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Les réponses gouvernementales à la contestation des nongmingong Les risques d’instabilité sociale et la volonté affichée de réorienter le mode de

RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 2 Le réveil des travailleurs migrants comme prélude au changement de mode de développement ?

2.3. Les réponses gouvernementales à la contestation des nongmingong Les risques d’instabilité sociale et la volonté affichée de réorienter le mode de

développement autour de la consommation intérieure ont fait prendre conscience aux autorités de la nécessité d’améliorer le cadre de protection des travailleurs. Mais la mise en place d’un droit du travail sur une base individualisée reste largement insuffisante pour contenir la conflictualité de la relation salariale capitaliste, le gouvernement restant réticent à accorder aux travailleurs les droits collectifs fondamentaux qui leur permettraient de faire face aux employeurs. Faute de pouvoir s’appuyer sur une action coordonnée avec le salariat, Pékin a

224 On peut d’ailleurs être surpris dans ces travaux par l’absence de retour sur le processus ayant pris place dans

la Chine au début du XXe siècle, à partir des travaux de Walder (1986). Celui-ci soutient que la formation d’une

conscience de classe était bien avancée dans les années 1920 mais qu’un retour en arrière a eu lieu sous la période révolutionnaire.

225 Dans un ouvrage issu de son travail de thèse, Chan considère que l’on se trouve dans une situation de « conflit

de classe sans organisation de classe » (Chan, 2010, p. 144 [traduction]).

226 Dans une démonstration plus radicale, Li considère que la conjonction de crises économique, sociale,

décidé d’une hausse régulière des salaires minimums depuis 2008, mais peine en revanche à imposer une protection sociale universelle.

2.3.1. Les tentatives de canalisation des conflits du travail sur une base individuelle

La (ré)-introduction d’un droit du travail à partir des années 1980 avait permis d’assurer la construction du « marché du travail » en Chine tout en apportant des garanties à la main-d’œuvre des entreprises d’État (Périsse, 2014). Mais en laissant de côté une part croissante du salariat227, elle est également à l’origine d’une montée de la conflictualité au sein de la société chinoise. Inspirée des travaux de Commons, Périsse considère que la « menace concurrentielle » – qui désigne la dégradation de la condition ouvrière lorsque l’employeur parvient à imposer ses conditions de bas salaires à tous les autres – a contribué à créer « une situation de subordination abusive, [qui] a fini par apparaître comme non raisonnable » (Périsse, 2014, p. 13) 228 . Face à la vulnérabilité des nongmingong, l’amélioration du droit a été perçue comme un moyen d’accroître la responsabilité des employeurs. Mais le refus de toute structuration de collectifs susceptibles de s’ériger en contre-pouvoirs en dehors du contrôle du PCC a poussé les autorités à privilégier des règles individualisées.

Afin de canaliser les conflits du travail, et face au rejet des mécanismes de médiation par les travailleurs migrants, les procédures d’arbitrage sont ainsi multipliées par 2,3 dans la première moitié des années 2000, soit une hausse moyenne de 18,4% par an (cf. tableau suivant). Selon le MOHRSS, les demandes d’arbitrage auraient augmenté de 97% la seule année 2007, soit juste avant l’entrée en vigueur de la loi sur les contrats (Pringle, 2011). Et si ces comités restent relativement difficiles d’accès aux travailleurs, les décisions leur sont en général favorables229. D’autres régulations visent également à renforcer la responsabilité de

227 Il s’agit pour Périsse d’une stratégie délibérée de construction d’un « marché du travail » dual, un double

système de contrats – l’un pour les urbains protégés (zhigong), l’autre pour les nongmingong – étant déjà inscrit dans les règlements de 1986. « En ceci, le Code du travail institue la protection du salarié contre l’insécurité

économique, mais il institue par là un non-statut pour les mingong : il n’a pas été conçu pour leur être appliqué, mais pour organiser la « marchandisation » de la force de travail urbaine des secteurs public (réformé) ou privé » (Périsse, 2014, p. 11).

228 Cette situation vient illustrer la thèse polanyienne selon laquelle dans le mode de production capitaliste, en

l’absence de contre-pouvoirs, tout converge vers une diminution des coûts de la marchandise fictive qu’est le travail, au détriment des sujets producteurs de travail (Alary, 2014).

229 Selon les statistiques officielles pour l’année 2006, Les procédures d’arbitrage sont favorables aux travailleurs

dans 47% des cas, contre seulement 12% de cas remportés par les employeurs (China Labour Statistical Yearbook, 2007).

l’employeur sur les questions liées à la sécurité sur le lieu de travail (2001) et sur les maladies du travail (2002).

Tableau n°4.1 :Total d’arbitrages de conflits du travail en RPC (1994-2006)

Année Conflits du travail arbitrés (cas)

Conflits du travail collectifs arbitrés (cas)*

Total d’employés impliqués

1994 19,098 1,482 77,794 1995 33,030 2,588 122,512 1996 47,951 3,150 189,120 1997 71,524 4,109 221,115 1998 93,649 6,767 358,531 1999 120,191 9,043 473,957 2000 135,206 8,247 422,617 2001 154,621 9,847 556,230 2002 184,116 11,024 608,396 2003 226,391 10,823 801,042 2004 260,471 19,241 764,981 2005 313,773 16,217 744,195 2006 317,162 13,977 679,312

* Note: les “conflits du travail collectifs arbitrés” sont définis comme des conflits arbitrés impliquant au moins trois travailleurs, et sont un sous-ensemble du nombre total de conflits arbitrés (conformément à l’article 5 de la régulation sur le traitement des conflits d’entreprise de la RPC).

Source : China Labour Statistical Yearbook, in Pun et al., (2010)

Parmi les principaux textes adoptés depuis 1994 (voir encadré n°4.3), la loi sur les contrats entrée en vigueur en 2008 revêt une importance toute particulière pour les travailleurs-migrants, à une époque où moins de 20% d’entre eux disposent effectivement d’un contrat de travail (Friedman et Lee, 2010; ITUC, 2010). Adoptée après trois années de consultations publiques et internes au PCC, elle fait vise à faire du CDI le contrat de référence, en encadrant plus strictement les contrats courts, tandis que la protection contre les licenciements se trouve renforcée (Périsse, 2014). Les pénalités à l’égard des employeurs sont également mieux spécifiées, notamment sur l’accès à la sécurité sociale (ITUC, 2010 ; Lee, 2009 ; CLB, 2012)230. Cette loi est ensuite complétée par l’entrée en vigueur du premier texte

230 Jusqu’au milieu des années 2000, l’ouverture internationale conduit le législateur à porter l’essentiel de son

attention sur le droit de l’entreprise (K.-W. Chan, 2012). Le processus d’adhésion à l’OMC a cependant incité les autorités chinoises à se préoccuper de manière formelle des régulations de travail, les pays membres devant en effet s’engager à respecter les standards de l’OIT depuis les conférences de Doha (1996) et de Singapour (2001). La Chine a ainsi ratifié quatre des huit Conventions principales de l’OIT – concernant le travail des enfants et les

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