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PARTIE II TOPONYMIE APPLIQUÉE

Chapitre 1 : Toponymie comparative diachronique polonaise et française française

1.2. Toponymie polonaise

1.2.2. Origine et structure des hydronymes polonais

Selon Malec (2003 : 20), les noms de cours d'eau polonais se divisent tout d’abord en transparents et opaques. Dans le premier groupe, elle distingue les noms qui sont issus du nom de la couleur ou de la surface et de la structure du fond ou du lit de rivière, comme : Biała, Czarna, Rudawa (‘blanche, noire, rousse’), issus du nom caractérisant le courant comme Leniwka, Bystra (‘lente, rapide’) issus du nom de la faune et de la flore comme Mszana, Łososina, Bobrza (adjectifs féminins dérivés de ‘mousse, saumon, castor’), etc. Tous ces noms sont d'origine slave et leurs équivalents sont présents dans les autres langues slaves. Ils peuvent avoir une forme adjectivale sans aucun suffixe particulier mais on rencontre aussi souvent des noms avec des suffixes caractéristiques

71 Cf. chapitre concernant la politique.

pour les noms de cours d'eau comme -ica, -awa : Bystrzyca, Rudawa, etc. Les noms de cours d'eau les plus récents sont des noms transonymisés, issus des noms de villes ou de personnes, ainsi que les noms composés avec un élément localisant, comme Białka Tatrzańska localisée dans les Tatras.

Parmi les noms non transparents (opaques) on compte les noms des plus grands cours d'eau et de leurs affluents. La plupart de ces noms sont des noms de la couche toponymique la plus ancienne qualifiée en tant que représentant les noms pré-slaves de la famille des langues indo-européennes72. Les hydronymes polonais qui font partie du groupe des noms vieux-européens se caractérisent par une absence de racine slave, mais ils contiennent une racine indo-européenne exprimant des notions comme eau, cours d'eau, courant, etc. Ils ont souvent des morphèmes et des suffixes dérivationnels européens, ainsi que des équivalents dans d'autres langues de la famille indo-européenne qu'on rencontre dans les autres pays de l'Europe. Ainsi, les cours d'eau comme Noteć, San, Bug, Narew, Bzura, Widawka, Barycz, Nida n'ont pas d'étymologie slave, comme beaucoup de noms de fleuves d'Ukraine : Prut, Dniestr, Boh, Dniepr, Don.

D’un autre côté, quelques noms comme Odra, Wisła, Warta, peuvent avoir une étymologie slave mais cela n’est pas un fait sûr. Malec (2003 : 20) énumère Odra et Wisła à côté des noms non slaves mais d'origine indo-européenne. En ce qui concerne les fleuves comme Dźwina, Prypeć, Wołga, leur étymologie slave est encore moins probable.

On a commencé récemment à considérer comme slaves, les noms comme Brok, Łupia, Radęca, Ropa. On ne sait pourtant pas quand ils sont entrés dans la langue. Pour Wisła (Vistule) on supposait des origines : slave, balte, celte, germanique, iranienne, voire non indo-européenne.

À l’ouest, dans le bassin de Odra (Oder) et de Wisła (Vistule), il y a davantage de noms dont les racines se terminent en *-o et *-a, tandis qu'à l'est, dans le bassin de Dniepr, il y a des racines qui semblent être plus anciennes, terminées en *-i, comme Słucz, Ubroć, Usz. En outre, on trouve à l’est plus de noms avec des préfixes, comme Prypeć, Ubroć, tandis qu’à l’ouest, ils sont sans préfixes. En général, à l’est, les noms avec des affixes sont dominants, ce sont : -ost', -uj, -aj, -yń, -ań, -meń, -ma, -wa, ils ont des équivalents baltes. Mais on y rencontre aussi des noms formés sur des bases adjectivales, sans consonne caractéristique pour les adjectifs polonais –k, comme Jezioro (<jaz –‘barrage, digue’), Głubo (au lieu de głębokie). Dans le bassin de Prypeć, à côté de

72 Les noms hydronymiques slaves les plus anciens ont été étudiés par Rozwadowski (1914/1948) et des onomasticiens allemands, Schmid et Udolph, qui ont proposé une théorie sur les hydronymes les plus archaïques de l'Europe.

noms du type Wiślica, Wisłów Rów, il y a des noms sans affixes, comme Wisła, Wisło. Il y a aussi des noms créés à partir de racines archaïques, comme Wechra, qu’on peut comparer avec l’allemand Weser. Les noms dérivés de Dunaj (Danube, du latin Danubius, avec un intermédiaire germanique Donau <ouwe – cours d’eau, ou bien à travers le celte et le vieux iranien Danu – cours d’eau), sont présents dans tous les pays slaves.

