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Jusqu’à la fin des années 70, l’importante structure coopérative avait ainsi bénéficié d’un contexte (local, national et international) favorable à l’expansion de la caféiculture. Mais la décennie 80 va être celle d’une crise tridimensionnelle d’un système qui ne peut alors résister à l’épreuve des réalités. Du point de vue des procédures de gestion, il y avait trois niveaux de concentration des fonds : d’abord la coopérative départementale au niveau de sa direction, ensuite la direction centrale de l’UCCAO et enfin l’ONCPB qui faisait aussi office de « marketing board »88 au niveau national.

1- L’ONCPB ruiné par la baisse des cours mondiaux

Le niveau national va être le premier étage du dérèglement du système. Les années fastes de la caféiculture avaient permis d’accroître les réserves de l’ONCPB. Il était par ailleurs devenu une caisse permettant de financer des projets de l’Etat, de payer parfois les salaires des fonctionnaires et enfin de supporter le coût de certains services rendus aux caféiculteurs89. Mais après plus de quinze années de relative stabilité, les cours mondiaux de café et les prix « bord champ » payés aux producteurs vont chuter et connaître une forte volatilité de 1975 à 2005. Or, si une hausse de prix de café est suivie par une hausse décalée dans le temps de l’offre parce que les nouveaux plants de café ne sont productifs qu’au bout d’environ 3 ans, la baisse de l’offre par contre est immédiate dès que les prix baissent du fait de l’abandon ou de la négligence des plantations par les paysans, l’effet du manque d’engrais ou de traitements phytosanitaires se faisant sentir aussitôt. Les prix mondiaux du café s’effondrant à partir de 1976-1977(CEDEAO et al, 2007), les revenus d’exportation du

88 Organisme public de régulation des marchés de produits agricoles ayant existé ou en fonctionnement dans des

pays anglophones.

89

Un débat d’intellectuels a coutume de s’interroger pour savoir si c’est l’Etat qui finançait les caféiculteurs ou bien le contraire. Un tel débat, de notre point de vue, participe d’une diplomatie de vocabulaire dans laquelle nous n’entrerons pas ici. Mais, les faits sont têtus, l’Etat a puisé dans les réserves de l’ONCPB pour de nombreux projets dits de développement qui ont plutôt servi une logique de « clochardisation » des élites politique et intellectuelle et de soutien révérenciel au pouvoir politique.

café qui permettaient d’alimenter l’ONCPB, se sont taris puisque ce sont à la fois les quantités vendues et les prix de vente qui diminuaient.

2-

L’UCCAO et ses coopératives endettées

Le deuxième niveau est celui du dispositif UCCAO. Chaque coopérative membre livrait du café à l’UCCAO et la vente du café collecté transitait par l’ONCPB. Le paiement n’était pas automatique, il était différé par rapport au paiement par l’importateur européen. De plus, une fois le paiement effectué par l’acheteur, l’argent n’était pas reversé à chaque coopérative, mais crédité sur son compte. Ainsi, l’UCCAO avait un compte au niveau de l’ONCPB et chaque coopérative membre avait son compte au niveau de l’UCCAO. Ces deux niveaux supérieurs fonctionnaient comme des banques. Un ancien responsable le dit en ces termes : « Vous aviez de

l’argent à l’UCCAO, lorsque vous veniez le prendre, on vous limitait le montant […] ». La pratique voulait aussi que les coopératives membres viennent demander des

avances au niveau de la direction de l’UCCAO, la logique étant que les comptes devrait s’équilibrer avec la recette du café vendu.

Au début de la crise, l’ONCPB était endettée vis à vis de l’UCCAO et celle-ci l’était par rapport à ses coopératives membre. Quelques chiffres : l’UCCAO devait 3 milliards de f cfa (environ 4 573 170 euros) à la CAPLAME et 1,5 milliards de f cfa à la CAPLAMI tandis que dans le même temps la CAPLANOUN lui doit 3 milliards de f cfa, la CAPLANDE 600 millions et la CAPLAHN 700 millions de f cfa90. Le pouvoir déjà évoqué des notables sur les coopératives fait que plusieurs d’entre eux se retrouvaient avec d’importantes dettes vis-à-vis de celles-ci. Par exemple, nos entretiens dans l’une des coopératives nous ont révélé que le président du conseil d’administration avait contracté un emprunt de 14.000.000 de f cfa (environ 21341 euros), le vice-président de ce conseil 9.000.000 de f cfa (environ 13 719 euros) et le directeur de la coopérative 101.000.000 de f cfa (environ 153963 euros). Ils sont tous décédés sans que ces dettes soient remboursées.

