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PARTIE II TOPONYMIE APPLIQUÉE

Chapitre 3 : Les toponymes et le bon usage de la langue

3.2. La politique linguistique onomastique en Pologne et en France

3.2.2. Tradition de la normalisation en France

La normalisation de la langue ne se fait pas de la même façon dans tous les pays.

L'État français se distingue dans sa politique linguistique des autres pays par sa grande ingérence dans le domaine de la langue95. La défense de la langue française a pris un sens très large et s'est répandue en tant que protection du style de vie, de l'identité culturelle, jusqu'à la dimension internationale et est devenue un élément important dans les relations internationales du pays (Pieńkos 1994). D'autres pays francophones, comme le Canada et la Belgique se sont réunis dans l'objectif de préserver la pureté de la langue française. La particularité de la politique française réside dans le fait de préserver le « génie de la langue » dans le sens diachronique (et non synchronique) pour que le français contemporain ne s'éloigne pas trop des œuvres classiques dont la langue doit rester compréhensible pour les francophones. Ceci fait une différence par rapport aux politiques des autres pays, qui mènent une politique synchronique (Pieńkos 1994 : 32).

La tradition de l’intervention des pouvoirs publics dans le domaine de la langue sous la forme d’une réglementation linguistique date du XVIe siècle avec l'Édit de Villers-Cotterêts en 1539, voire depuis le XVe siècle (Cortier 2003). Aujourd’hui l'Académie française est un organe qui sert à donner un avis sur des questions linguistiques, mais on peut noter qu’elle intervient moins qu'à l'époque où elle a été créée.

Néanmoins, la langue française est soumise aux règles du purisme national (Pieńkos 1994 : 29). L'attitude qui consiste à soumettre toutes les unités linguistiques à une seule norme, donc le français standard, s’est appliquée aussi aux toponymes. En France, la longue tradition d'uniformisation linguistique et de la soumission du territoire entier au pouvoir centralisé a effacé beaucoup des diversités régionales. Les toponymistes français constatent avec beaucoup de regret que le premier cadastre, dit

95 La langue française est non seulement protégée par la constitution, mais aussi codifiée par la législation, et cela dans plusieurs domaines. Ex. Guide de légistique http://www.legifrance.gouv.fr/Droit- francais/Guide-de-legistique/III.-Redaction-des-textes/3.3.-Langue-du-texte/3.3.1.-Syntaxe-vocabulaire-sigles-et-signes (consulté le 24 mars 2013).

napoléonien, réalisé dans la première décennie du XIXe siècle, a contribué à effacer dans une très grande mesure la diversité toponymique en France.

Selon E. Nègre (1963 : 193) le français est arrivé trop tard dans les provinces pour jouer un grand rôle dans la toponymie : les formations entièrement françaises sont très rares. Parmi les formations françaises on peut compter tous les noms de lieux créés à partir du Xe siècle. L’uniformisation concernait les dialectes d’oïl et consistait à supprimer les formes dialectales et à les remplacer par les formes correspondantes du français. Ainsi, p. ex. Eve et Aygue, dans les toponymes, sont remplacés par Eau.

« La présence sur le territoire de la France de sept langues ethniques (alsacien, basque, breton, catalan, corse, flamand, occitan) et la prédominance du français dans l’administration de tout cet ensemble linguistique a abouti à la francisation des toponymes autochtones. La graphie usuelle et officielle ne permet pas toujours de les reconnaître comme tels. (C'est) l’administration qui francisait la graphie et la phonétique par la graphie des toponymes dans les publications des cartes, guides touristiques, et des panneaux de signalisation routière, ainsi que tous les autres types d’information géographique ou territoriale. » (Baylon, Fabre 1982 : 194)

