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Chapitre 3 : Une grammaire du toponyme

3.4. Les toponymes et les dictionnaires

L'absence des noms propres des dictionnaires est une question souvent évoquée par les linguistes. On la trouve notamment chez Alain Rey :

« (...) il faut mentionner l’important problème que pose l’absence des noms propres dans les dictionnaires de langue. En effet, les noms propres fournissent non seulement des lexicalisations (un harpagon) mais des monèmes productifs (marxiste, marxisme, martien). » (Rey 1977:30)

Chez Leroy (2004 : 41) : « les relations qu’entretiennent les dictionnaires et les noms propres sont assez compliquées. Les noms propres ne s'intègrent normalement pas (et ce depuis le XVIIe siècle- selon Fontant) à la nomenclature des dictionnaires de langue, qui ont pour règle d'écarter les noms propres lorsque ces derniers se réfèrent à un objet spécifique, unique (et ce selon Dubois J. et Dubois C. 1971). Ils sont en principe traités au sein d'ouvrages particuliers ».

Et cela est à cause de la séparation du nom propre du reste du lexique, qui est basée sur

« deux critères étroitement liés, celui de l’individualité et celui de sémantisme » (Graitson 1972 : 181-197). Ainsi, l'absence des noms propres des dictionnaires de langue s'explique par le fait que dans la linguistique traditionnelle, « les noms propres (…) désignent les individus ou des réalités individuelles. Celles-ci ne sauraient être définies, on peut seulement les décrire. En effet, elles ne correspondent pas à une idée générale, à un concept. La catégorie des noms propres ne pourrait donc être décrite que selon une structure non linguistique » (Rey 1977:73).

Les études contemporaines s'intéressent de plus en plus aux noms propres dans une perspective lexicographique. Comme le remarque Leroy, ce sont « les études de déonomastique dans le cadre de la lexicographie (qui) contribuent à l'inscription des noms propres dans le lexique » (Leroy 2004:57)58. Ainsi, il arrive souvent que ce ne soit pas le nom propre lui-même qui figure dans le dictionnaire, mais son dérivé. « On ignore en outre le fait que bon nombre de dérivés des noms propres (pas toujours les plus fréquents ni les plus employés) sont enregistrés dans des dictionnaires » (Leroy 2004 : 58). « La déonomastique s'intéresse donc aux noms propres lorsqu'ils ‘’ont perdu l'un des caractères qui faisaient d'eux un nom propre (et sont) passés dans le vocabulaire commun’’ mais ‘’elle ne néglige cependant pas l'éponyme, c'est-à-dire le nom propre qui se trouve à l'origine de la dérivation’’ » (Bernet : 1990 chez Leroy 2004:44). Par conséquent, on trouve dans les dictionnaires de langue des noms propres qui ont rejoint le lexique courant, et qui sont donc pourvus d’une définition linguistique : frigidaire, scotch, mobylette.

58 La déonomastique est une étude relativement récente. On y distingue des dérivés morphologiques, comme sadisme, narcissisme, etc et des dérivés sémantiques, comme poubelle, mécène, voire des unités phraséologiques figées (proverbes, locutions et expressions, lexies nominales complexes). Au sujet de l'antonomase du nom propre et de lexicalisation, nous renvoyons le lecteur à Leroy (2001).

Les noms propres sont rassemblés dans des dictionnaires spécialisés ou dans des ouvrages d’indexation informatifs et éducatifs que l’on appelle encyclopédies. Au sujet des toponymes, n'oublions pas de mentionner les dictionnaires étymologiques ou géographiques. Les premiers incluent tous les noms propres, et les seconds, les toponymes. Ce sont des dictionnaires conçus dans une démarche onomastique traditionnelle, à savoir diachronique. Les noms propres y sont représentés dans les stades de leur évolution dans les différents contextes socio-historiques. Ce ne sont pas pourtant des dictionnaires purement linguistiques, car comme le dit Leroy

« l'onomastique est donc de ce point de vue une science auxiliaire de la linguistique mais aussi de l'archéologie ou de l'histoire » (2004 : 43). Parmi ce type de dictionnaires, nous pouvons énumérer celui de Dauzat (1951), de Rostaing (1961), de Baylon et Fabre (1982) et pour l'onomastique polonaise l'encyclopédie de Rzetelska-Feleszko (2005), Malec (2003) ou les deux volumes de l’encyclopédie de l'onomastique slave Słowiańska onomastyka (réd. Rzetelska-Feleszko E. 2002-2003). Mais remarquons que dans ce type de dictionnaires nous ne trouverons que l'onomastique nationale. On n'y trouvera pas de noms propres étrangers (du point de vue synchronique), ce qui pour notre travail aurait été intéressant. Les seules formes étrangères qui figurent dans ces dictionnaires sont les racines ou bases étymologiquement étrangères.

