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3 1990 : une loi favorise la création d’ONG et d’associations

V- Les nombreuses organisations paysannes bamiléké

5- Très peu d'organisations paysannes d’envergure régionale

Seulement deux organisations paysannes sont d’envergure provinciale : l’UCCAO et l’Association de Producteurs pour le Développement (plus généralement connue sous son surnom BINUM118). L’UCCAO est une union de coopérative agricole dont nous avons déjà parlé (cf. chapitre IV et section I de ce chapitre V)

Le BINUM, quant à lui, a été créé en 1998. Il a le statut d'association119 et est constitué de plusieurs bases de regroupement appelées zones. En fin 2007, il en comptait 19 dont 14 en pays Bamiléké et 5 situées hors de la province de l’Ouest (provinces du centre et du littoral). Chaque zone a aussi le statut d’association. Il comptait 2712 adhérents en pays Bamiléké au 31 décembre 2007.

Le BINUM fut mis en place suite à la décentralisation du Conseil des Fédérations Paysannes du Cameroun (CFPC). En effet, en 1992, les principales organisations paysannes promues par le SAILD depuis 1987 constituèrent une confédération baptisée CFPC dont le siège était basé à Yaoundé. En plus de l'appui technique du SAILD, ce CFPC recevait d'importants financements de la Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département Fédéral des affaires étrangères suisse. En 1994, une évaluation des activités de cette fédération avait montré une centralisation des activités à Yaoundé. Cette évaluation concluait notamment que le CFPC était trop éloigné de sa base pour pouvoir être efficace et rendre des services utiles aux fédérations membres et aux paysans.

Le CFPC engagea donc un processus de régionalisation qui aboutit au niveau de l'Ouest à la création du CFPC région ouest120 en 1995. Cependant, en 1998, ce CFPC Région Ouest a connu une mutation sous fond de scission121 pour devenir le BINUM. Celui-ci bénéficie depuis sa création du soutien financier de S.O.S. Faim Belgique, de

118 BINUM veut dire « coucher du soleil ». 119

Il est en cours de mutation vers le statut de coopérative.

120 Ce CFPC Région Ouest a pris aussi la dénomination de FORPOC BINUM en 1995. Sans approfondir le sujet,

notons toutefois que les changements de dénomination sont ici d’importants enjeux stratégiques à travers lesquels se fait la conquête de la légitimité comme interlocuteur de tous les agriculteurs de la région.

121

Juridiquement, la mise en place du BINUM s'est faite par la légalisation d'une nouvelle association. Certains leaders du CFPC Région Ouest, qui s'étaient sentis mis à l'écart de la nouvelle dynamique ou bien qui n’étaient pas d’accord, vont poursuivre pendant quelques années des activités sous le couvert du CFPC Région Ouest toujours juridiquement existante. Mais, en 2000, les difficultés de gestion d'une opération de crédit sous forme d'engrais ont complètement mis fin aux activités du CFPC Région Ouest.

S.O.S Luxembourg et du SAILD. Il a aussi bénéficié de la mise en place du projet "Renforcement des capacités économiques et organisationnelles de trois organisations paysannes (OP) dans la région des hautes altitudes au Cameroun"122 cofinancé par l’Union Européenne. Le SAILD était son principal partenaire technique jusque vers 2005.

Mais, comme nous le verrons, le BINUM rassemble des agriculteurs appartenant à un réseau promu par le SAILD, ayant la même organisation, les mêmes principes de fonctionnement et menant presque les mêmes types d’activité. Du fait de l’influence de cette ONG, la création du BINUM ne résulte pas d’une dynamique fédérative issue d’organisations paysannes à la base indépendantes et autonomes, et qui se seraient mises ensemble par la suite autour d’intérêts ou d’enjeux communs.

Cette situation constitue un indice de la faiblesse de la construction d'une force sociale représentative du monde agricole.

Conclusion

Jusqu’en 1985 environ, l’Etat a puisé sur les recettes des produits agricoles d’exportation à travers la caisse de stabilisation (ONCPB) pour financer ses missions (projets de développement, entreprises paraétatiques, etc.) et le développement agricole à travers les subventions et les prix garantis aux planteurs, ce qui lui permettait de maintenir son contrôle sur l’importante coopérative caféicole du pays Bamiléké, l’UCCAO.

