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PARTIE II TOPONYMIE APPLIQUÉE

Chapitre 2 : Dimensions de fonctionnement des toponymes

2.4.3. La propagande idéologique et les fonctions basiques des toponymes

Dans la propagande politique, les toponymes sont utilisés pour véhiculer des idées. Dans le système communiste des pays de l’Europe centrale, on croyait, selon Rzetelska-Feleszko, au pouvoir créateur des mots pour créer la réalité et on s'en servait pour transformer l’environnement de l’homme de manière à le rendre conforme à l’univers soviétique. Selon l’auteure, les communistes croyaient qu’il suffisait d’effacer des noms de villes les éléments : saint, chapelle, ainsi que des héros, etc. et d’y mettre les noms des personnages communistes, des noms des symboles du système, des idées, pour que les nations se soumettent aux idéologies du système communiste. Ce procédé réussit surtout en Russie, où la plupart des toponymes ayant un caractère propagandiste ont été conservés, comme on peut le voir dans le nom d'un arrondissement de Saint-Pétersbourg Красногвардейский район – qui signifie littéralement « de l'Armée rouge ». Dans les pays comme l'Ukraine, ils ont été partiellement effacés, et dans les pays comme la Pologne, ils ont disparu entièrement. Ceci est lié à la fonction ou sens symbolique des toponymes.

Le changement de la nomenclature géographique peut donc être aussi une manifestation du pouvoir autoritaire ou totalitaire d'un régime politique. Les toponymes deviennent ainsi un outil pour dominer l'homme et pour transformer son entourage en fonction d'une nouvelle réalité et d'une nouvelle situation politique à l'issue des transformations politiques radicales. Dans la toponymie polonaise, la plus forte motivation propagandiste des toponymes a eu lieu lors de la domination du Troisième Reich et de l'URSS. La propagande la plus extrême selon Czerny (2011 : 91) était de nommer les objets avec les noms de personnages vivants. Nommer les objets avec son propre nom est une pratique courante des dictateurs jusqu'à présent. C’est une pratique qui va à l’encontre de toutes les conventions de l'acte de nomination. Donner le même nom à plusieurs objets (les villes en URSS avec le nom de Lénine ou Staline) sans aucune motivation réelle est contraire au respect des fonctions basiques des noms propres, c'est-à-dire, l'identification et la différenciation. Une des conventions de la nomination des objets en l'honneur d'une personne est aussi de résister à l'épreuve du temps. Dans la toponymie polonaise contemporaine c’est par exemple l'aéroport de Gdańsk nommé

depuis 2004 avec le nom de Lech Wałęsa ou les objets urbains et les monuments honorant Jean-Paul II construits encore durant sa vie, qui sont des toponymes non conformes aux actes de nomination, mais qui relèvent des sentiments de la nation et non d’une propagande quelconque.

Les changements politiques des toponymes que nous venons de présenter dans les paragraphes précédents sont de deux natures que l’on doit distinguer : idéologique et territoriale.

Le premier groupe concerne des noms créés suite aux changements des frontières du pays, et par conséquent il s’agit du changement des langues des toponymes. La signification de ces toponymes est moins importante que leurs traits linguistiques : phonétiques, morphologiques, ex. : Szczecin au lieu de Stettin, Wrocław au lieu de Breslau. Ces noms n’ont pas de base idéologique mais ont été aussi utilisés pour des raisons de propagande (pendant l’occupation allemande ou russe). Le second groupe que nous devons évoquer concerne des noms qui ont une nature idéologique soumise à une propagande. Ils ont été créés pour cette raison. Le trait le plus important est le concept qu’ils évoquent.

Puisque les toponymes peuvent avoir une fonction symbolique, l'opposition des habitants face à certains noms est également symbolique. Depuis l'antiquité, les toponymes étaient créés non seulement d'une manière spontanée mais aussi d'une manière administrée par le pouvoir national et/ou local. Dans ce dernier cas, il arrivait souvent que la population locale rejette les toponymes introduits par l'administration.

Les changements toponymiques administratifs reflètent les tendances, notamment politiques, dans la matière de la toponymie. Ils sont étroitement liés au changement du système politique et par conséquent, marquent l'envie d'effacer les marques du système précédent que l'on retrouve aussi parmi les toponymes. Un changement radical et l'effacement du passé dans la toponymie eurent lieu en France pendant la Révolution qui tenta d'effacer les toponymes faisant référence à la monarchie et à la religion, ces dernières étant les symboles du régime royal. Le même type de changements eut lieu lors de la constitution de l'URSS. On effaçait les toponymes évoquant les tsars, le système féodal, les églises, les monastères, en les remplaçant par des noms honorant les agitateurs et militants révolutionnaristes et évoquant les idées soviétiques.

