• Aucun résultat trouvé

Jusqu’à la crise en 1985, un dispositif à trois acteurs

II- L’émergence du dispositif Etat – UCCAO – Notables planteurs

1-

L’Etat et le parti contrôlent l’UCCAO via les dirigeants élus et

nommés

Du fait de la législation coopérative, l’Etat exerçait un contrôle sur l’UCCAO. La loi coopérative n° 73/15 du 07 décembre 1973 confiait à l’Etat les pouvoirs d’investigation et d’intervention, de contrôle et d’inspection des coopératives, de nomination et de révocation leurs dirigeants, notamment les directeurs.

Ainsi, le directeur général et ceux des coopératives membres étaient nommés par l'État et les différentes élections à ses organes de gestion se faisaient en présence d’autorités administratives. Un phénomène remarquable fut la présence d’hommes politiques au sein des conseils d’administration. Ils étaient à la fois responsables locaux du parti - Etat et membres du conseil d’administration de l’UCCAO et de ses coopératives ; plusieurs d’entre eux furent aussi « propulsés » aux postes de députés. Par exemple, dans le cas de la CAPLAME, l’une des principales coopératives membres de l’UCCAO et couvrant le département de la Menoua, la liste des présidents successifs du conseil d’administration depuis 1960 (cf. annexe) montre que ceux-ci étaient aussi les principaux responsables politiques locaux : président de section ou de sous-section du parti au pouvoir, député, maire. Ce double positionnement de ces responsables assurait un contrôle des coopératives par l’Etat via le parti. Ceci explique que l’UCCAO « [...] a tout naturellement financé les permanences du parti unique

dans la région » (Courade et al, 1991). Une sorte d’« alliance hégémonique » (Bayard,

1979) s’est développée entre les élites locales recrutées83 au sein des organes d’administration, les directeurs nommés et le parti-Etat.

Il est vrai que des élections avaient lieu au niveau des centres et des secteurs84 coopératifs, mais sur la base de nos enquêtes, il s’agit en réalité d’opérations de légitimation des leaders dont le vrai choix échappait aux planteurs. Dans plusieurs cas que nous avons étudiés, la plupart de ces responsables sont restés très longtemps à

83 Ce fut à travers des processus électoraux dont le caractère démocratique reste discutable. 84

leurs postes, plus de 20 ans, et s’employaient seulement à mobiliser les planteurs lors des élections. Nos enquêtés reprenaient sans se concerter l’expression suivante : « Mon

cher, tant que Mr X ne s’était pas retiré de lui-même, ou par le parti ou bien n’était pas mort, qui pouvait le remplacer ? C’était eux les barons ». Un enquêté a d’ailleurs

observé : « Les élections à la coopérative étaient comme les primaires pour les

élections du parti. Ceux qui gagnaient à la coopérative étaient presque sûrs qu’ils allaient se confirmer au niveau du parti ».

L’Etat mit à la disposition de la coopérative des personnels qui reçurent de ce fait des traitements meilleurs que ceux des agents de la fonction publique. Il s’agissait d’ingénieurs et de techniciens agricoles intervenant par exemple dans les luttes phytosanitaires. Les effectifs du personnel s’accrurent et, à la fin des années 70, peu de temps avant la chute des prix du café, l’UCCAO employait plus de 100 fonctionnaires du ministère de l’agriculture.

Extrait d’un des entretiens individuels avec des cadres de l’UCCAO

« Si la coopérative a pu se développer à l'ouest c'est parce que les bamiléké étaient coopératifs, ils avaient déjà l’habitude de se regrouper pour la construction des cases. C’est l’administration coloniale qui cooptait ceux qui lui étaient favorables pour siéger au conseil d'administration de la coopérative. Mais, par la suite avec la loi de 1973, la coopérative était organisée en deux niveaux. La base qui était constituée des planteurs regroupés autour du centre coopératif, dans les villages. Plusieurs centres coopératifs formaient une section coopérative. De 1975 à 1994, nous avions 59 centres coopératifs et 10 sections coopératives. En réalité, dans ce département, nous avions 57 centres coopératifs, mais le ministère nous en avait rattaché deux de la zone anglophone. L’assemblée du centre coopératif élisait les représentants à la section coopérative. C’est au niveau de la section qu’on cooptait les délégués pour le conseil de d’administration au niveau du département. Il y avait au total 100 délégués au conseil. La répartition du nombre de places pour les sections se faisait au prorata de la production de chaque centre coopératif. Mais de manière forfaitaire chaque section avait droit à un siège, c’est le reste qui était réparti. Nous avions 25 délégués parmi les 60 qui constituaient le conseil d'administration l’UCCAO ».