Mais le dispositif « Etat – Coopérative - Notables Planteurs » s’est s’effondré sous l’influence de plusieurs facteurs internes et externes :

- La chute des cours mondiaux du café, commencée vers 1978, a conduit à l’effondrement du système mis en place par l’Etat camerounais au plan national, notamment les prélèvements sur les exportations de café via l’ONCPB qui est dissoute

122 Contrat de subvention – Actions extérieures de la communauté, N° ONG-PVD/2003/063-696, financement

en 1991 alors qu’elle doit 1 918 990 146 f cfa (environ 2, 9 millions d’euros)123 à l’UCCAO au 31 décembre 1991124 .

- Le stratégie de l’Etat camerounais, qui reposait sur l’interventionnisme125, connaît de profonds changements avec la crise économique, notamment son retrait de plusieurs activités. Le contexte économique est désormais marqué par la libéralisation. De nouveaux segments de marché se créent et offrent des opportunités. Emerge alors un secteur commercial concurrent de l’UCCAO qui, depuis 1961, avait le monopole de la collecte et de l’exportation du café. Ce secteur comprend les commerçants d’intrants agricoles et les commerçants de produits agricoles. Parmi ces derniers, les exportateurs privés de café disposent d’un réseau efficace d’acheteurs qui sillonnent les villages, paient au comptant, sont plus crédibles pour les planteurs que l’UCCAO, désormais affaiblie par la crise économique. Le commerce d’intrants agricoles fait intervenir désormais des distributeurs de plusieurs catégories (importateurs, grossistes, revendeurs) et s’appuie sur environ 300 points de vente dans toute la province de l’Ouest.

- Par ailleurs l’Etat se trouve discrédité à la fin des années 80 et plusieurs bailleurs de fonds internationaux préfèrent faire transiter l’aide internationale au développement par d’autres intermédiaires pour atteindre les populations bénéficiaires. Ceci a conduit à la création d’ONG et d’associations d’appui au développement agricole qui ont pour objectifs l’accompagnement des agriculteurs et de leurs associations paysannes. On retrouve 16 en pays Bamiléké, toutes créées entre 1990 et 2000. L’action de plusieurs d’entre elles a porté essentiellement sur l’appui aux processus de légalisation des organisations paysannes

Sur le plan interne, le dispositif Etat - UCCAO - Notables planteurs a affaibli l’UCCAO qui fonctionne comme une excroissance de l’Etat, entraînant une très mauvaise gestion de l’UCCAO et de ses coopératives départementales. L’abandon actuel de la coopérative par les paysans n’est-il pas révélateur de ce que le contexte

123 Source : Rapport d’activité de l’UCCAO, exercice 1994/1995. 124

L’ONCPB a un passif de plus de 100 milliards de f cfa en 1990, alors qu’en 1985 elle avait des réserves de 200 milliards.

125 « Le terme interventionnisme s’applique beaucoup plus à la situation où l’Etat intervient non pas seulement

en édictant des réglementations mais aussi et même surtout en s’occupant directement des fonctions de production, de transformation et même des échanges » (Kamajou, 1984).

créé par l’Etat avait fait d’eux de coopérateurs passifs, simples bénéficiaires d’un service de commercialisation et des autres avantages complémentaires ?

Toutefois, à partir de 2000, grâce aux fonds issus de la remise de la dette à travers l’initiative Pays Pauvre Très Endettés d’une part et à la confiance renouvelée de certains partenaires bilatéraux et multilatéraux, l’Etat camerounais semble avoir rompu sans le dire avec l’option de désengagement et se redéploie à nouveau, mais cette fois avec de grands projets / programmes agricoles centralisés et portant généralement sur une filière agricole précise (cf. annexe 11), contrairement aux missions et projets de développement à caractère régional mis en place dans les années 70. Ce retour de l’Etat signifierait-il qu’il a retrouvé une certaine crédibilité ?

Dans le même temps, on observe un ralentissement voire un arrêt, de la création des ONG et associations : ont-elles pu s’affirmer comme des partenaires crédibles et efficaces des bailleurs de fonds internationaux ? Ont-elles fait la preuve de leur capacité à combler le vide laissé par l’Etat ou même de faire mieux ? Comme nous le constatons dans la suite de cette thèse, cette capacité des ONG reste à prouver car elles n’assurent qu’une couverture partielle de la région et ne travaillent qu’avec un nombre limité d’agriculteurs.

Malgré la nouvelle législation suscitant l’émergence de coopératives et autres formes associatives, aucune autre coopérative n’a vu le jour. En plus de l’UCCAO en déclin, une seule autre organisation paysanne existe à l’échelle régionale du pays Bamiléké, le BINUM. Mais, elle a été suscitée et fortement portée par son partenaire national le SAILD et ses partenaires financiers étrangers (SOS Faim).

Chapitre VI