• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Une grammaire du toponyme

3.1. Critères et caractéristiques dans la grammaire traditionnelle

3.1.3. Caractéristiques morphologiques des toponymes comparées aux caractéristiques générales des noms propres générales des noms propres

3.1.3.6. Article syntaxique des toponymes français

3.1.3.6. Article syntaxique des toponymes français

En ce qui concerne les toponymes comme les noms de pays, de régions ou de cours d’eau, et évidemment tous les toponymes mixtes, ils s’emploient toujours avec un article syntaxique (non lexical). Il s’agit toujours d’un article défini. Un article syntaxique est complètement autonome, il fonctionne comme un article typique dans le discours et il disparaît une fois que le nom en question est utilisé sur une carte ou figure dans un dictionnaire. Ex. : la Pologne, la Bretagne, la Seine -> Pologne, Bretagne, Seine, mais non

*Pologne (La), Bretagne (La), Seine (La) – comme le remarque Leroy. En revanche, la suppression est impossible avec l'article lexical, qui apparaît toujours sur la carte et qui peut être modifié uniquement dans le cas de la contraction avec la préposition : au Mans, mais non :*ce Mans, *Mans.

Certes, nous observons une omission de l’article dans la majorité des noms propres, et c’est ainsi d’ailleurs que l’on définit les noms propres, mais les toponymes qui apparaissent dans un contexte syntaxique avec un article syntaxique ne sont guère une simple irrégularité linguistique. Ce phénomène s’explique par la fonction et le rôle de l’article dans certains cas. Gary-Prieur l’explique par la production d’une « anaphore mémorielle » installant une unicité référentielle extérieure, indépendante de la situation

d’énonciation (Leroy 2004 : 56). Si cette unicité référentielle n’est pas assurée pour les noms de personnes et de villes, puisqu’il y a plusieurs Richard, Marie, etc. et plusieurs villes Vienne, Valence, elle l’est pour les noms de pays car « la terre est totalement explorée et deux pays distincts ne peuvent pas avoir le même nom » (Gary-Prieur 1994 : 228). Leroy (2004 :56) constate que « Pour les noms de personnes ou de villes dépourvus d’article, l’ambiguïté référentielle n’est résolue que par un acte d’énonciation, l’occurrence de ce nom propre sera associée à un référent unique », tandis que « pour les noms géographiques à l’article contraint, au contraire, l’unité référentielle est indépendante de l’acte d’énonciation, mais posée antérieurement, au niveau de la langue et non de l’énoncé – ce qui justifie le terme d’article lexical ».

Ainsi, nous nous rapprochons du concept de prototype du nom propre : « Cette absence d’ambiguïté référentielle fait des noms de pays déterminés « les seuls vrais noms propres » (Gary-Prieur 1994 : 240). N'oublions pas que l’article syntaxique est aussi toujours présent dans l’emploi des hydronymes, comme les fleuves, rivières, mers, océans, les oronymes et continents. L'article syntaxique employé avec des grandes entités, comme les continents, océans, mers, chaînes de montagne, confirme la théorie de Gary-Prieur, mais remarquons qu’il arrive que les rivières ou ruisseaux de l'Europe aient le même nom ou du point de vue étymologique, aient la même racine indo-européenne. Du point de vue synchronique, ils ont des formes différentes, donc on peut dire qu’effectivement il n'y a pas d’ambiguïté référentielle.

Michelle Noailly (1995) complète la théorie de Gary-Prieur avec une explication historique de l’article. Elle met en parallèle les notions abstraites et les noms qu’on appréhende mal en totalité, comme les noms de pays, de rivières, de mers, etc. Et, selon la linguiste, « le rôle du déterminant défini contraint serait de donner du référent une appréhension globale construite ». Selon Leroy (2004 :54), « l’unicité référentielle ne s’imposant pas d’elle-même, pour des noms désignant des entités qu’on appréhende mal, l’article défini renforce l’idée globalisante d’un tout clos et homogène ». Selon Leroy, cette hypothèse s’écarte dans sa conclusion de la précédente et elle rapproche le fonctionnement des noms propres de celui des noms communs abstraits qui peuvent être situés à mi-chemin de ces deux catégories, c'est-à-dire, celles du nom propre et du nom commun.

3.1.3.7. Flexion casuelle des toponymes polonais

Pour la plupart des noms propres, la déclinaison dans la langue polonaise présente les mêmes paradigmes que celle des noms communs. Les paradigmes de la déclinaison polonaise sont différents pour les noms animés et pour les non-animés et varient selon les terminaisons des radicaux des noms. Il n'existe pas un paradigme de déclinaison particulier pour les noms propres.