2-

L’ONCPB : la main invisible de l’Etat

En 1976, l’Etat mit aussi en place l’Office Nationale de Commercialisation des Produits de Base (ONCPB) chargé d’effectuer des prélèvements sur les recettes d’exportation et d’assurer en retour une stabilité des prix aux planteurs. Les prélèvements effectués sur les recettes du café étaient utilisés partiellement pour assurer cette stabilité des prix aux producteurs, accorder des subventions85 et financer plusieurs autres projets de l’Etat dont de grandes entreprises parapubliques qui se sont révélées être des gouffres financiers (cf. Annexe). L’ONCPB était ainsi une « main invisible » de l’Etat dans le dispositif « Etat – Coopérative – Notables Planteurs ».

3-

Le planteur : un engagement coopératif passif

Le paysan bamiléké « ordinaire » se retrouvait producteur d’un café dont il ne savait ce qu’il devenait une fois livré à la coopérative. Puisque l’encadrement de l’UCCAO exerçait sa tutelle pour assurer la réussite de la culture, le planteur était presque un ouvrier sans marge d’initiative sur sa propre parcelle, appliquant les consignes et n’ayant à se préoccuper ni de la commercialisation de la production, ni des approvisionnements en intrants agricoles. De plus, le système de leadership contrôlé par l’Etat et par les leaders locaux maintenait le simple planteur dans la position d’un coopérateur passif au sens ou sa seule préoccupation était de livrer son café, d’être payé, de revoir les intrants agricoles et autres matériels de construction. La vie de la coopérative, sa gestion et son devenir étaient loin de ses préoccupations. Dans l’objectif de faire de ces planteurs des coopérateurs actifs, des sessions de formations furent organisées pour expliquer ce qu’est une coopérative et initier certains des responsables à la gestion coopérative. Mais comme nous le verrons, la crise qu’a connue l’UCCAO révéla le caractère cérémonial de ces actions. Et, en fait, il n’y a pas eu de dynamique coopérative de réponse à la crise.

Dans leur large majorité, les planteurs sont ainsi demeurés dans une position de vendeurs de café à la coopérative et de coopérateurs figurants.

85 Ce terme est tout aussi discutable car en réalité, peut-on parler de subventions lorsqu’il s’agit de ressource

4-

Des investissements aberrants

C’était aussi l’époque des « éléphants blancs »86, ces très coûteux investissements entrepris par l’Etat avec les ressources de l’ONCPB, par exemple pour la création d’entreprises parapubliques qui, comme nous l’avons vu dans la présentation des stratégies de développement au Cameroun, furent de gouffres financiers. L’UCCAO, devenu un outil de l’Etat, a énormément investi dans la construction des entrepôts de collecte et l’achat de camions. Ces dépenses se sont révélés très importantes, bénéficiant aux « [...] consultants, ensembliers et

fournisseurs étrangers, leurs sponsors camerounais et la bureaucratie installée »

(Dessouane et Verre, 1986). Un des investissements les plus remarquables, d’un coût de plus d’un milliard de francs cfa, fut la construction d’une usine de transformation du café qui a été « surprise par la crise et n’a pas encore été utilisée à ce jour », note un de ses responsables. Ces investissements, répétons-le, ne s’inscrivaient pas dans une stratégie de développement de la coopérative. Tout se passait comme si on était certain d’une rentrée régulière et croissante des ressources financières et de la quantité du café à commercialiser et qu’il suffisait de s’assurer de pouvoir vendre de manière à avoir le plus de marge possible pour la coopérative.

L’une des coopératives de l’UCCAO a même été la seule personne morale du Cameroun à acheter des actions pour près de 400 millions de francs CFA lors de la privatisation de la Compagnie Camerounaise de Transport Maritime qui a fait ensuite faillite. Cette coopérative aurait aussi signé un marché pour la construction de son siège à hauteur de 800 millions de francs cfa, selon les dénonciations d’un député d’un parti d’opposition issu du multipartisme des années 90 (Tadonkeng, 2002)87. Cette même source indique d’ailleurs que la raison avancée par cette coopérative était la nécessité d’avoir un immeuble de direction digne d’elle.

L’UCCAO, étant ainsi devenue comme une excroissance des structures étatiques, sa logique de fonctionnement et de gestion a été emportée par les logiques ambiantes de fonctionnement de ces dernières : pas de souci de rentabilité, allocations

86 Cette expression a été utilisée pour désigner des entreprises de très grandes dimensions mises en place par

l’Etat et qui se sont révélées très coûteuses et non rentables (utilisée plus souvent en anglais : « white elephants »).

87

souvent fantaisistes des ressources, réflexes de consommation plutôt que de création de richesse, dépenses énormes de fonctionnement.