• Aucun résultat trouvé

RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 2 Le mode de développement chinois

2.2. L’économie chinoise de 1978 à 2003 : une réentrée graduelle dans le capitalisme

2.2.1. La « réorientation » de Deng Xiaoping

2.2.1.2. La libéralisation de l’industrie

En revanche, la libéralisation de l’industrie, qui se trouve au cœur du système fiscal et des investissements, apparaît plus délicate à mettre en œuvre. Dans un premier temps, la perspective d’une crise de l’énergie et les problèmes chroniques de sous-emploi incitent les planificateurs à favoriser l’industrie légère et intensive en travail. Le stock d’investissements est réduit de 1978 à 1981. Dans leur structure, l’industrie de biens de consommation est préférée à l’industrie lourde : alors que la production industrielle lourde stagne (-2,8%), celle des biens de consommation croît de 36% en deux ans.

À côté de la réorientation de la planification, des expériences donnant plus d’autonomie aux entreprises publiques sont lancées dès 1978 dans les provinces occidentales. Pilotées par Zhao Ziyang114, elles accordent une plus grande marge de manœuvre au personnel gestionnaire et lui permet de conserver une partie des profits réalisés. 6600 entreprises sont concernées en juin 1980. Mais craignant pour la réduction des revenus du Trésor, le Centre ralentit le rythme de cette réforme en 1981 (Pringle, 2011).

Ce dernier consent également à autoriser l’apparition de nouveaux producteurs dès 1979. La plupart des entreprises qui bénéficient alors de cette possibilité s’appuient sur une reconversion d’ateliers collectifs et d’entreprises de communes et de brigades en Entreprises de Bourgs et de Villages (EBV) (Piovani et Li, 2011). Leur dynamisme permet d’utiliser l’excédent de main-d’œuvre rurale en accordant aux paysans a possibilité de « quitter la terre, pas la campagne » (litu bu lixiang)115. Elles jouent un rôle prépondérant dans la première phase du décollage industriel, en posant les bases d’un modèle d’utilisation intensive du travail reposant sur une main-d’œuvre peu coûteuse116. 123 millions d’individus y sont employés en 1994 contre 28 millions en 1980 (CSY, 1995, in Bergère, 2007). L’appréhension du statut des EBV a posé des difficultés méthodologiques majeures : elles sont propriété des

113 Voir également les tableaux en annexes n°2.2 et n°2.3 sur l’évolution des revenus ruraux et urbains depuis

1978.

114 Ce « réformateur », tour à tour premier ministre puis secrétaire général du Parti dans les années 1980, reste

connu pour avoir pris la défense des protestataires de Tian An Men en 1989, s’opposant à la ligne conservatrice incarnée par le premier ministre de l’époque, Li Peng. Cette pris de position lui vaudra d’être placé en résidence surveillée jusqu’à sa mort, en 2005.

115 Cet objectif d’emploi de la main d’œuvre excédentaire est d’ailleurs explicitement fixé par les gouvernements

locaux.

116La production industrielle des entreprises de bourg est passée de 5,05% en 1978 à 14,2% en 1993. Celle des

gouvernements locaux, bénéficient d’un accès privilégié au crédit, mais ne sont pas pour autant « étatiques ». Elles sont généralement qualifiées d’entreprises « collectives », l’article 18 des régulations sur les EBV de 1990 plaçant leurs actifs sous la propriété de « tous les résidents ruraux du bourg ou du village » (Pringle, 2011, p. 33)117.

Des expériences au départ plus restreintes sont menées au sein des zones économies spéciales (ZES) établies en 1979 dans les provinces côtières historiquement tournées vers l’extérieur118. L’objectif est d’y attirer les investissements directs en provenance de l’étranger (IDE) et des technologies en faisant bénéficier les investisseurs de facilités légales et d’avantages fiscaux. Les usines qui s’y établissent ont recours à des travailleurs migrants originaires de zones rurales, posant ainsi les bases d’un mouvement migratoire et d’une relation salariale amenés à s’étendre au cours de la décennie suivante.

