouvrage de 1992, Aglietta s'inquiète de l'absence, dans les années 1980, d'une « valeur collective qui fait tenir ensemble les règles et qui

guide les interprétations menant à des compromis durables dans les négociations salariales. Cette valeur est un principe d'équité […]. Cette exigence n'a pas trouvé jusqu'ici de réponse institutionnelle adéquate » (Aglietta, préface de Reynaud, 1992, p. VII).

92 On retrouve ici l’idée exprimée par Boyer selon laquelle « une architecture est « viable » lorsque chaque

Contrairement à l’idée d’équilibre, l’instabilité est donc considérée comme consubstantielle au capitalisme. Mais lorsque celle-ci devient trop forte, lorsque les paramètres qui maintiennent la stabilité du système se trouvent altérés et conduisent à un processus de crise ouverte, l’approche régulationniste nécessite de nouveaux outils d’analyse pour étudier des phénomènes largement imprévisibles (Boyer, 2004). Dès lors que les contradictions ne peuvent plus être contenues au sein du mode de régulation en vigueur, l’enjeu ne se situe plus du côté des ajustements de la politique conjoncturelle, mais consiste à cerner les conditions d’émergence de nouveaux compromis établissant de nouvelles règles du jeu. L’économiste doit alors opter pour une approche transdisciplinaire, à la croisée des sciences politiques, de la sociologie et de l’histoire.

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