• Aucun résultat trouvé

Les configurations de savoirs et les méthodologies de recherche en didactique des langues et de cultures

3 3 La tectonique des savoirs en didactique des langues et des cultures

3.3.2. Les configurations de savoirs et les méthodologies de recherche en didactique des langues et de cultures

Rapportée à cette didactique spécifique, une telle configuration des connaissances sert de cadre à des démarches scientifiques diverses ainsi qu’à des dynamiques et amalgames ne relevant pas eux–mêmes de démarches standard. D’autant plus qu’un

Jean-Claude Beacco |37

même chercheur est potentiellement porteur de toutes ces formes de connaissances : il peut être chercheur (par exemple, préparant une thèse) et enseignant de langue et il a acquis, par ailleurs, dans sa formation, des connaissances issues des savoirs savants qui peuvent cohabiter ou se fondre avec des convictions et opinions issues de la culture éducative dans laquelle il est ancré. Ces catégories de savoirs ne sont donc pas isolées les unes des autres par des procédures scientifiques qui seraient en mesure de prévenir toute contamination ou influence, au moins en ce qui concerne la constitution de l’objet de recherche ou l’interprétation des résultats, qui se construisent dans des dispositifs théoriques de complexité ou d’empan supérieurs. Il est donc fondamental que toute recherche soit clairement située par rapport à la nature des savoirs sollicités et produits. Nous proposons ci-après quelques illustrations de ces phénomènes d’articulation des savoirs en didactique des langues et des cultures.

Il est tout à fait justifié de concevoir le domaine de la didactique des langues et des cultures comme lieu des création de connaissances savantes : ce peut être tout particu- lièrement le cas de certains objets comme la nature des processus d’appropriation/ acquisition des langues étrangères, la caractérisation ethnolinguistique des genres de discours constitutifs de la culture partagée d’une communauté de communication ou encore les caractéristiques économiques de tel ou tel marché des langues... Dans ce cas, sont à utiliser les concepts et protocoles méthodologiques reconnus comme légi- times dans les secteurs disciplinaires correspondants 34(voir dans ce volume la partie

« axe méthodologique »), ce qui n’interdit en rien leur remise en cause.

Mais la demande sociale relative s’est accrue dans les sociétés multilingues contempo- raines du fait du rôle majeur des langues pour la cohésion sociale. Tout producteur de savoir savant peut alors être sollicité comme expert scientifique, non au sens précé- dent mais comme détenteur de savoirs objectivés fiables, destinés à éclairer les décisions politiques. Il semble clair que, dans ce cas, l’expert est aussi conduit par des convictions et opinions qui lui feront privilégier telle approche plutôt que telle autre : à la question de savoir quelles connaissances et attitudes sont à attendre des candidats étrangers/immigrants à la citoyenneté du pays d’accueil et quelle forme de test, peu coûteux à administrer, permettrait de vérifier leur présence au « degré » souhaité, il est plus d’une réponse scientifique et technique. Mais, selon ses convictions citoyennes, l’expert sera amené, par exemple, à discuter diversement, dans le champ académique, des mesures officielles prises et de leur conformité aux savoirs tenus pour établis. Car, il ne s’agit pas là de recherche-action où les convictions initiales sont affichées en tant que telles et tiennent lieu de valeurs manifestes au service desquelles les actions sont menées. Il est donc indispensable que les positionnements épistémologiques soient patents, de manière à ne pas donner pour exclusivement savantes des conclusions qui relèvent aussi des représentations sociales et des valeurs. À l’inverse en quelque sorte, si une recherche savante se propose de fonder une intervention sociale, il importe qu’elle intègre les conditions effectives de la réalisation du projet, en particulier les facteurs qui tendent à en empêcher ou à en dévoyer la réalisation, de manière à acqué- rir de la crédibilité pragmatique, au delà de raisonnables et pieuses propositions. Ce

34 Voir parties : La recherche impliquée par les pratiques : l'axe méthodologique; Les objets de recherche

38 | Contextualiser les savoirs

sont là les conditions minimales, au demeurant bien banales, qui permettent aux sa- voirs savants de la didactique des langues et des cultures de devenir une praxis sociale et non de demeurer une discipline ésotérique.

Les démarches savantes peuvent aussi prendre pour objet les savoirs sociaux ordi- naires, tout spécialement celles des « acteurs des langues » : les apprenants (motivations aux choix d’apprendre une/des langues ; représentation des styles d’apprentissage de prédilection...), les enseignants (représentations de la formation initiale, convictions relatives au bien parler et à la norme sociolinguistique à ensei- gner...), les décideurs (croyances des directeurs/trices d’établissements scolaires quant à la diversité des langues à proposer, croyance que le temps consacré aux langues étrangères est « perdu » pour l’acquisition de langue maternelle/de scolarisation...) ou les citoyens ordinaires (croyance que les langues s’acquièrent « surtout » dès le plus jeune âge). Ces recherches savantes sur les savoirs ordinaires devraient conduire à re- mettre en cause ou en perspective ces micro théories explicatives, parce que celles-ci sont souvent les seuls savoirs convoqués, sans recours à de l’expertise savante, comme allant de soi et sans distanciation aucune, pour servir de fondement à des choix de politique linguistique éducative.

