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Quand les données produites interrogent la méthode et l’objet

d) La langue maternelle comme étalon

3.7. De l’analyse du discours à l’analyse des discours en situation comme outil de recherche et d'intervention :

3.7.3. Quelle méthode de travail ?

3.7.3.2. Quand les données produites interrogent la méthode et l’objet

À ce stade, une voie parallèle s’est offerte dans la recherche. Aborder la fabrication notionnelle revenait à entrer sur un autre terrain, à la fois sémiotique, sémantique et discursif : comment se construisent les notions, en général, dans les domaines scienti- fiques, dans les sciences humaines, en didactique des langues, discipline qui emprunte, détourne et produit celles dont elle a besoin ? Je notais que la fréquence des emplois tend à affaiblir la spécification sémantique au bénéfice d’une position hyperonymique de superordonné qui pourrait être représentée par le schéma suivant :

Superordonné "évaluation"

Faible marquage "test" "contrôle" "devoir"

Marquage précis "partiel" "examen"

Le niveau de marquage sémantique se différencie à travers la capacité du terme à dési- gner un ensemble plus ou moins homogène de procédures, sa précision étant relevant de la position dans le temps de celles-ci : en cours de formation, dans une perspective continue pour « partiel » ; en fin de formation et d’origine externe pour « examen ». Cette schématisation au niveau lexical pouvant être couverte par la hiérarchie notion- nelle hors langage suivante :

Les principales méthodes et leurs techniques de construction des observables |113

Hypernotion ["évaluation"]

Hyponotions ["test"] ["contrôle"] ["devoir"] ["partiel"] ["examen"]

Cependant, il est difficile d’envisager l’emploi du même terme dans le cadre d’une no- tion et dans celui d’une opération75. Les domaines de description de l’une et de l’autre

se croisent, mais les appareils descriptifs puisés dans les travaux sur la référence et ceux produits dans le cadre de la logique naturelle ne sont pas de même nature. Si l’articulation est périlleuse, elle peut, par ailleurs contribuer à éclairer la dynamique de la production notionnelle. Ainsi la formation de termes ad hoc ne correspond pas tou- jours aux dérivations terminologiques nécessaires au recouvrement des catégories (N disciplinaire, N action de, V). Nous devons donc poser différemment le problème de la référence en synchronie.

Je tentais d’approfondir l’approche en montrant comment se structure sémantique- ment une notion à partir de sa composition organique en éléments de sens. Si la notion est un construit cognitif prenant la forme d'un terme, ou plus exactement d'un syntagme, dont la fonction référentielle est de représenter un objet cognitif opératoire reconnu comme tel dans un univers de savoir ou de pratique qui la légitime, constitué par abstraction à partir de propriétés communes à un ensemble d'objets de cet univers. Il doit donc y avoir cohérence entre les constituants de la notion et l'univers de réfé- rence, ce qui explique les difficultés, les malentendus, voire les incongruités dues à la nomadisation des notions (cf. partie B chapitre 2). Disons que si une notion est consti- tuée d'éléments a, b, c, chacun de ces éléments devrait appartenir au même univers de référence selon le schéma :

a ∈ U1 b ∈ U1 N  c ∈ U1 d ∈ U1

75 S’il semble possible de définir cette coexistence des opérations cognitives (ou mentales) et des opérations

langagières, les mouvements des unes et des autres ne peuvent se résoudre à des unités minimales dites « signes » de représentation ou « marques » instrumentales du langage. Apotheloz et Grize (Apotheloz et Grize, 1987) rappellent que « Bruner conçoit le langage comme un médiateur et un amplificateur de capa- cités et [...] considère, à l’instar de Vigotsky, que dès le moment où interviennent la représentation et l’instrumentation langagière, il n’est plus possible de dissocier le développement cognitif du langage ». Partant de cette complexité, la description d’opérations se développe selon les points de vue spécifiques à chaque domaine :

- opérations logiques (négation, conjonction, implications, équivalences ...) ; - opérations cognitives (iden- tification / différenciation, stabilisation / déstabilisation ; - appropriation / désappropriation) ;

- opérations langagières (localisation / identification, différenciation / détermination ...) ; qui peuvent être reliés par un modèle cognitif de l’argumentation en opérations discursives génériques : - sélection des références ; - caractérisation ; - détermination, ; - jugement.

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S’il peut y avoir concurrence entre les termes au plan linguistique étant donné la va- riété des possibilités de dénomination : emprunt d’un terme dans un autre domaine, néologie, emprunt d’une base lexicale étrangère ou d’un terme étranger, elle ne devrait pas s’exprimer ou plan cognitif. Pour analyser l’originalité d’une notion, on peut ten- ter de décrire ses composants sémiques notionnels.

Sans entrer dans le détail, on voit ici un exemple d’effet de la production des données sur l’objet d’étude. Il peut s’agir alors, soit de reconfigurer l’objet directement dans le processus de recherche en cours, soit de mettre l’option de côté le temps de pour- suivre sur la voie tracée au préalable, dans une perspective de recherche ultérieure colatérale à l’objet initial, en fonction des implications de l’origine de la recherche (thèse, réponse à un appel d’offre, commande). La reconfiguration de l’objet étant liée à la détermination épistémologique des choix méthodologiques (comme ceux de l’implication des acteurs abordée dans la partie 3).

« Notre étude a voulu montrer la nécessité, pour tout travail de recherche, d’établir un dialogue permanent entre l’objet d’étude, la situation d’enquête, les acteurs comme individus réagissant à la situation, et le chercheur lui-même comme observateur et ac- teur. C’est une invitation à engager une réflexion épistémologique sur les objets de savoir produits en sociolinguistique » (Vigouroux, 2003).

Dans le cas de cette recherche, deux options s’avéraient ouvertes : ou bien il fallait requestionner les fondements de la démarche si l’on souhaitait en faire un modèle gé- néral, ou bien préciser que l’on considérait qu’un tel modèle n’était pas compatible avec la démarche, qui s’inscrirait par conséquent dans un cadre épistémologique re- connaissant avant tout la variation de l’objet comme déterminant.

Poser la question de savoir si la formation linguistique de la notion à travers les dis- cours ne relève pas aussi de phénomènes de variations sociodiscursives, amenait à déplacer quelque peu un champ de connaissance vers un autre. Mais le corpus appelait également à prendre en compte l’analyse des échanges en classe de langue, à la fois influencée par l’analyse du discours (Cicurel, 1994, 1995) et par l’analyse conversa- tionnelle76.

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