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Nouveaux acteurs du secteur agricole Bamiléké et déclin de l’UCCAO

II- Les commerçants d’intrants et de produits agricoles

1- Les commerçants d’intrants agricoles

Suite à leurs difficultés financières, l’UCCAO et ses coopératives membres ne parvenaient plus à disposer d’un stock suffisant d’engrais et de produits phytosanitaires à vendre aux agriculteurs. Elles ont aussi maintenu la logique de la distribution exclusive à leurs membres. Par exemple, dans le cas de la CAPLAME, l’une des 6 coopératives de l’UCCAO, après avoir commercialisé plus de 5000 tonnes de l’engrais 20 10 10 (NPK) et plus de 1900 tonnes d’urée en 1989/1990, elle n’en a vendu que 110 tonnes de 20 10 10 et 470 tonnes d’urée en 1991/1992. En 2005, elle a commercialisé 122 tonnes de 20 10 10 et 97 tonnes d’urée.

Dans le nouveau contexte de concurrence avec d’autres acheteurs de café, l’UCCAO et ses coopératives ont limité les ventes d’intrants aux seuls planteurs qui leur livraient du café alors que les autres agriculteurs intéressés par les engrais et les autres intrants agricoles avaient aussi des demandes à satisfaire.

Par ailleurs, la croissance urbaine101 a entraîné une forte augmentation de la demande en produits vivriers. Douala et Yaoundé sont devenues de grandes villes avec 38,8 % de la population urbaine nationale. Douala qui avait 400 000 habitants en 1976 en compte de nos jours 3 millions (Hatcheu, 2006). La production du café n'étant plus

101 Avec près de 70 % de sa population en milieu rural au début des années 80, le Cameroun compte

financièrement intéressante, des agriculteurs se sont orientés vers de nouvelles spéculations, notamment le vivrier marchand, pour satisfaire la demande urbaine et ils ont eu de ce fait besoin d'engrais et de produits phytosanitaires.

D’après nos entretiens de 2007, complétés ensuite en début 2008, le secteur de vente d’intrants agricoles compte environ 600 points de vente dans tout le Cameroun. Ces vendeurs peuvent être regroupés en quatre catégories:

- les importateurs - les grossistes - les revendeurs - les détaillants

Au Cameroun, on dénombre six importateurs d’intrants qui interviennent

tous en pays Bamiléké. Ils sont répertoriés dans le tableau ci-après en précisant pour chacun si son activité porte seulement sur les produits de traitement phytosanitaire ou aussi sur les engrais. Ces importateurs peuvent recevoir des matières actives qui font ensuite l’objet de formulations et de conditionnements.

Tableau 3: Liste des principaux importateurs d’intrants agricoles au Cameroun

Nom de l’importateur Produits commercialisés

ADER Cameroun Produits phytosanitaires et engrais AGROCHEM Produits phytosanitaires

FIMEX Produits phytosanitaires

JACO Produits phytosanitaires et aliments pour le bétail PHYTOGRAINE Produits phytosanitaires

YARA Engrais et un peu de produits phytosanitaires

Les grossistes sont les vendeurs qui s’approvisionnent directement auprès des

importateurs. Le Cameroun compte environ vingt cinq grossistes. Dans toute la province de l’Ouest, nous en avons dénombré sept dont la liste se trouve dans le tableau ci-dessous qui précise ceux intervenant en pays Bamiléké.

Tableau 4: Liste des grossistes d’intrants agricoles de la Province de l’Ouest Cameroun

Nom du grossiste Lieu d’implantation Observation

AGRO AMOLITE Foumbot Pays Bamoun

ARMOTEC Bafoussam Pays Bamiléké

GIC AMO Foumbot Pays Bamoun

GIC APHM Foumbot Pays Bamoun

PAYSAN PLUS Bafoussam Pays Bamiléké

PHYTOMA Bafoussam Pays Bamiléké

THERMOPLANT Mbouda Pays Bamiléké

D’après nos enquêtes, GIC APHM et THERMOPLANT seraient les seuls disposant d’une surface financière importante. Les autres fonctionnent sur la base de crédits auprès de leurs fournisseurs. Un des importateurs le précise en ces termes : « Dans toute la province de l’Ouest, si GIC APHM et THERMOPLANT frappent le

point sur la table, tout change pour ce qui est des engrais et des pesticides ».

Les grossistes de la province de l’Ouest s’appuient sur environ 310 points de vente. Ces points de vente sont tenus soit par des revendeurs qui achètent directement au grossiste, soit par des détaillants qui s’approvisionnent auprès de ces revendeurs. Les revendeurs sont en général situés dans les chefs-lieux de département. Les détaillants sont plus directement en contact avec les agriculteurs, même si quelques agriculteurs s’approvisionnent directement auprès des revendeurs.

