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Topologie et courbure naturelle

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 149-152)

III.3 Comparaison avec d’autres tremblements

IV.1.1 Topologie et courbure naturelle

Lors de l’évaluation de l’énergie de courbure d’une maille (fig. II.11), il a été mis en évidence que le fil était aussi courbé dans la direction perpendiculaire au plan du tricot.

Les rayons de courbure associés étant beaucoup plus grand que ceux dans le plan, leurs contributions énergétiques sont bien moindres et ils jouent donc un rôle négligeable dans la mécanique 2D du tricot. En revanche, lorsque l’on s’intéresse à la forme 3D d’un tricot étant en première approximation à l’équilibre dans son plan, les courbures hors plan jouent par conséquent le rôle principal.

Comme pour la mécanique 2D, on projette la forme du tricot dans la direction des rangs (x) et des colonnes (y), mais cette fois on regarde la courbure hors plan du fil (fig. IV.1). Quand une maille est forcée à rester dans le plan du tricot, les croisements imposés au fil le contraignent à se courber. Pour diminuer ces courbures et donc minimiser l’énergie de flexion de la maille, le tricot doit sortir du plan et adopter une forme 3D.

Pour cela, la surface définie par le plan du tricot va adopter une courbure γc dans la direction des rangs etγw dans la direction des colonnes. Il est important de souligner que ces courburesγc etγw ne sont pas celles du fil mais bien celles de la surface représentant le tricot. On va limiter notre analyse à deux topologies, le point endroit et le point envers, indicés respectivement par + et−. Ces deux points se différencient seulement par le signe des croisements du fil, donc un point endroit apparaît comme un point envers lorsqu’on le regarde de l’autre côté du tricot, et inversement pour un point envers. Pour diminuer l’énergie de courbure d’une maille endroit, il faut que le tricot adopte une courbure positive (convexe par rapport à~ez) le long des colonnes,γw+>0 et négative (concave par rapport à~ez) le long des rangs, γc+<0 (fig. IV.1.a,c). Une maille envers a une topologie opposée à l’endroit, les courbures du tricot envers minimisant son énergie sont donc aussi l’opposé de l’endroit, γw=−γw+<0 et γc =−γc+>0 (fig. IV.1.b,d).

Ces observations qualitatives permettent par exemple d’expliquer pourquoi notre Jer-sey, tricoté uniquement avec des mailles endroit (ou envers selon le côté duquel on le regarde), roulotte sur ses bords libres. En effet, le tricot gagnera toujours à se courber perpendiculairement à ces bords (c’est-à-dire adopter ici un γc+ <0) tant que cela n’in-terfère pas avec la déformation dans le plan. Modifier la topologie en tricotant un point de riz par exemple, qui alterne endroit et envers en damier, permet de modifier la cour-bure naturelle que prendra le tricot. En effet, avec le point de riz, comme γw =−γw+ et γc =−γc+et qu’il y a autant de maille endroit et envers selon les rangs et les colonnes, le tricot ne gagne rien à se courber, il va donc rester plat. Changer de points pour annuler en moyenne une courbure naturelle est une technique couramment utilisée en habillement

IV.1 Programmer la forme d’un tricot 133

a)

y

z x

b)

c) d)

Topologie

Direction

Endroit Envers

y x z

Rang

Colonne

y

z x y

z y x

z x y

z x

y

z x

γ >0

+w

γ <0

+c

γ

-c

>0

γ

-w

<0

Figure IV.1 – Géométrie du fil perpendiculairement au plan du tricot (x, y), selon la direction des rangs (a,b) et des colonnes (c,d) pour deux mailles de topologie différentes, la maille endroit (a,c) et envers (b,d). Les courbures γ±c/w et les doubles flèches associées schématisent la courbure que doit adopter le tricot pour diminuer l’énergie de flexion du fil dans la maille.

a) b)

c

c

FigureIV.2 – Bi-stabilité d’un tricot Jersey. a) Configuration favorisant la courbure selon les colonnesγw en gardant la courbure selon les rangsγcquasiment nulle pour garder une courbure de Gauss proche de zéro, évitant ainsi les déformations dans le plan du tricot, plus coûteuses en énergie. b) Configuration favorisant la courbure selon les rangs γc en gardant la courbure selon les colonnes γw quasiment nulle, là aussi pour maintenir une courbure de Gauss proche de zéro sur tout le tricot.

pour tricoter les extrémités des manches et des cols et éviter qu’ils roulottent.

