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Les traces de la langue maternelle dans les interactions : l’exemple de débutants hispanophones (Estella Klett)

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3.6. Les traces de la langue maternelle dans les interactions : l’exemple de débutants hispanophones (Estella Klett)

« (...) la langue maternelle est toujours là, visible ou invisible ». (Galisson, 1986 : 52)

Depuis longtemps, chercheurs et enseignants montrent un intérêt singulier pour déce- ler le type de lien qu’entretiennent la langue maternelle (LM) et la langue étrangère (LE). Qu’il suffise de rappeler les considérations de Germain sur le cas d’un élève de Sumer (aujourd’hui Bagdad) qui aurait été puni, il y a 5000 ans, pour ne pas avoir res- pecté la règle de parler sumérien (Germain, 1993 : 24). Par ailleurs, de nombreux travaux actuels sur les LE ont remarqué que le déplacement de la « didactique du code vers celle des usages des codes (…) a produit un basculement du cadre théorique prin- cipal de référence vers la sociolinguistique et, par voie de conséquence, placé la question des contextes en première ligne » (Blanchet et al., 2008 : 11). En ce sens, notre travail présente des conclusions d’une étude de marques transcodiques en con- texte argentin. On y analyse la place occupée par l’espagnol dans la construction du sens lorsqu’on se trouve au début du processus d’apprentissage. Dans la présentation, on revoit certaines positions par rapport à l’incidence de la LM dans l’apprentissage d’une autre langue et on analyse le rôle joué par les formes transcodiques dans l’interaction communicative.

3.6.1 Le corpus et la méthodologie

Les exemples de notre travail proviennent d’un corpus constitué par 12 heures d’enregistrement de cours de français en contexte hétéroglotte. Les apprenants hispa- nophones, âgés de 25 à 35 ans, ont été exposés à une période d’enseignement d’entre 20 et 40 heures. Pour ce travail, nous avons sélectionné des séquences dialogales de conversation libre. Les extraits analysés correspondent à une conversation exolingue caractérisée par la dissymétrie entre les répertoires linguistiques des participants. Pour l’étude de traces de l’interaction qui montrent la distance entre le savoir de l’expert et celui du néophyte, nos nous inspirons de l’analyse conversationnelle d’obédience eth- nométhodologique telle qu’elle est proposée par P. Bange (1992). Les conventions de transcription sont explicitées à la fin de l’article.

3.6.2. Le contrat de communication en classe

Notre étude est focalisée sur les interactions des débutants en milieu institutionnel. Dans ce contexte deux contrats unissent les participants. D’une part, un contrat ample à caractère didactique qui suppose une finalité générale de « transmission du savoir » et, d’autre part, un autre, plus spécifique, le « contrat de classe » qui détermine un cer- tain nombre d’obligations (Charaudeau, 1993 : 127). Bien que les contraintes qui en

66 Les termes suivants sont définis dans l’index notionnel et factuel : langue maternelle, langue étrangère,

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dérivent varient selon les cultures, les contextes et les objectifs, il existe toujours un noyau minimal de consensus partagé par les acteurs. Ceux-ci se réunissent dans un même espace, avec une régularité préétablie et pour des périodes fixes de temps afin de mener à bien un programme déterminé par l’institution. Ce programme est organi- sé par un expert qui en assume la responsabilité tout en sachant que « les interactants- apprenants ont besoin de sa collaboration pout parvenir aux résultats escomptés » et que « les interactions ont une visée cognitive : il s’agit d’enseigner-apprendre un avoir ou un savoir-faire » (Cicurel, 2001 : 22).

Les apprenants partagent le contrat de classe de façon consciente ou tacite. Ils savent qu’ils doivent produire du discours pour mettre à l’épreuve leur interlangue et pour obtenir, petit à petit, une plus grande fluidité de parole. Ils veulent également surmon- ter le paradoxe bien connu selon lequel : « Il faut à la fois interagir pour apprendre et apprendre pour pouvoir interagir » (Vasseur, 1993 : 26). « Les échanges verbaux sont ainsi la condition et le résultat de l’appropriation de la L2 » (Giacobbe, 1994 : 30). Un autre aspect du contrat à considérer c’est l’utilisation de la LM en classe. Dans la cul- ture argentine où l’influence de la méthodologie audio-visuelle a été très importante, il existe une idée très répandue selon laquelle l’omission de la LM dans l’enseignement d’une LE facilite son apprentissage. Cependant cette croyance n’est pas exclusive de notre pays. R. Phillipson (1992 : 185), par exemple, fait allusion à cette tendance en citant « the monolingual fallacy ». Quant à L. Gajo (2001 : 164), il remarque que l’étudiant généralement perçoit l’utilisation de la LM en classe comme une déviation non con- forme à la situation didactique. « C’est un peu comme s’il essayait de faire de la géographie en classe d’histoire ».