Si la croissance des années 1980 s’explique d’abord par les mesures de réorientation que nous venons de mentionner, c’est bien la décision de généraliser le « système de responsabilité du directeur » en 1986 qui constitue la rupture la plus importante vis-à-vis de la planification. À cette date, les réformateurs sont « de retour dans le siège conducteur » (Pringle, 2011, p. 26)119. La plus grande autonomie donnée aux entreprises publiques et la reconnaissance de leur personnalité juridique constituent la première étape dans l’abandon de la danwei, processus qui prend une tout autre ampleur dans la seconde moitié des années 1990 (Rocca, 2006 ; Pairault, 2008). Concrètement, les managers se voient accorder le pouvoir de fixer le prix de vente de leur production et de garder une partie des profits réalisés. Si bien qu’en 1987, seuls les prix de 60 produits sont encore fixés par la commission d’État au plan, contre 700 en 1978 l’État (Bergère, 2007 ; Huchet, 2014 ; Naughton, 1995) (voir tableau suivant).

117Huang propose quant à lui de résoudre le défi posé par les EBV aux économistes mainstream – pour lesquels

les entreprises aux droits de propriété non-clarifiés ne peuvent être performantes –, en considérant que 10 des 12 millions d’EBV étaient « complètement et manifestement privées » (Huang, 2008). Selon lui, leur définition fait avant tout référence à leur emplacement (situées en zones rurales) et non au type de propriété. Il s’agit selon lui d’entreprises indépendantes de l’État, fortement compétitives, et c’est d’ailleurs sur le dynamisme de cet entrepreneuriat rural que repose le succès des années 1980, en opposition au « capitalisme bureaucratique » de la décennie suivante. Kotz et Mc Donough évoquent quant à eux des entreprises de « propriété publique mais orientées vers le marché » (Kotz, Mc Donough, 2015).

118Quatre ZES ont été créées en 1979 dans les provinces du Guangdong et du Fujian, dans les villes de Shantou,

Shenzhen, Zhuhai, Xiamen. Quatorze villes furent ajoutées à cette liste en 1986.

119 Trois documents sont émis par le Conseil d’État et le département de l’organisation centrale du Parti et

Tableau n°2.3 : Type de prix en proportion des ventes totales (1978-1993)

1978 1985 1988 1990 1993

Marchand 3% 34% 49% 45% 95%

Supervisé Négligeable 19% 22% 25%

Fixé 97% 47% 29% 30% 5%

Sources : Tian Yuan et Qiao Gang, 1991 ; Sun Xiangyi 1993 ; Niu Genying 1994 ; Industrial statistics (différentes années), in Naughton (1995, p. 14)

Un pas est également fait la même année vers l’instauration d’une relation salariale capitaliste dans les entreprises publiques avec la possibilité donnée à leurs dirigeants de décider des compensations et de la durée des emplois. La contractualisation est donc réintroduite, mais l’attachement de la population au « bol à riz en fer » (tie fan wan) constitue alors un frein majeur à la mise en œuvre de cette mesure.

Les réformes mises en place dans les années 1980 sont graduelles, la stratégie des autorités chinoises reposant sur une réorientation de l’économie plutôt que sur une rupture radicale à la soviétique (Chavance, 1997 ; Naughton, 1995). Le secteur public est resté largement intact et l’introduction des mécanismes de marché s’est faite par la marge, dans des secteurs considérés comme non stratégiques, les décisions de refondre les institutions agricoles et de constituer des EBV de petite taille se montrant particulièrement adaptées au contexte chinois. À partir de la seconde moitié des années 1980, les mécanismes de marché ont pris de l’importance dans l’allocation des ressources, comme le montre le tableau en annexe n°2.4 concernant la production d’acier et sa répartition.

