• Aucun résultat trouvé

Introduction

Cette partie porte sur les acteurs du secteur agricole du pays Bamiléké. Notre choix de traiter de cette partie avant celles relatives aux agriculteurs et aux productions agricoles découle de notre option théorique à savoir le choix du concept de dispositif comme cadre de notre analyse. En effet, celui-ci postule une influence de facteurs plus globaux sur les situations locales. La connaissance du contexte permet de mieux comprendre des facteurs susceptibles d’intervenir à l’échelle locale. Ainsi, comme nous l’avons vu précédemment (Partie I), les stratégies de développement agricole au Cameroun sont jusqu’ici le fait de structures centrales se déployant ensuite aux échelons inférieurs sous diverses modalités. Observons aussi que ce contexte régional est un cadre explicatif dont un certain nombre d’aspects est approfondi dans cette thèse, mais dont d’autres ne le sont pas. Ces derniers représentent des thèmes de recherche pour des travaux ultérieurs (s’inscrivant ainsi dans notre projet scientifique) qui peuvent trouver ici un certain cadre de cohérence et d’interprétation.

La notion de paysage d’acteurs71 est utilisée pour représenter les protagonistes du secteur agricole dans le contexte géographique du pays Bamiléké. Cette notion s’apparente à celle de champ au sens de Bourdieu (2002)72, en ce sens qu’elle fait référence à des acteurs relevant d’un même secteur, mais ici aussi d’un même espace géographique. A la différence des observations de Bourdieu sur les champs, et au niveau d’analyse auquel nous nous situons, nous n’anticipons pas sur les comportements des acteurs, par exemple en terme de concurrence ou de compétition. La notion de paysage d’acteurs renvoie simplement à des acteurs (individuels ou collectifs) d’un secteur d’activité dans un contexte géographique délimité et pouvant potentiellement être en interaction les uns avec les autres. Ce paysage d’acteurs est considéré comme structuré par les interactions entre ceux-ci, notamment les types de relation entre eux, l’absence de relation en étant une variante. Dans la suite de ce texte,

71 Cette notion n’apparaît pas dans la bibliographie consultée, mais son introduction nous parait utile pour

designer une « série » d’acteurs sans préjuger des relations qu’ils entretiennent. Cf. les différences que Jean-Paul Sartre établit entre la « série », une juxtaposition d’individus, et le groupe caractérisé par des interactions et un objectif commun. J.P. Sartre, 1960, Critique de la raison dialectique, Gallimard, Paris (p. 306-307)

72 Dans l’ouvrage Questions de sociologie (Bourdieu, 2002), le chapitre intitulé « Quelques propriétés des

nous utiliserons le terme de partenariat pour designer aussi ces relations. La notion même de paysage d’acteurs ainsi conçue implique sa caractérisation sur la base des types d’interaction ou de partenariat entre acteurs considérés.

Jusqu’aux environs de 1985, trois acteurs principaux dominent le secteur agricole bamiléké dans un dispositif marqué par une forte intervention de l’Etat, régulateur de celui-ci et qui est composé de cet Etat, de l’UCCAO73, et des « notables planteurs »74. Cet ensemble est fondé sur une relation d’intérêt, de complicité, de domination et d’exploitation, tenue par l’Etat qui exerce des prélèvements sur les revenus des planteurs et une forte main mise sur la coopérative, (Ch.4).

A partir du milieu des années 80, le dit dispositif va subir les conséquences d’un contexte macroéconomique soumis à des changements importants, en particulier, la crise de la filière café, l’ouverture des marchés, la libéralisation de la commercialisation des intrants et produits agricoles, le retrait de l’Etat. On a à faire à un nouveau paysage d’acteurs caractérisé par une segmentation du dispositif antérieur et l’entrée en scène de nouveaux acteurs. Nous présentons alors ceux-ci et analysons leurs rôles ainsi que les interactions qui caractérisent désormais le secteur agricole bamiléké (Ch. 5).

Le chapitre 6 traite des quatre types de dispositif promus respectivement par l’UCCAO, les commerçants d’intrants et de produits agricoles, le secteur associatif (ONG et associations) et l’Etat. Il analyse les relations entre ces dispositifs.