Nous avons mené des entretiens auprès de 6 distributeurs : 3 grossistes basés à Bafoussam, 2 revendeurs basés à Dschang et 1 détaillant basé à Galim.

Parmi ces 5 grossistes et revendeurs interviewés, 4 sont des cadres du ministère de l’agriculture qui ont trouvé ainsi une activité commerciale complémentaire intéressante en période de crise économique et de baisse des salaires de la fonction publique.

Les importateurs ont une stratégie basée sur la construction d'un réseau d’intermédiaires jusqu'aux petits détaillants auprès desquels les agriculteurs

s’approvisionnent. Les zones d’implantation de ces intermédiaires se trouvent être les principales zones de consommation de leurs produits, ce qui conduit à s’interroger sur la couverture des autres zones102 qui en fait sont très peu desservies. D’ailleurs, ces commerçants d’intrants, à l’instar de YARA et FIMEX, affirment ne développer des réseaux de distributeurs que dans des zones commercialement intéressantes.

Pour la plupart des grossistes, il n'existe pas de points de vente relais mis en place par eux. Ils sont plutôt en contact avec d’autres vendeurs qui se ravitaillent auprès d’eux sans avoir une relation contractuelle. Ils se démarquent aussi des importateurs en ce sens qu’ils n’ont pas de service « Recherche et Développement » chargé de la vulgarisation et des essais en milieu rural et disposant d’un personnel apportant des conseils techniques aux revendeurs et aux agriculteurs : le cas de Yara (cf. extrait n° 2, page suivante) avec ses six techniciens pour l’Ouest Cameroun est significatif.

Extrait n° 1 de l’entretien avec le directeur des ventes de YARA103, importateur.

102 Il y a donc finalement un accès peu facile aux intrants pour les agriculteurs des zones non couvertes, avec des

prix plus élevés, des distances importantes à parcourir, des coûts de transport plus importants.

103 Notons que le directeur des ventes de YARA Cameroun est basé à Bafoussam dans l’Ouest Cameroun, sans

nul doute à cause de la contribution importante des ventes dans cette région au chiffre d’affaire de YARA. « Le système de l'époque était lié à la filière café ici à l’Ouest. La

politique de fertilisation au Cameroun était liée au café, au cacao et au coton. C'était un système sans concurrence qui a été surpris par la compétition. C’est la coopérative qui vendait. Sa mort est normale. Avec son système de gestion, il ne pouvait que mourir. Quand le café mourait, d'autres filières se sont développées. Si on était resté au café ici à l’Ouest, on serait mort depuis.

Je pense que c'était une grande multinationale norvégienne qui livrait à la coopérative… »

Extrait n° 2 de l’entretien avec le directeur des ventes de YARA

Extrait n° 3 de l’entretien avec le Responsable de YARA Ouest Cameroun

Extrait n° 3 de l’entretien avec le directeur des ventes de YARA

« Tout se passait sur appel d'offres. Par exemple, une structure comme la SODECOTON lançait un appel d’offre et les grandes firmes entraient en compétition pour gagner le marché. Mais nous, on a compris qu'on ne pouvait pas vivre sur les appels d'offres, surtout que, à l’Ouest par exemple, la coopérative était en train de mourir. Comme ces gens n’avaient pas l’habitude de s'auto évaluer et de bien gérer, leur mort n’était que normale. L'État avait protégé la distribution des intrants en leur faveur.

La direction de la société YARA est basée à Douala. Mais la province de l'Ouest réalise près de 80 % du chiffre d'affaires de YARA au Cameroun. YARA importe des matières premières, fait des formulations qu’il vend.

A l’Ouest, nous avons une équipe de deux permanents et de quatre agents d'appui : un agent dans la Menoua, un dans le Ndé et deux dans le Noun. Ces agents accompagnent les distributeurs en matière de conseil technique. Ils font aussi des essais pour convaincre les distributeurs et les paysans. Nous travaillons aussi avec les radios communautaires pour donner des conseils aux producteurs et faire la publicité de nos produits.