Toujours est-il que les dictionnaires des noms propres sont une invention assez récente par rapport aux dictionnaires des langues. Mais puisque les définitions des noms propres n’existent pas, ils y sont présentés à l’aide des descriptions et des caractéristiques des objets auxquels ils réfèrent, de telle sorte que les dictionnaires de noms propres ont une forme et un contenu plutôt encyclopédiques :

« (...) Les dictionnaires ne comportant que des noms propres appartiennent obligatoirement au type encyclopédique. On dira simplement que le nom propre, par ses caractères lexicaux (...) et sémantiques (…) perturbe considérablement la description lexicographique normale : les dictionnaires qui « traitent » les noms propres le font tout autrement que ceux qui analysent le reste du lexique. » (Rey 1977:73)

Selon Gary-Prieur (1994) c'est d'ailleurs ce caractère encyclopédique qui justifie, sur le plan linguistique, l'existence de dictionnaires spécifiques pour les noms propres.

Un nom propre se caractérise en effet par sa relation à un référent initial, et ne peut être employé sans que soit présupposée une connaissance de ce référent, partagée par les

interlocuteurs. Lorsqu'un énoncé comporte un nom propre qui n'évoque rien dans l'esprit du destinataire, ce dernier peut recourir au dictionnaire pour compléter sa compréhension de l'énoncé. On pourrait donc concevoir le dictionnaire des noms propres comme un modèle d'un aspect de la compétence du sujet parlant, dans la mesure où il fournit les connaissances requises dans une communauté linguistique pour interpréter les noms propres. Il reste à savoir si un tel dictionnaire remplit effectivement ce rôle. « Alors que l’interprétation d’un nom commun ne met en jeu que la compétence lexicale, celle du nom propre requiert presque toujours une mise en relation avec le référent initial, qui mobilise des connaissances discursives » (Gary-Prieur 1994:7). Et « cela illustre la ‘’structure double’’ de ces signes qui ne peuvent se définir en dehors d'un renvoi au code » (Jakobson 1963:177).

Ainsi, le nom propre, contrairement à ce que pourrait faire croire le titre de Petit Robert des Noms Propres, n'est pas l'objet du dictionnaire, mais l'instrument d'accès à une culture. Ainsi les entrées du dictionnaire « classique » aident-elles à la compréhension des discours, tandis que les dictionnaires des noms propres offrent des connaissances sur le monde comme le dit Gary-Prieur (1991a).

Passons à la macrostructure des dictionnaires des noms propres. Ils recueillent bien évidemment uniquement les noms propres notoires. « On ne s'attend naturellement pas à trouver des prénoms ou des patronymes banals, puisque ce sont les êtres, les référents, qui sont recensés et non les formes linguistiques pour elles-mêmes » (Leroy 2004:45). Et le choix des entrées dans ces dictionnaires relève de la culture dont parle Gary-Prieur. Ainsi, on ne trouvera pas les mêmes noms dans un dictionnaire des noms propres destinés aux locuteurs de différentes langues. Et il est indispensable de faire ce choix car le dictionnaire des noms propres doit rester « un volume maniable » (Rey 2011), c’est-à-dire qu’il ne doit pas dépasser un certain nombre de pages (Le Petit Robert des noms propres 2011 compte environ 2700 pages). La sélection ne peut néanmoins pas s’opérer sans règles, de façon aléatoire. Elle est donc régie par le critère de la notoriété. Mais la notoriété est subjective. Elle ne signifie pas que l’on porte un jugement de valeur positif sur la personne, le lieu, l’objet ou l’événement retenu, mais que celle-ci ou celui-ci a une « importance relative » au sein de la communauté linguistique. Et c’est la communauté francophone française dans son ensemble qui est visée par les choix des éditeurs des dictionnaires français. C’est ce même principe de notoriété qui fait que le dictionnaire des noms propres évolue au fil des ans. De nouvelles entrées font leur apparition, d’autres disparaissent (à plus grande échelle que

dans le dictionnaire « classique »). Et même si certaines entrées peuvent paraître obscures au lecteur d’aujourd’hui, elles sont conservées car jugées d’importance par l’équipe éditorialiste (d’après Rey 2011 : Intro).

