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RSE et capitalisme en République Populaire de Chine

Section 1 L’approche en termes de régulation comme cadre d’analyse de la dynamique du capitalisme chinois

1.3. Analyser la « cohérence » des capitalismes

1.3.3. La cohérence introuvable au-delà de la période fordiste

En termes généraux, la cohérence est comprise comme la conjonction d’un régime d’accumulation à un mode de régulation. Cette adéquation est rendue possible par l’incorporation par les acteurs de conventions d’anticipation donnant lieu à des régularités partielles de comportements (Billaudot, 2001, p. 238). C’est donc par la réduction de la précarité de ces conventions qu’un couplage cohérent entre les deux peut être renforcé. Ce type de situation n’a été observé que pour la période fordiste, caractérisée par deux régulations partielles : le maintien sur une longue période d’un niveau élevé d’investissement du secteur privé repose à cette époque sur l’anticipation d’une forte consommation93. La progression quasi-continue de la demande globale dans la décennie suivant la Seconde Guerre mondiale permet aux entreprises de régler leurs comportements en intégrant cette convention d’anticipation. En parallèle, l’enchaînement – hausse de la consommation – extension quantitative des marchés – maintien d’une production de masse – gains de productivité permet aux « partenaires sociaux » de bâtir des compromis négociés sur la base de ces gains. Les conflits sociaux conduisent alors à un renforcement de la cohérence du système, le patronat pouvant compter sur l’amélioration structurelle de la productivité et l’intégrer dans les négociations salariales. La cohérence du mode de développement fordien se traduit en fin de compte par la synchronisation de la production et de la consommation de masse, entraînant

93 Si l’on en revient aux intuitions initiales de De Bernis, il n’est pas surprenant qu’une telle convergence entre

ainsi la « stabilisation » des conventions de comportements des représentants d’employeurs et de salariés94.

Alors que le succès de l’approche en termes de régulation s’est en grande partie construit sur son analyse de la période fordiste, la difficulté à caractériser le mode de développement lui ayant succédé a depuis nourri les critiques à son égard (Lamarche, 2012). Il est vrai qu’un certain flottement a pu être observé dans l’appellation des systèmes d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, entre capitalisme « patrimonial », « financier », « actionnarial » ou encore « post-fordiste ». Alors que son objectif principal consiste à comprendre les régularités d’un ensemble stabilisé, il apparaît en effet beaucoup plus délicat de caractériser un régime dont la cohérence reste largement introuvable95. Pourtant, ces imprécisions ne nous semblent pas en mesure de disqualifier les méthodes de l’approche en termes de régulation, qui, rappelons-le, se spécialise justement dans l’étude des crises en partant du constat de l’instabilité des capitalismes. Ces critiques semblent donc omettre l’accent mis par les régulationnistes sur l’adéquation entre les normes de production et de répartition, ou en d’autres termes, sur le progrès social et la lutte contre les inégalités dans la construction d’un ensemble stabilisé. En l’absence de telles circonstances, il est bien difficile de s’accorder sur la caractérisation d’un mode de développement.

En résumé, en se fondant sur l’idée que les économies capitalistes sont marquées par les contradictions, l’approche en termes de régulation se fixe pour objectif de faire ressortir les régularités qui conduisent à la cohérence d’un système. Celle-ci part du niveau le plus abstrait, celui des rapports sociaux fondamentaux, vers les compromis sociaux et les représentations des acteurs : la cohérence est en effet comprise comme la capacité d’un système à contenir les conflits au sein des sociétés capitalistes. Si de petites crises sont susceptibles de renforcer la cohérence d’un système, celui-ci est à terme condamné à entrer dans une crise ouverte, lorsque le mode de régulation en vigueur n’est plus en mesure de renouveler les compromis. Cette cohérence ne se vérifie en outre que globalement, tant sur le plan de la durée que sur celui des institutions qui forment un système, à l’échelle nationale.

94 Boyer et Freyssenet, lorsqu'ils caractérisent les huit modes de croissance connus au XXe siècle, distinguent

quatre formes de distribution (concurrentielle, pénurique, inégalitaire, et coordonnée nationalement et modérément hiérarchisée). Jusqu'à présent, seule cette dernière a contribué à la cohérence d'une configuration institutionnelle. Elle repose sur l'entente entre partenaires politiques, économiques, et sociaux sur l'augmentation de la masse salariale selon un critère macro-économique (Boyer, Freyssenet, 2000).

95 L’analyse de la cohérence d’un système ne peut se faire que de manière pondérée, sur un continuum. Parmi les

facteurs qui l’entravent aujourd’hui dans les économies capitalistes occidentales, nous pouvons retenir de manière non exhaustive et à des degrés divers selon les États : le rôle surdimensionné de la finance et des firmes multinationales ; l’accroissement des inégalités et de l’insécurité économique ; la crise de légitimité des institutions politiques aux niveaux nationaux, continentaux et international ; la dégradation de l'environnement.

Les déclinaisons du mode de développement fordiste dans la plupart des pays de la Triade dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale constituent à ce jour l’illustration la plus marquante d’une telle cohérence, caractérisée par la synchronisation des gains de productivité et de hausse des salaires, inscrite dans des compromis entre « partenaires sociaux ».

Cette section nous a permis d’expliciter notre inscription dans le courant régulationniste afin d’analyser le cadre institutionnel dans lequel se déploie la RSE chinoise. Cette école institutionnaliste contemporaine propose en effet une approche dynamique des institutions propice à l’étude du changement, ainis que des concepts susceptibles d’être adaptés aux diverses sociétés capitalistes étudiées. La section suivante s’appuie sur les développements précédents pour retracer les transformations du capitalisme chinois et caractériser la configuration institutionnelle actuelle.

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