2.2.1.3. La « surchauffe » de 1988

Le poids de l’industrie dans la planification et le rôle de la danwei dans la socialisation de la classe ouvrière ont conduit les dirigeants à épargner les ouvriers dans la décennie 1980. L’État a également poursuivi sa politique de subvention de la population urbaine en revendant les produits agricoles à un prix inférieur à celui du marché. Mais le maintien d’une contrainte budgétaire « lâche »120 et la timidité de la réforme du système bancaire – qui doit supporter le creusement de l’endettement public – provoquent une accélération de l’inflation. Celle-ci atteint 18,8% et 18% en 1988 et 1989, tandis que les salaires restent contrôlés par l’État (Naughton, 1995 ; Zhu et Kotz, 2011). Les autorités proclament donc une « pause » dans les réformes afin de repenser leur rôle dans la régulation économique.

120 Les activités d’une organisation (que ce soit une entreprise ou un gouvernement local), sont sujettes à une

contrainte budgétaire « lâche », lorsqu’elles ne sont pas contraintes par leurs ressources propres (Kornai, 1999). En cas de déficit, elle peut en effet s’attendre à obtenir l’aide de l’échelon supérieur.

La reprise du contrôle des prix par l’État qui a suivi cette surchauffe témoigne du processus incrémental de la réforme dans la décennie 1980. La diminution des crédits accordés aux entreprises de bourg et de village entraîne une baisse du nombre d’emplois dans ce secteur pourtant dynamique, de 47,2 millions en 1988 à 45,9 millions en 1990 (Pringle, 2011). Le retour en arrière est encore plus important après la répression de Tian An Men, avec la montée des taxes et la multiplication des obstacles pour les entreprises n’appartenant pas à l’État (Breslin, 2004). Mais si les dirigeants ont un temps craint de voir le régime vaciller, la stratégie adoptée après trois années de « pause » consiste finalement à s’appuyer sur les réformes économiques pour se bâtir une nouvelle légitimité. L’adoption du concept d’« économie socialiste de marché » lors du XIVe congrès d’octobre 1992 incarne alors la synthèse entre le maintien de la prépondérance de la propriété publique des moyens de production et l’extension des mécanismes de marché dans l’allocation des ressources et la fixation des prix121.

La dégradation des finances publiques et la vitalité du secteur privé dans les années 1980 ne laissent pourtant de poser la question de la performance des entreprises publiques. Celles-ci ont souvent été analysées comme des mastodontes largement inefficaces. De fait, leur part dans la production industrielle a décliné beaucoup plus rapidement que la masse d’emplois publics. Elles consomment en outre de l’énergie et des ressources qui ne peuvent être allouées au reste de l’économie, ainsi que d’importantes subventions qui mettent en péril l’ensemble du système financier. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que dans une économie planifiée et peu ouverte, elles n’avaient pas pour but de maximiser les profits ou d’être compétitives au plan international. En l’absence de secteur privé, l’une de leurs fonctions consistait à absorber la force de travail urbaine excédentaire, quitte à être contraintes au sur-emploi. Leurs objectifs changent radicalement durant les années 1990. La montée en puissance d’autres types d’entreprises d’un côté122, et la dégradation financière des entreprises publiques de l’autre, incitent les autorités à promouvoir la compétitivité et la quête de profits au sein de ces dernières.

121 L’importance de la propriété publique semble même consacrée par la révision constitutionnelle de 1993: “the

state-owned economy, i.e. the socialist economy with ownership by the people as a whole, is the leading force in the national economy. The state will ensure the consolidation and development to the state-owned economy” (in Breslin, 2004, pp. 7-8).

122 Qu’elles soient collectives ou privées (cette dernière catégorie comprend les entreprises privées chinoises

ainsi que les joint-ventures établies en partenariat avec des étrangers). La part de la production industrielle des entreprises publiques chute ainsi de 54,4% à 34% (en valeur) entre 1990 et 1994 (China Statistical Yearbook, 1995). Ces dernières employaient par ailleurs 78,3% de la population urbaine en 1978, contre 60,1% en 1994. Mais du fait de la croissance de la population chinoise, l’emploi total y augmenta en réalité de 49% sur la même période.

2.2.2. L’ « économie socialiste de marché » et la restructuration des

Outline

Documents relatifs