90 Chiffres obtenus lors des entretiens. On peut par ailleurs se demander comment l’UCCAO est arrivée à donner

3-

Les planteurs « finançant » les déficits

Le troisième niveau est celui de la relation planteur - coopérative. La relation de confiance qui liait le planteur et la coopérative faisait qu’il livrait son café à sa coopérative et recevait en retour « un bon » qui lui permettait de venir par la suite récupérer son argent, très souvent en plusieurs paiements. Du fait de la solvabilité avérée de la coopérative, certains planteurs détenant des bons ne se pressaient pas pour venir récupérer leur argent. Ainsi sur les 40 planteurs interviewés qui étaient membres de l’UCCAO, nous en avons rencontré 5 qui avaient des bons de 1975 et qui n’ont jamais pu entrer en possession de leurs dus malgré plusieurs initiatives depuis 1985: les coopératives n’avaient plus de ressources pour à la fois acheter le café au comptant et payer leurs dettes vis-à-vis des planteurs.

Conclusion

Ainsi donc, le mouvement coopératif né de la dynamique endogène des agriculteurs revendicateurs de la libéralisation de la caféiculture, a été canalisé d’abord par l’administration coloniale et ensuite par l’Etat dans un cadre « coopératif » unique, l’Union Centrale des Coopérative de Café Arabica de l’Ouest Cameroun. En 1961, l’Etat s’est servi du monopole ainsi confié pour la collecte et la commercialisation du café dans l’Ouest Cameroun pour en faire le seul mouvement paysan agricole de la région et, dans le même temps, en écarter les commerçants concurrents qui existaient vers 1960. Par la suite, la législation coopérative de 1973 a permis de mettre l’UCCAO sous le contrôle de l’Etat. Ce dernier nomme les directeurs et peut les révoquer, il exerce en outre le contrôle et l’inspection de la coopérative. Ce qui s’ajoute par ailleurs aux liens existants entre l’Etat et la coopérative à travers les responsables élus de la coopérative qui sont à la fois responsables locaux du parti unique au pouvoir.

L’action de l’UCCAO et ses coopératives porte alors sur : - l’approvisionnement en intrants agricoles ;

- l’encadrement technique au sens de la formation aux techniques de fertilisation et de traitement phytosanitaire, ainsi que la réalisation de certaines luttes

phytosanitaires par les techniciens de la coopérative et de la base phytosanitaire (service de la délégation provinciale de l’agriculture pour l’Ouest) ;

- la commercialisation du café notamment les opérations allant de la collecte à la livraison à l’acheteur et la recherche des débouchés pour l’exportation ;

- les actions socioéconomiques en particulier la création et l’entretien des pistes rurales, l’électrification, les adductions d’eau, la construction de bâtiments pour les écoles et les hôpitaux.

Au milieu des années 80, l’ONCPB, caisse de stabilisation mise en place par l’Etat pour prélever sur les recettes d’exportation du café, ne peut plus le faire et l’Etat a puisé dans ses caisses pour financer des « éléphants blancs ». L’UCCAO et ses coopératives sont affaiblies par une santé financière très mauvaise, sans ressources pour des actions d’adaptation. Pris globalement, les planteurs ont beaucoup diminué leur production de café91, ils ne disposent plus ni des fournitures d'engrais, ni des conseils de la coopérative pour cette culture, surtout leurs revenus ont beaucoup diminué et, bien sûr, leur confiance à l'égard de la dite coopérative est devenue très faible. Ils sont dans un système en crise. Les effets n’ont pas été les mêmes pour les gros planteurs, souvent les notables dont nous avons parlé, et pour les moyens ou les petits producteurs, mais cette question sera abordée dans les chapitres consacrés aux agriculteurs de Galim et de Fokoué.

Le discours habituel sur le déclin de l’UCCAO suite à la chute des cours mondiaux du café induit parfois un lien mécanique entre les deux phénomènes. Une telle analyse nous semble assez simpliste et réductrice de la dimension de l’UCCAO comme coopérative et donc comme organisation. En tant que telle, l’une de ses missions est évidemment la gestion au sens de la capacité de prévision et d’orientation en cas de situation nouvelle. Penser que la mort éventuelle de la caféiculture implique automatiquement celle de l’UCCAO serait ignorer que le caféier n’a été d’abord qu’une culture d’adoption avant de devenir ensuite pour quelques dizaines d’années une sorte de culture identitaire de la région : l’UCCAO aurait donc pu se redéployer autrement. Et c’est aussi sous-estimer les fondements endogènes de ce que Dongmo

91 Le Cameroun qui avait une production de 28 303 tonnes de café arabica en 1979/1980 n’en a eu que 10 300

(1981) appelle le « dynamisme Bamiléké ». Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, nos entretiens auprès des agriculteurs et des responsables (anciens et actuels) de l’UCCAO nous invitent à approfondir l’analyse au-delà de la simple énonciation du facteur « baisse des prix ».

Le dispositif Etat – Coopérative – Notable Planteur a donc connu de profondes mutations qui font l’objet du chapitre suivant.

Chapitre V

Nouveaux acteurs du secteur agricole Bamiléké et déclin de