3.6.3. La langue maternelle dans les interactions

Il a déjà été signalé que le corpus enregistré correspond à des débutants ayant un nombre limité d’heures d’enseignement du français, une langue voisine de l’espagnol. Le contact réduit avec la nouvelle langue et le fait que celle-ci soit également une langue romane, typologiquement proche de l’espagnol, expliquent, à notre avis, l’utilisation fréquente de la LM. Celle-ci accomplit un répertoire varié de fonctions que nous montrerons dans les sections qui suivent. Avant de commencer cette analyse, nous nous arrêterons sur l’appellatif général adopté pour les traces de la LM. Nous écartons le syntagme « code switching » (Gumperz, 1982 : 59) car nous n’avons pas de suites de plusieurs mots en LM alternant avec des énoncés en LE au cours du même échange comme c’est le cas chez les bilingues « avancés ». Notre corpus fournit en général des mots en LM. Par ailleurs, étant donné que les connaissances de français des sujets sont très rudimentaires, l’utilisation de la LM accomplit un rôle d’étayage cogni- tif. Il n’y a pas, par exemple, une alternance de codes qui renvoie à un usage social dépendant « d’un contexte particulier » (Gumperz, 1982 : 131) ou qui ajoute au mes- sage des traits expressifs (Grosjean, 1982) ou qui soit « la manifestation d’une compétence bilingue sophistiquée » (Mondada, 2007 : 169).

Selon G. Lüdi (1994 : 115) dans des situations de « détresse verbale caractérisées par de nombreuses lacunes lexicales à l’encodage, le locuteur non natif fait souvent appel à des techniques de formulation approximative ». Ne disposant pas au moment de

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l’énonciation des éléments dont il a besoin dans la nouvelle langue, il utilise alors des termes de la LM ou des mots voisins ou des expressions inventées. Dans ce travail, nous adoptons la dénomination de « marques transcodiques » de G. Lüdi et B. Py (1986 : 142) pour parler des traces d’autres langues, surtout la LM, qui traversent les productions des apprenants lorsque ceux-ci essayent de surmonter des obstacles communicatifs. L’expression « marques transcodiques » est neutre par rapport aux dénominations « mélange des langues », « interférences » ou « transferts négatifs » utili- sées par les contrastivistes des années cinquante pour remarquer l’incidence alors jugée

nuisible de la LM dans l’apprentissage. La formulation transcodique « fait partie des

stratégies compensatoires interlinguales » (Lüdi, 1994 : 123), c’est-à-dire, des stratégies potentiellement conscientes qui permettent d’atteindre un objectif communicatif quand le sujet doit résoudre des problèmes linguistiques ou discursifs. Dans ce travail, on consigne les exemples qui contiennent des marques transcodiques considérées pa- radigmatiques compte tenu de leur occurrence.

3.6.4. Le rôle des formulations transcodiques

Aux antipodes des contrastivistes, on situe ceux qui réhabilitent une utilisation – occasionnelle et mesurée – de la LM. Il arrive ainsi que des apprenants proposent au cours des échanges différentes formes transcodiques afin de surmonter des difficultés verbales (Birello, 2005). Des spécialistes de différentes disciplines montrent que l’apprentissage, en général, et celui de la LE, en particulier, relève « d’un processus d’ancrage, d’incorporation de l’inédit dans un réseau de catégories familières » (Castellotti, 2001 : 34). La LM est ainsi « un des fondements du nouveau système que construit l’apprenant » (Giacobbe, 1990 : 123). Pour nous, ce socle cognitif agit comme un moteur puissant qui déclenche des interactions. Nous croyons que dans notre contexte l’interlocution se voit favorisée par deux circonstances concomitantes. D’un côté, la LE est voisine et, de l’autre, les participants ont une tendance naturelle vers le relationnel et le communicatif, aspects que les études socioculturelles distinguent couramment chez les Argentins. Ainsi, P. Kalfon (1967 : 96) observe la facilité de parole des habitants de Buenos Aires « débordants de vie ». Il remarque aussi « leur bagout, leur sens de la répartie et leur humour inlassable ».

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