YARA couvre tout l'Ouest, mais en priorité les zones de forte consommation. YARA ne vend que les engrais, les fongicides et les herbicides. Les paysans qui veulent les autres produits, nous, on s’en fout. Ça ne marche pas. Les engrais NPK font environ 60 % de notre chiffre d'affaire à l'Ouest. L’urée en fait 30 % et les autres engrais 10 %. »

« J'ai eu une très mauvaise expérience avec les ONG. et les GIC. J'ai comme impression qu'en fait ils ne sont là que pour les subventions. Une ONG m’avait amené à signer un contrat avec une organisation de producteurs à qui j'avais livré une quantité importante de plus de 2 millions. Ils étaient supposés vendre et me rembourser dans un délai de six mois. C'était en 1997. Ils ont pris plusieurs années pour me rembourser et j’avais même menacé de les amener en justice. Je pense qu'un secteur comme celui de la vente doit être aux commerçants. Ils ont envie de vendre et de faire le bénéfice. Les commerçants ne s'amusent pas. Ils font tout pour que ça marche. Et, en le faisant, ils aident l'agriculteur. »

Extrait n° 4 de l’entretien avec le propriétaire de PAYSAN PLUS, représentant de JACO104

104 JACO est un commerçant grec basé à Yaoundé vendant une gamme variée de produits parmi lesquels les

intrants agricoles.

« Je suis ingénieur Agronome. J’étais fonctionnaire mis à la disposition de la SODECAO (Société de Développement du Cacao, une société de développement mise en place par l'État dans la province du Centre Sud Cameroun et chargée de l’encadrement des planteurs de cacao). Lorsque la SODECAO a eu des problèmes de financement, l'État s'est désengagé. Les fonctionnaires ont été remis à la disposition de leur administration d'origine. J'ai donc quitté la SODECAO en 1991. L'État a effectué une double baisse de salaire en 1992.

Il y avait des intrants agricoles à vendre au niveau de la base phytosanitaire (Service du ministère de l’agriculture). Avec les baisses de salaire et en plus la dévaluation du f CFA par rapport au franc français, il n'y avait plus de moyens, la vie était chère et dure.

J’ai commencé à cultiver un champ dans la province du Centre. J’avais garé ma voiture faute de carburant. J’ai alors cultivé du plantain, du macabo et du maïs. J'ai constaté que les acheteurs qui venaient (Bayam Sellam [expression locale désignant les commerçants qui vont acheter dans les villages et reviennent vendre en ville]) de Yaoundé gagnaient plus que moi. Lorsque je vendais par exemple un sac à 3000 f CFA, ils partaient revendre à Yaoundé en dégageant des marges de 2000 f CFA. Vraiment en faisant le bilan, je pense qu'on ne fait de l’agriculture que parce qu'on ne peut pas faire autre chose. D’ailleurs, mon voisin ne cesse de me remercier, car je l'ai fait sortir du champ pour entrer dans le commerce. »

Extrait n° 5 de l’entretien avec le propriétaire de PAYSAN PLUS, représentant de JACO105

105 JACO est un commerçant grec basé à Yaoundé vendant une gamme variée de produits parmi lesquels les

intrants agricoles.

Alors je commençais à vendre les produits phytosanitaires aux paysans. J'avais tout fait pour obtenir un crédit de 159 000 f CFA. En 1995, j'ai donc créé une boutique à Bafia [près de Yaoundé] où je vivais. Et, en 1997, je me suis rendu à Yaoundé pour rencontrer JACO, un grand commerçant grec, qui vendait les produits phytosanitaires. J’étais allé faire des achats de 75 000 f CFA. JACO m'a dit que mon capital était trop petit. Il ne pouvait donc pas me faire des crédits. J'achetais, j’allais revendre et puis je revenais m’approvisionner chez lui.

En 2000, JACO voulait créer une succursale à l'Ouest Cameroun. Vous savez, les grecs font trop de calcul : il ne voulait pas supporter les charges d'installation. J'ai fait une étude de faisabilité et j'ai accepté d'être son représentant. Selon le contrat, je devais couvrir tout l’Ouest, mais ce n'était pas du tout facile. Je prenais des échantillons de produits et ceux qui partaient le plus sur le marché, je repartais les acheter chez JACO.

Mais, par la suite, JACO a fait un découpage en trois secteurs et a confié d'autres secteurs à d'autres représentants. Je suis le représentant de Bafoussam et je couvre Bafoussam, Mbouda et Bamenda. Le deuxième représentant est basé à Foumban. Le troisième représentant est basé dans la Menoua. Ceux qui viennent acheter chez moi sont généralement des grossistes qui partent revendre à d'autres revendeurs. Je vends généralement près de 15 tonnes d'engrais par semaine. Mais ça devient très difficile parce que les prix des engrais ont beaucoup grimpé ces derniers temps. En début 2006, le sac de 50 kg de 20-10-10 coûtait 10 000 F CFA. En fin 2006, ce même sac a coûté presque 13 000 fca et cela va encore augmenter. Les paysans vont beaucoup souffrir.»