Une autre configuration est celle de recherches déclenchées par des convictions qui relèvent de savoirs banalisés de la didactique des langues elle-même : on voit souvent des travaux se proposer, par exemple, de justifier l’efficacité pour l’apprentissage de l’emploi des supports d’enseignement authentiques, des méthodologies d’enseignement communicatives ou actionnelle, pour ne citer que celles de la dernière averse, au moyen des démarches savantes classiques de la didactique des langues et des cultures... Le biais méthodologique de telles investigations est que, comme on le sait, en ces matières l’on démontre toujours plus aisément le bien-fondé de la thèse que l’on soutient que son contraire. Cette « didactique ordinaire » pourvoyeuse de convic- tions, essentiellement diffusée par les instances de formation initiale et continue du « français langue étrangère », porte la marque des distorsions attendues de toute trans- position scientifique. Mais elle présente, en outre, la caractéristique de diffuser des savoirs qui peuvent venir confluer, se superposer, ou se confondre avec des représen- tations sociales ordinaires, qui elles n’ont pas cette origine savante. Cette didactique banalisée demeure peu étudiée, même si elle semble très active surtout dans le do- maine des méthodologies d’enseignement (ou, plus largement, des pratiques de classe) pour lesquelles la démonstration de la supériorité de telle ou telle démarche par rap- port à d’autres, réputées « traditionnelles », est pratiquement impossible à établir de manière objectivée, aussi bien dans l’absolu que par rapport à des situations délimitées d’enseignement/apprentissage.

Les savoirs d’expertise des enseignants sont peu connus et facilement considérées comme suspects par la communauté scientifique de la didactique des langues et des cultures, sauf à être érigés en objet d’étude. Dans les pratiques d’enseignement, ils peuvent être en osmose avec des savoirs savants acquis ou avec les versions transpo- sées de ceux-ci. Mais, comme ils sont attachés à des personnes singulières, et qu’ils ne

Jean-Claude Beacco |39

donnent souvent lieu qu’à une transmission globale intuitive35, cette spécificité conduit

aisément à les faire appréhender comme fragmentaires. De plus, ces savoirs sont nor- malement tributaires des caractéristiques des situations éducatives, au-delà desquelles ils ne sont guère diffusés. Ces savoirs sont trop locaux pour que les centres historiques français ou francophones de la didactique des langues et des cultures puissent le rece- voir immédiatement comme légitimes36, même si cette situation tend à évoluer. Ils

sont enfin influencés par les savoirs ordinaires dans la mesure où des professionnels ne sont pas à l’abri de la doxa relative aux langues, puisque celle-ci peut informer les croyances et opinions de tous, chaque acteur social ayant voix au chapitre en tant que locuteur, y compris donc les « gens des langues ».

Ces savoirs ont conduit à la création d’une méthodologie ordinaire de l’enseignement des langues, d’emploi relativement indépendant des contextes, qui n’est ni théorisée ni même dénommée, et qui se caractérise par une approche globaliste de la langue, dans une démarche non contraignante, particulièrement adaptée à l’imprévisibilité constitu- tive de l’objet à enseigner (Beacco, 2007). Ils comportent aussi un fort accent sur les acquisitions lexicales, sur la mémorisation, ainsi que sur la centralité les enseignements de grammaire. Le discours grammatical de la classe, dans ses formes et ses contenus, tend à véhiculer une grammaire ordinaire du français, pleine et non problématisée, dérivée des descriptions linguistiques savantes ou traditionnelles mais sans plus de contacts avec celle(s)-ci. Mais il adopte aussi un régime proche de celui des enseigne- ments grammaticaux premiers (quand ils existent), ceux de la langue maternelle / de scolarisation. Ce savoir faire, probablement largement partagé par des enseignants de même langue première que leurs apprenants se monnaie, par exemple, en représenta- tions graphiques ad hoc des phénomènes morphosyntaxiques de la langue cible, en utilisation d’exemples canoniques opérationnels, sélectionnés sur la base de leur im- médiateté constatée pour les apprenants, en termes de « fautes » fréquentes ou prévisibles qui constituent des lieux de cristallisation des interlangues du fait de la na- tivisation... Il semble clair que ces savoirs interrogent en retour les savoirs savants, qui privilégient l’universel généralisable. Mais cette articulation est encore peu explorée : cette expérience de l’acquisition des enseignants n’a pas encore trouvé sa place dans le champ des recherches savantes en acquisition des langues. Une telle expérience con- trastive est remise sur le devant de la scène épistémologique par la réflexion sur l’éducation plurilingue et interculturelle (Conseil de l’Europe, 2009) laquelle, ayant en charge la valorisation et le développement des répertoires linguistiques individuels, est amenée à privilégier les convergences et les transversalités de langue à langue.

35 Voir, par exemple, les « observations de classe » proposées dans les stages de formation initiale des

enseignants de langue, où les novices sont mis en contact direct avec des pratiques pédagogiques qui peuvent souvent être reproduites par imitation.

40 | Contextualiser les savoirs

3.3.3. Topologie actuelle des connaissances en didactique des langues et

Documents relatifs