La flexion casuelle des noms propres a suscité beaucoup d’intérêt chez les linguistes polonais. Déjà, dans les années 50, Pawłowski (1951) et Górny (1957) ont montré les différences flexionnelles des noms de rues et des anthroponymes. Ce qui n'est pas contradictoire avec notre constatation faite auparavant, puisque les anthroponymes sont des noms humains et les odonymes, des noms non-humains, donc non-animés.

Il est surtout intéressant de souligner les différences flexionnelles des noms propres motivés des appellatifs et des appellatifs leur correspondant. Ces différences sont, selon les linguistes, des indicateurs de la qualité propriale de ces appellations, ou comme dit Kaleta (2005 a : 37), de la « proprialité », qui fait de ces appellations de vrais noms propres. Ainsi, le nom de famille Kot prend au datif la terminaison –owi : Kotowi et pas –u comme l’appellatif kot (chat) : kotu. On observe également l’absence d’alternance.

Par exemple, dans le nom de famille Gołąb, la forme du génitif singulier Gołąba n’a pas d’alternance vocalique de ą : ę ni consonantique b : bi comme c’est le cas dans le nom commun gołąb (pigeon) dont la forme du génitif singulier est gołębia :

gołąb (N.c.) → génitif singulier : gołębia Gołąb (N.p.) → génitif singulier : Gołąba

Ce qui est surtout intéressant pour notre thèse, c’est la flexion des toponymes. On observe un phénomène identique à celui que l’on trouve parmi les anthroponymes, c’est-à-dire une déclinaison différente des noms propres et des appellatifs qui les motivent.

Par exemple l’expression nowy świat (‘nouveau monde’) se fléchit selon le paradigme de la déclinaison des noms communs, ainsi la forme du génitif singulier est nowego świata, alors que l’odonyme Nowy Świat, nom d’une rue dans le centre de Varsovie, prend au génitif la forme suivante : Nowego Światu.

nowy świat (N.C.) → génitif singulier nowego świata

Nowy Świat (N.Pr.) → génitif singulier Nowego Światu

Cette différence de paradigmes de déclinaison peut avoir une fonction distinctive.

Puisque la langue est un système parfait, selon Saussure (1916), les différences flexionnelles des noms propres par rapport aux noms communs qui les motivent réalisent une sorte de « désambigüation ».

Jusqu'ici, la flexion du nom propre ne présente donc pas de caractéristiques complètement différentes de celle du nom commun. Les noms propres polonais, avec quelques différences subtiles, subissent en général la même déclinaison que les noms communs, avec les mêmes alternances vocaliques et consonantiques. Ex :

Warszawa → w Warszawie (locatif singulier) trawa → w trawie (locatif singulier)

On observe néanmoins un « blocage » de la déclinaison de certains toponymes. Il y a par exemple un type d’odonymes polonais qui ne subissent aucune flexion, comme le nom de la rue Rozbrat qui a, dans tous les cas, la même forme : Rozbrat → Ø. Ce type de noms propres polonais a été étudié par Handke (1989).

En ce qui concerne la déclinaison des oïkonymes, elle présente des cas irréguliers.

Les noms de villes polonaises du genre masculin prennent la désinence –a au génitif : Torunia, Gdańska, etc. On observe néanmoins une hésitation entre –a et –u dans les noms avec un suffixe43 –gród et –brzeg. Ensuite, les noms polonisés de villes étrangères prennent également la désinence –a : Berlina, Paryża, etc. mais il y a des noms de villes étrangères polonisés qui prennent la désinence –u : Londynu, Rzymu, etc., même les noms de villes non européennes : Meksyku. Les noms de villes étrangères non polonisés qui présentent des structures morphologiques « acceptables » pour la langue polonaise prennent également la désinence –u : Dortmundu, Yorku, etc. Enfin, les noms de villes étrangères et même les noms de pays qui présentent des structures morphologiques

« exotiques » pour la langue polonaise ne se déclinent pas du tout, exemples : Haiti, Burkina Faso, Aachen (qui a son équivalent polonais de plus en plus oublié Akwizgran subissant une déclinaison « normale » dans la langue polonaise).

43 Les éléments –gród et –brzeg du point de vue de la toponymie synchronique seraient considérés en tant que morphèmes lexicaux, cf. Chapitre 5, partie II.

On peut résumer ce phénomène et constater que l’on fléchit uniquement des noms propres ayant une terminaison qui existe en polonais. Les noms propres étrangers avec une terminaison, comme par exemple –o dans Oslo, Hugo (en tant que patronyme et non un prénom), etc., ne sont pas fléchis.