La conclusion de cette partie esquisse une synthèse des évolutions passées, des rapports de pouvoir, des enjeux et des perspectives des dynamiques à l’œuvre au sein du secteur agricole bamiléké, et ceci à l’échelle régionale.

Cette partie s’appuie à la fois sur la bibliographie existante, sur les enquêtes conduites pour cette thèse de 2005 à 2008 et sur notre expérience professionnelle des années 1996 – 2008.

Plusieurs publications existent sur la caféiculture camerounaise pour la période 1920-1980 dont certaines concernent l’UCCAO (cf. chapitre 1 ci-dessous). Mais,

73 Union Centrale des Coopératives Agricoles de l’Ouest Cameroun.

74 Ou plutôt des notables parmi ces planteurs. L’emploi du terme notable se rapproche ici de celui qu’en fait

Mendras (1995), mais dans un contexte tout à fait différent de la France. Il fait ici référence au rôle de médiation joué par certains planteurs entre l’Etat-parti et les paysans devenus presque tous planteurs de café.

depuis 1990, à l’exception des publications de Guillermou (2003, 2005, 2007), très peu d’études publiées traitent des dynamiques associatives paysannes du pays Bamiléké considérées dans le contexte plus global des acteurs du secteur agricole de la région. Et nous serons donc amenés à nous appuyer sur des données résultant de nos entretiens et de certaines sources statistiques.

Le secteur commercial agricole du pays Bamiléké, né du désengagement de l’Etat et de la libéralisation, est très peu connu. Aucune étude ou recherche ne le concerne sauf celle de Hatcheu (2006) qui l’aborde en traitant du marché et des marchands de vivres à Douala. Nos enquêtes, assez limitées et pionnières dans une certaine mesure, sont donc sujettes à des limites méthodologiques et d’organisation. Cependant leurs résultats donnent une idée de l’importance capitale de ce secteur et tentent d’en décrypter les mécanismes et le positionnement dans le contexte plus global du secteur agricole.

L’action des ONG et des OP75 est celle qui est la moins mal connue, en particulier grâce aux travaux de Prod’homme (1993) et du réseau GAO76, de Njonga et Dikongué Matam (1996), de Fongang (1998), de Guillermou (2003, 2007), de Guillermou et Kamga (2004), de Fongang et al (2008). C’est aussi à leur sujet que nos enquêtes et nos connaissances sont les plus approfondies. Mais nous pensons avoir montré que leur importance qualitative et quantitative est beaucoup plus limitée qu’on ne le croit souvent. Notre travail est aussi de ce point de vue une des premières bases d’évaluation de ce qui a été le plus souvent traité dans la littérature du seul point de vue d’une innovation dont il s’agissait de présenter l’émergence et de décrire les composantes.

Les structures et l’action de l’État par rapport à l’agriculture recouvrent deux domaines distincts : celui des services permanents du ministère de l’agriculture et du développement rural (et aussi certains de ceux du ministère en charge de l’élevage, du ministère du Commerce et du ministère de l’administration territoriale) et par ailleurs les structures particulières des grands projets des années 2000. Nous nous sommes

75

Rappelons que nous désignons ainsi les organisations paysannes.

76 Le réseau GAO, fut crée en 1987. C’était un réseau d’échange et de réflexion sur les organisations paysannes

en Afrique subsaharienne. Nous pensons ici à l’un de ses textes que nous considérons comme un des principaux sur les OP en Afrique sub-saharienne : Les organisations paysannes et rurales : des acteurs du développement rural en Afrique sub-saharienne, Pesche D. et Diagne D., 1995, Réseau GAO, Paris, 84 p.

appuyés sur les travaux de Tchala Abina et al (1994), Kamga (2008) relatives aux structures de vulgarisation agricole mises en place avant les années 2000. Les grands projets démarrés à partir des années 2000 n’ont encore fait l’objet d’aucune analyse publiée et nous en esquissons certains aspects en nous appuyant sur des enquêtes approfondies que nous avons conduit auprès des coordinations de ces projets à Yaoundé, de leurs représentations régionales dans la province de l’Ouest Cameroun et de leurs organisations paysannes partenaires.

Chapitre IV