Le but d'une telle démarche était d'uniformiser des éléments différents, sans vraiment respecter l'authenticité des désignations toponymiques. Baylon et Fabre (1982:249) donnent des exemples de la Bretagne avec Guéned, Konkerné (et des dizaines d’autres), qui sont devenus Vannes et Concarneau, de l’Alsace où plusieurs noms comme Mülhausen, Strassburg, deviennent Mulhouse, Strasbourg, jusqu’au Sud et le Pays basque Sorohoeta est devenu Chéraute, le Sud central et le Sud oriental où Castelnòu ou Vilafranca occitans sont devenus Chateauneuf et Villefranche et El Voló, Odello catalans sont devenus Le Boulou et Odeillo. Cette uniformisation n'était pourtant pas systématique car certains noms, comme Prats-de-Mollo catalan sont restés intacts (Baylon, Fabre 1982 : 249). E. Nègre dans Les Noms de lieux en France (1963 :144-145) cite l'exemple de Saint Georges qui est un hagiotoponyme présent dans toute la France, mais avec des formes dialectales originales suivantes : Saint Joire (Meuse), Saint Jores (Manche), Saint Jure (Moselle), en territoire franco-provençal Saint Jeoires-Challes (Savoie) ; en territoire occitan Saint Jory (Haute Garonne), Saint Juéry (Tarn), Saint Géry (Rabastens, Tarn), Saint Jeure (Haute-Loire), Saint Jurs (Alpes de Haute-Provence), Saint-Geours (Landes), Saint Jordy (Aveyron).

Ainsi, l’uniformisation des toponymes représentait en réalité une assimilation des toponymes autochtones à la langue française. Elle a eu lieu en France depuis le cadastre napoléonien. Selon Baylon et Fabre elle est divisée en plusieurs types : la « francisation orthographique » de type Pèzenas pour Pesenàs, la « francisation phonétique » qui donne souvent par la suite une modification orthographique comme dans le cas de La Boissiera en occitan, prononcée /buisjεro/ modifié en La Boissière /bwasjεr/, la traduction intégrale comme Sant Jòrdi qui devient Saint-Georges, et la dernière façon mentionnée par Baylon et Fabre, qui est le changement autoritaire, comme La Sala (en Aveyron) qui est devenue Decazeville du nom du ministre Decazes.

Preserver la purete du français

À la différence de la toponymie polonaise, la toponymie française était politiquement stable mais intérieurement très diversifiée. On observe aujourd’hui une attitude complètement à l’opposé, celle de préserver la diversité linguistique de la toponymie.

Ce qui menace la toponymie contemporaine ce sont les noms étrangers employés à la place des noms français. Comme dans la polonaise, ce sont les médias qui introduisent beaucoup d'éléments étrangers dans la langue française et il s'agit entre autres des noms géographiques. Il est donc difficile de maintenir une bonne communication et la pureté de la langue en accord avec la règle d' « assurer la qualité de la langue française » valable depuis le XVIIe s. avec la création de l'Académie française.

A l'initiative du gouvernement français plusieurs organismes et agences publiques qui veillent sur la langue française ont été créés. Ils sont entièrement ou partiellement financés par le gouvernement français. Georges Pompidou, Premier ministre à l'époque, a créé sous son autorité le Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française, devenu plus tard le Haut comité pour la langue française, et depuis 2001 la Délégation générale à la langue française et aux langues de France96. C'était une sorte de réponse face à la mondialisation et aujourd’hui ces organismes visent aussi à garder et à défendre la diversité culturelle et linguistique de l'Europe.

96 Pour voir la mission et la structure de ces organismes cf. :

http://www.culture.gouv.fr/culture/dglf/lois/archives/histoire1.htm http://www.dglflf.culture.gouv.fr/dglf_presentation.htm

En France l’organisme principal pour la cartographie est l’Institut Géographique National et dans le domaine de la toponymie, la Commission de toponymie. L'institution qui mène des recherches scientifiques dans le domaine de la toponymie est la Société française d'onomastique (SFO) créée en 1960 qui est une association indépendante de toutes les institutions administratives.

L'organe responsable aujourd’hui de la normalisation de la toponymie est la Commission Nationale de Toponymie (CNT), rattachée au Conseil National de l’Information Géographique (CNIG - mandat CNT). La commission mène une collaboration étroite avec l'Institut Géographique National.