D’autre part, on remarque que pour diminuer au maximum l’énergie d’une maille endroit ou envers, il faut que le tricot adopte une courbure de signe opposée dans deux directions perpendiculaires. La courbure de Gauss de la surface, γw×γc doit donc être différentes de 0. Or, comme mentionné dans l’introduction, la courbure de Gauss d’une surface est directement liée à une déformation dans le plan de cette surface. Dans le tricot, la différence d’échelle entre les rayons de courbures du fil au sein de sa surface et perpendiculairement à celle-ci, implique que la déformation dans le plan est bien plus coûteuse en énergie que d’en modifier sa courbure. Il n’est donc pas énergétiquement favorable pour une maille de satisfaire simultanément les deux courbures hors plan, elle va donc en favoriser une ou l’autre. En conséquence, un tricot Jersey avec tous ses bords libres et sans forces extérieures appliquées, affiche deux formes d’équilibre. Cette bi-stabilité se manifeste par une configuration favorisant la courbure selon les colonnes γw (fig. IV.2.a) et un autre la courbure selon les rangsγc(fig.IV.2.b). Les deux configurations sont stables et une certaine force doit être appliquée pour passer de l’une à l’autre.

La courbure naturelle locale d’un tricot est commandée par la topologie du point. Pour concevoir des tricots qui adoptent une forme voulue, on peut donc s’amuser à prescrire la topologie adaptée. De plus, parvenir à activer ou supprimer à souhait l’élasticité du fil permet d’ajouter un paramètre de contrôle à cette forme. Dans ce but, l’étoffe est tricotée avec un fil en alliage nickel-titane (nitinol) qui a la propriété d’être un métal dit à "mémoire de forme" [243]. Cette classe de matériaux montre de surprenantes propriétés mécaniques :

– En dessous d’une température critique (70C pour notre nitinol) le fil se comporte comme un fil métallique standard, c’est-à-dire ductile et avec une très faible plage

IV.1 Programmer la forme d’un tricot 135 de déformation élastique (ε <2%). Il va donc prendre la forme qu’on lui impose et rester dans cet état.

– En revanche, chauffé au-delà de cette température critique, il va spontanément retourner dans une forme prescrite au préalable, d’où l’effet mémoire, et considéra-blement augmenter sa plage de déformation élastique (ε <10%).

Ces propriétés prennent origine dans un changement de phase solide-solide ayant lieu dans le métal à cette température critique. Pour prescrire la forme que prendra le fil au-dessus de sa température critique, il faut le chauffer dans cette forme à une autre température beaucoup plus élevée (∼600C pour le nitinol). Pour notre expérience, la forme que l’on prescrit au fil est simplement rectiligne et il est ensuite tricoté à température ambiante.

En le chauffant au-delà de sa température critique, le fil veut reprendre sa configuration rectiligne, ce qui revient à lui insuffler de l’élasticité. Ainsi, à température ambiante le tricot est ductile et n’a pas de forme propre, mais dès qu’il est chauffé au-delà de 70C, il retourne spontanément dans sa forme qui va minimiser son énergie élastique en adoptant ses courbures naturelles.

Pour illustrer cette mise en forme, on a tricoté un fil de nitinol (FlexinolR, de la marque Dynalloy, Inc et ayant une température critique de 70C) de 150µm de diamètre en alternant points envers et endroits le long des colonnes, la taille des mailles étant fixée en ajustant à 0 la molette de réglage. Les deux échantillons présentés sont composés de 10 mailles par rangée et le point est inversé toutes les 10 mailles pour le premier échantillon, toutes les 20 mailles pour le second. Cette inversion est réalisée trois fois, le premier et second échantillon ont dès lors respectivement 40 et 80 mailles le long de leurs colonnes. Leurs rangées supérieures et inférieures sont maintenues par des pinces, de sorte à promouvoir l’état qui favorise la courbureγw et nonγc. Un poids est attaché à la pince inférieure (∼25 g pour le premier,∼15 g pour le second) pour qu’à température ambiante, quand le fil est ductile, le tricot soit complètement allongé. On vient alors chauffer ces tricots avec un pistolet thermique qui souffle un air chaud (T > 100C) et vient donc restaurer l’élasticité du nitinol. Pour le premier échantillon, les parties du tricot envers et endroit vont alors adopter des courbures de signe opposé, les colonnes du tricot s’ondulent, diminuant de moitié son extension apparente (fig. IV.3.a). Pour le second échantillon, les parties du tricot envers et endroit adoptent aussi la courbure voulue, mais ici, l’ondulation se transforme en enroulement car la longueur des zones de topologie constante est plus grande mais leurs courbures sont la même. Le tricot va alors diviser par 4 son extension apparente.

En jouant avec la structure 3D du tricot, on arrive à obtenir des formes et des proprié-tés mécaniques remarquables. Avec ces exemples tout simples, on obtient déjà une certaine richesse dans les comportements obtenus avec des étoffes qui s’enroulent spontanément sur elles-mêmes, mais bien d’autres propriétés peuvent être imaginées [38,244,35].

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