Au nord de la Pologne, sur les terrains habités jadis par les peuples prussiens on rencontre des noms d'origine balte comme Elbląg, Łyna, (de Alna), etc. Les noms de grands lacs, qui sont concentrés surtout dans le nord de la Pologne sur les terrains postglaciaires habités ensuite par les peuples baltes, tirent leur origine de la langue balte, comme Mamry, Bełdany, Wigry, Śniardwy, etc. Les noms de lacs d'origine slave sont motivés de la même manière que les noms de cours d'eau. Ils peuvent se référer à la forme du lac : Jezioro Długie (long lac), à la couleur de l'eau Jastrowie (de *jaster pré-slave *aster -clair, brillant), à la flore Jagodne (de jagoda – ‘myrtille’), etc. Les noms de lacs relativement plus récents furent créés à partir des noms de villages où de noms de cours d'eau qui les traversent, comme Jezioro Chełmżyńskie de Chełmża.

Les hydronymes polonais sont très diversifiés en ce qui concerne la chronologie de leurs origines. Certains datent de l'époque pré-indo-européenne, d'autres du début de l'ancienne civilisation européenne, soit du début de la communauté slave. On y voit aussi un reflet des relations avec les peuples voisins, comme les baltes (Malec 2003: 21).

Les toponymistes se demandent combien de suffixes archaïques ont été conservés dans ces noms ou si ce sont des noms entièrement empruntés à d’autres langues. La réponse est trop incertaine pour donner des conclusions précises73.

73 Cf. Rieger J. « Z toponomastyki bojkowskiej i łemkowskiej. Lespedar i inne nazwy wołoskie », dans Slavia Orientalis 1966.

Les publications concernant l'hydronymie polonaise c’est tout d'abord, la référence précieuse pour les onomasticiens slaves, Annales ou Chroniques du Royaume de Pologne de Jan Długosz datant du XVe siècle.

Cet ouvrage contient des formes fidèles à la prononciation, mais l'explication étymologique de l'auteur se réfère à une étymologie populaire. Les onomasticiens, comme Rospond (1976) apprécient cet ouvrage en tant que recueil des anciennes formes de toponymes. Nous pouvons citer encore Studia nad nazwami wod słowiańskich de Rozwadowski (1948), Die Stellung des Gewässernamen Polens de Udolph (1990), Najstarsza warstwa nazwenicza na ziemiach polskich de Babik (2001), ainsi que la tout récente publication de Wolnicz-Pawłowska (2013), la présidente de la Commission polonaise de normalisation des noms géographiques en dehors du territoire de la Pologne, O nazwach wodnych w Polsce.

Voir aussi Rospond S., « Ze studiow nad polska onomastyka. XVI. Autentyzm nazewniczy Jana Długosza », dans : Jezyk Polski, LVI, n° 3, pp. 170-179.

Mutation consonantique dans les noms des fleuves polonais

Une des raisons pour lesquelles l’étymologie des anciens noms des fleuves polonais est difficile à établir est le manque de phénomène de mutation consonantique. C’est une caractéristique des langues germaniques, ce qui prouve que les colonies germaniques n’étaient pas installées sur les territoires de la Pologne de façon stable. Le phénomène de mutation de la consonne date, plus ou moins, du Ve au IIIe siècle. av. J. C. Il provoquait le changement du vieux t en son fricatif þ /ð/ et du vieux d, remplacé par t. Ce processus n’a pas duré longtemps.

Pour que s’effectue le processus de mutation consonantique dans un nom de fleuve, les Germains devaient habiter les terrains avoisinants non seulement dans la période où ce phénomène est apparu mais aussi encore longtemps après, pour transmettre le nom de ce fleuve, ainsi modifié, aux peuples slaves. Il faut encore mentionner un autre aspect de ce phénomène. Puisque beaucoup de noms ont une étymologie opaque, ils auraient aussi pu subir ce procédé. Dans le cas de l’hydronyme Odra (Oder), si, dans sa forme ancienne, il y avait la consonne sonore aspirée dh, elle aurait la même prononciation avec ou sans le phénomène de mutation. Mais, si dans sa forme primaire, il y avait la consonne sourde t, la mutation consonantique l’aurait transformé en fricative /þ/. Les Slaves n'avaient pas ce son dans leur langue et ils auraient pu le transformer en son /ts/, comme dans le mot cudzy (d’autrui) : *teut>

germ. * þiud> tjudj.

Il y a quelques noms de fleuves qui portent très probablement une trace de ce phénomène. Ce sont des fleuves comme Tanew, dont le nom est issu de *danu qui signifiait l’eau, comme la racine des noms Don, Dunaj, Dniestr et Dniepr.