En ce qui concerne notre recherche, nous avons analysé brièvement les toponymes polonais dans les dictionnaires des noms propres français. Alain Rey dans la présentation du dictionnaire (1993 : XV-XVI) écrit ainsi sur le choix des noms de lieux :

« Pour les lieux, le choix est relativement simple. Outre les noms des États actuels et des principales nations du passé, le dictionnaire présente une abondante sélection de noms géographiques. Bien entendu, l’optique n’est pas quelconque : la France et les pays francophones, ses voisins européens et méditerranéens, les grandes puissances (Etats-Unis, U.R.S.S., (sic !), Chine) sont relativement mieux décrits que d’autres régions du globe. (…) Bien entendu, chaque secteur géographique a été traité selon des critères spécifiques : à l’intérieur de chaque domaine une hiérarchie a été établie et respectée (…). C’est que l’importance en question n’est pas seulement affaire de chiffres. Elle s’identifie à un rapport de connaissances, où le sujet du savoir compte autant que son objet. Le critère pour le choix de villes peut par exemple être l’importance quantitative, mais il ne peut se limiter à ça, car on trouve aussi les lieux (villes, villages ou lieux-dits) où un événement notable s’est déroulé, ceux qui possèdent un témoignage de culture, une curiosité naturelle ou une entité économique importante ne sont soumis à aucun filtre quantitatif. »

Nous allons justement analyser l’aspect culturel et symbolique des noms de lieux dans la partie suivante. Pour revenir à la citation, dans le Petit Robert 2 Dictionnaire universel des noms propres (1993), parmi les toponymes polonais nous trouvons des entrées telles que : la rivière Warta – avec la description de début de son cours, et des principaux affluents. On y trouve également des noms de régions comme Mazurie et Mazovie, uniquement sous les formes françaises, avec le nom polonais entre parenthèses, dotés d’informations encyclopédiques. La région de Silésie figure uniquement avec l’entrée en français en tant que :

Silésie (en pol. Ślask (sic ! Śląsk), en all. Schlesien) - avec la description géographique et historique qui englobe toute la Silésie

Silésie (basse, en pol. Nizina Ślaska (sic ! Śląska) - avec la description encyclopédique concernant les sources minières.

Silésie (haute, en pol. Wyzyna Ślaska (sic ! Wyżyna Śląska) ou Górny Śląsk) - avec la description de l’industrie de la région.

Le nom polonais de la capitale Warszawa figure uniquement avec le renvoi au nom français : Warszawa – nom polonais de Varsovie, et pareil pour Kraków – nom polonais de Cracovie. Dans les entrées Cracovie et Varsovie, on retrouve ensuite de vastes descriptions quant à la géographie, la fonction, l’économie, l’architecture et aussi l’histoire de ces deux villes. Sous l’entrée Varsovie, on trouve également « Varsovie (pacte de) » qui renvoie à l’événement historique, donc qui est un praxonyme et non un toponyme. Vistule ne figure que sous l’entrée en langue française avec l’explication sur le fait qu’il s’agit du nom français de Wisła et avec les informations géographiques sur le fleuve. Il en est de même pour Tatras n.f.pl. (en pol. Tatry) entrée suivie d’une description encyclopédique.

On trouve également dans ce dictionnaire une entrée qui pourrait surprendre un Polonais : Zyrardów (sic ! le nom est mal écrit, car l’orthographe de ce toponyme est : Żyrardów) avec l’information : « V. de Pologne, (voïvodie de Varsovie). 29 600 hab. - Indus. Textilles. – La ville doit son nom à l’industriel français Philippe de Girard qui y installa en 1833 des métiers à filer de son invention ».

Dans le Petit Larousse illustré (éd. 1994) on ne trouve pas Silésie, mais : Silésien,enne adj. et n. de la Silésie. L’entrée en polonais Warszawa est un renvoi à Varsovie, à côté de laquelle on trouve deux mêmes entrées qui figurent déjà dans le Petit Robert : Varsovie (convention de) (1929) qui renvoie à un autre événement historique.

Le choix des toponymes dans les dictionnaires francophones est déterminé par la culture et la notoriété du point de vue francophone. C’est pour cela, d’ailleurs, que nous n’avons pas limité notre recherche d’exemples à l'analyse des dictionnaires. En réalité, les « dictionnaires des noms propres » nous semblent être les dernières sources de recherche des toponymes utilisées dans les langues étrangères. La question qui se pose est donc la suivante : où est-ce qu'on trouve les toponymes ? Nous répondrons que ce ne sera certainement pas dans les dictionnaires, car nous n'y trouverons pas plus d'une dizaine d’entrées de type encyclopédique. Nous les trouverons sur les cartes, dans les guides touristiques qui constitueront pour nous une matière propre à enrichir notre analyse. Par la suite, pour analyser les exonymes, il faut chercher des exemples tant au niveau officiel qu’officieux, tant dans les publications que dans la langue parlée, et cela dans les différents contextes et différents types de publications.