Les motivations politiques qui engendrent les changements administratifs des toponymes concernent souvent des sphères publiques différentes. Selon les exemples

que nous avons présentés, les motivations sont de nature religieuse et/ou idéologique (la christianisation de l'Europe, l'expansion de Byzance). Elles peuvent être aussi de nature opposée, donc antireligieuse et anti-idéologique (soviétisation et la dé-soviétisation), de nature ethnique (colonisation des nouvelles terres, conquêtes, ainsi qu'effacement de la diversité ethnique au sein d'un pays), de nature purement pragmatique (par exemple pour éviter l'ambiguïté entre deux noms identiques) ou bien de nature esthétique (à la demande de la population habitant un lieu dont le nom évoque des connotations ridiculisantes). Selon Buczyński (1988) les tendances concernant les noms de lieux que nous venons d'évoquer sont universelles dans le temps et dans l’espace ; elles traversent les époques.

Nommer des lieux était depuis toujours le reflet de la domination et du contrôle de la part du pouvoir. La fonction des noms de propagande est de fixer ce pouvoir dans l'histoire et de supprimer les traces du pouvoir précédent. Dans les études contemporaines, à côté de cela, on met aussi l'accent sur une rivalité entre les ethnies habitant les lieux. Réclamer un changement des noms de lieux peut être lié à la reconnaissance des droits d'une minorité (Czerny 2011:103). Ceci concerne la politique onomastique de l'administration des pays et est lié à l'histoire et à l'identité du pays. Le cadastre napoléonien en France a effacé un bon nombre de la diversité ethnique des toponymes, ainsi que la polonisation des terrains ethniquement non polonais à l'est du pays dans les années 70. Depuis 2003, en Pologne, les toponymes inscrits dans les registres officiels du pays sont établis selon des procédures complexes, avec la participation des habitants locaux, de l'administration locale et nationale, ainsi que d'experts. Comme le dit Czerny (2011:103), cela permet d'éviter des décisions hâtives concernant les toponymes et leurs formes souvent historiques mais ne résout toujours pas tous les conflits91.

Les noms propres qui sont motivés par la politique et par les événements géo-politiques sont les noms qui ont une fonction d’identification, donc pragmatique, mais qui évoquent en même temps l’idée de l’uniformité nationale et de l’état qui est un bien commun. Ce sont surtout les noms géographiques dans les langues officielles des pays (les endonymes). C'est pourquoi le pouvoir politique les emploie, pour défendre ses propres intérêts. L'enjeu politique dans la toponymie est incontestable.

91 En 2005 la Pologne a ratifié la loi concernant la protection des minorités. Ainsi de nombreuses communes ont demandé l'introduction d'une double nomenclature toponymique. L'exemple remarquable est la Finlande où les doubles nomenclatures sont introduites dans les lieux à partir du moment où 8 % d'habitants sont ethniquement différents.

La politisation des noms propres consiste en un choix de bases lexicales ayant un contenu politique et idéologique ou qui évoquent des concepts idéologiques, ainsi qu’en la dérivation des noms qui deviennent une sorte de symbole des idéologies et des systèmes politiques. Les noms propres sont soumis aux changements politiques à tous les niveaux de la langue. Ces changements concernent les lexèmes, la morphologie des mots mais aussi le changement de la motivation. Dans certaines catégories de toponymes, les changements sont plus rapides que dans d'autres. Cela dépend de la législation administrative et de leur cristallisation dans l'usage.

Les noms de villes et d'objets urbains, les urbonymes, sont les plus sensibles aux changements. Ils constituent l'entourage direct de l'homme, les premières sphères de la classification de Zabrocki, c’est pourquoi, ils sont le plus souvent manipulés par le pouvoir politique. Beaucoup de noms traditionnels ont été changés sous la dictature communiste et après 1989 (la chute du communisme). Soit ils ont retrouvé leurs formes traditionnelles, soit ils ont reçu de nouvelles formes. Les urbonymes sont facilement soumis aux changements pour une deuxième raison, c'est-à-dire, à cause de la création de nouveaux objets urbains, comme des stades de sport, des bâtiments de différentes institutions ou entreprises, etc.