• Aucun résultat trouvé

d) La langue maternelle comme étalon

3.8. Dessins d'enfants, recherche qualitative, interprétation Des poly-textes pour l'étude des imaginaires du

3.8.3. L'interprétation : trois exemples

3.8.3.2. Deuxième exemple

Le deuxième exemple est tiré d’une analyse proposée dans Moore (2005 et 2006). Il présente un contexte différent de recherche, puisqu’il s’appuie sur une étude longitu- dinale de l’expérience de migration chez une jeune enfant (Anaële), entre l’âge de quatre ans et de huit ans. Le corpus est constitué d’un ensemble d’icônotextes pluri- lingues, produits par l’enfant entre 2002 et 2005, et recueillis de manière systématique, en France et au Canada, éclairés par les commentaires de l’enfant au cours d’un entre- tien biographique compréhensif enregistré en 2005. L’entretien, présenté comme un travail sur les langues en lien avec l’expérience de mobilité, a conduit à montrer les dessins-textes à l’enfant et à lui demander les circonstances et les raisons de leurs pro- ductions.

Les analyses avaient montré comment certaines différences à la surface des textes tra- duisaient des postures distinctes, en regard des valeurs que l’enfant attribuait à ses écrits, dans différentes situations, à l’intérieur d’espaces variés, et selon les groupes de lecteurs visés, contribuant ainsi à mieux définir certains éléments d’une compétence plurilittératiée, en tant que potentiel de gestion d’un répertoire graphique pluriel, dans les aspects dynamiques, évolutifs, et identitaires qui en sont constitutifs.

Dans l’exemple ci-dessous, l’enfant explicite un dessin produit en classe en France lors d’une activité de sensibilisation à la diversité des langues et des écritures en cours pré- paratoire, travail qui a par la suite entraîné un apprentissage spontané du chinois écrit, à partir de sources diverses (livres, imagiers, vêtements, enseignes de restaurants, affi- chages divers de la rue, décorations d’objets de la maison).

Les principales méthodes et leurs techniques de construction des observables |127

J’enlève les bulles - Dessin et transcription d’Anaële (8 ans)

A. quand tu vois dans les dessins ça nous rappelle des bulles [commente un dessin-texte où apparaît le caractère pour poisson] c’est tout quelque chose qui n’est pas vraiment. si tu enlèves la crinière c’est encore UN CHEVAL PARFAIT . c’est encore UN MOT .c’est encore l’animal

D. donc si tu enlèves ce que tu appelles les bulles/ les gens ?

A. c’est comme si tu enlèves quatre plumes d’un oiseau c’est ENCORE un

oiseau . j’enlève les bulles c’est encore/ […] alors c’est pas très/ déjà toutes les lettres chinoises . c’est différent des lettres françaises .. les mots c’est que des lettres en ligne . mais les mots chinois c’est un DESSIN . la séparation et les

bulles . c’est UN DESSIN D’UN POISSON . MAIS . fait différemment

Dans cet extrait (dont on reprend l’analyse formulée dans Moore, 2005 et 2006), Anaële explique comment son amie et elle s’y prennent pour mémoriser des sino- grammes. En comparant deux documents produits deux années plus tôt, l’enfant montre leurs relations, en particulier en regard du sinogramme signifiant cheval (en haut à droite du document présenté ici), oiseau et poisson (document non présenté). La stratégie mise en avant consiste à « remonter » l’étymologie graphique du signe pour en rechercher la motivation pictogrammique (et donc la transparence du sens), en reconnaissant des éléments de leur combinaison et leurs relations (la crinière du cheval est ici comparée aux bulles du poisson, et aux plumes de l’oiseau)95. Ces élé-

95 L’enfant dit ailleurs dans l’entretien : « comment je me rappelais que c’était homme . c’est facile parce

qu’ils l’ont écrit comme ça pour faire les jambes . le cou . et les bras d’un homme », et à propos du carac- tère pour oiseau : « ça ça donne comme une aile donc les petits traits en-dessous du signe ça te rappelle des plumes ça »). On remarque d’ailleurs comment elle « prolonge » (d’une couleur différente) les carac-

128 |Les principales méthodes et leurs techniques de construction des observables

ments sont analysés comme partie du tout, mais pouvant en être dissociés sans altérer la signification de ce tout (« c’est comme si tu enlèves quatre plumes d’un oiseau c’est

ENCORE un oiseau »). Les stratégies sont construites sur la décomposition des signes

en « clefs » ou « radicaux » (les caractères qui entrent en composition avec d’autres), le comptage du nombre de traits (qui permet de trouver un signe dans un dictionnaire), et s’appuient sur la composition graphique et l’imagination, à la fois pour décrypter et mémoriser les signes qu’elles rencontrent et qui leur « parle à l’œil » (Calvet, 1996). Ces stratégies, utilisant combinaisons et associations graphiques, sont réinvesties dans d’autres contextes pour « deviner » le sens de signes inconnus, ou pour en inventer de nouveaux (« j’ai essayé de faire cheval et voir ça ressemble à quoi si je fais plus de lignes et voir si ça voulait dire quelque chose »).

Cet exemple, qui montre comment le chinois s’inscrit, du point de vue de l’enfant, comme une langue du répertoire plurilingue et une ressource communicative supplé- mentaire dans des icônotextes mêlant plusieurs langues et plusieurs écritures, s’appuie sur une démarche résolument réflexive en permettant à l’enfant de dérouler une narra- tion interprétative de ses actions et intentions, dans leurs articulations entre un passé (là-bas) et le présent (ici). L’enfant s’engage alors dans un récit de vie que mettent en résonance ses textes et les contacts de langues et d’écriture qu’ils mettent en scène, tout comme les projets identitaires qu’ils permettent de figurer. La dimension réflexive de l’acte d’expliquer (et donc de comprendre et faire comprendre) impulse une tran- saction pratique complexe qui fait appel à des logiques d’action multiples ; celles-ci impliquent la mise en oeuvre d’ajustements contextuels réconciliant les (dis)continuités de l’expérience linguistique et identitaire associées à la mobilité et la migration et, de là, la transformation de l’expérience ainsi saisie.

Documents relatifs