PARTIE IV : PARTIE EMPIRIQUE
Chapitre 7. La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets
3. Résultats
3.4. Des cultures de sécurité propres a chaque profession
3.4.1. La tolérance aux écarts varie selon la profession des sujets
La flexibilité dans le jugement des écarts montrée plus haut varie selon la profession des
sujets (cf. figure 20).
Les médecins sont ceux qui jugent un nombre plus important de fois les écarts comme
acceptables (17 fois sur 36 ; 48%), suivis des physiciens (33%). Inversement, les
manipulatrices et les dosimétristes se montrent moins tolérants aux écarts que leurs collègues.
Elles ne jugent un écart comme acceptable qu’à 14% et 16% des réponses, respectivement.
L’acceptabilité des écarts vient confirmer cette moindre tolérance aux écarts chez les
manipulatrices et dosimétristes. A 21 reprises sur 36 jugements (58%), les manipulatrices ont
jugé les écarts comme inacceptables. Elles sont suivies par les dosimétristes, qui à 8 reprises
sur 18 réponses (45%) ont un regard négatif sur les écarts. 39% des réponses des physiciens
ont été négatives vis-à-vis des écarts, tandis que chez les médecins ceci représente 33%,
c’est-à-dire le plus bas taux de non acceptabilité.
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70%
Médecins Physiciens Manipulatrices Dosimétristes
Acceptable Acceptable sous conditions Inacceptable
Figure 20 : Jugement d’acceptabilité des écarts selon la profession des sujets
Légende : Ma : manipulatrices ; M : médecins ; P : physiciens médicaux ; D : dosimétristes.
Concernant le taux d’acceptabilité avec conditions, nous retrouvons les mêmes valeurs chez
les manipulatrices et les physiciens (28%). En termes de pourcentages, les dosimétristes sont
celles qui ont jugée le plus grand nombre de fois les situations comme étant acceptables avec
conditions (39%), les médecins présentant un taux de jugement pour cette catégorie de 19%.
En résumé, les groupes de professionnels se distinguent nettement dans leur jugement
d’acceptabilité des écarts. Nous illustrons ces faits à travers les jugements de la situation 3.
Les médecins n’ont pas identifié d’écart dans la situation 3. Ils n’ont pas connaissance de la
réalisation du double contrôle de la dosimétrie. Tous les médecins ont jugé la situation
d’autocontrôle comme acceptable. L’argument est centré sur la fiabilité de chaîne en
radiothérapie.
Chap. 7 : La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets
Le physicien peut se contrôler lui-même, il peut confirmer sa décision, ça ne pose pas de problème parce que comme je vous dis, il y a une chaîne, il y a une dosimétriste, il y a un physicien qui signe et il y a un médecin qui signe. Il y a 3 personnes en général, s’il y a des erreurs, elles sont déjà détectées et s’il y a un contrôle complémentaire au niveau du poste, encore un contrôle en plus, il peut être fait par la même personne ou par un collègue, n’importe. M2
A propos de ce même écart, les manipulatrices sont unanimes à dire qu’il est préférable, en
termes de sécurité, que le contrôle sur le dossier soit réalisé par quelqu’un qui ne l’a pas
encore vu. Néanmoins, 2 manipulatrices acceptent l’écart pour les dossiers simples. Les
arguments des manipulatrices pour justifier les risques de non détection par autocontrôle
comprennent le plus souvent l’excès de confiance en soi, et le manque de vigilance. En plus,
elles avancent que le contrôle par une tierce personne présente l’avantage de la confrontation
des pratiques, en augmentant les chances de remise en question d’un plan de traitement non
adapté.
Quand on vérifie un truc qu’on a fait soit même, quand on vérifie un dossier qu’on connaît déjà, ça va vite, c’est comme ça qu’il y a des petites erreurs qui peuvent échapper, quoi. Et même, ils [les physiciens] peuvent se remettre un peu en question. Une fois c’est arrivé, il regarde le dossier et dit « tiens, pourquoi il utilise cette énergie au lieu de celle-là ? ». Même si après il l’approuve, il le rediscute avec l’autre physicien. Moi, j’ai déjà entendu une réflexion comme ça « pourquoi il
a mis un bolus35, il pouvait le faire sans bolus ». Ma3
Pour un des physiciens et les deux dosimétristes, un écart à la procédure du double contrôle
peut être acceptable quand il s’agit du contrôle de dossiers simples. Pour deux autres
physiciens, ainsi que pour les médecins, la chaîne de contrôles est assez sûre et l’écart
présenté ne met pas en cause la sécurité des traitements. Les deux physiciens rajoutent que
l’autocontrôle ne met pas en question la sécurité de la procédure car ils regardent
différemment les dossiers (en termes de données vérifiées) lors du premier contrôle en
dosimétrie et du deuxième en poste de traitement. Ainsi, il n’y aurait pas d’inconvénient si
c’est la même personne qui réalise les deux contrôles sur le même dossier, l’écart étant
acceptable. Un des physiciens pointe l’aspect des contraintes organisationnelles engendrées
par le bon suivi de la procédure. Seulement un physicien n’agirait pas en écart à la procédure
quelque soit la situation. Pour lui l’écart est inacceptable.
Quand on regarde, quand on vérifie une dosimétrie, ou ce qu’on regarde quand on donne une approbation de traitement c’est des choses un peu différentes et c’est pour moi tout à fait acceptable que se soit le même qui fasse la dosimétrie et qui vérifie, ça ne doit pas être une raison
pour le faire vérifier par quelqu’un d’autre. P1
Ces résultats mettent en évidence la diversité de jugement des écarts entre les professionnels
de la radiothérapie. Nous observons ainsi l’impact de la culture professionnelle sur les
jugements concernant la sécurité, ce qui valide notre hypothèse 3. Ceci nous laisse penser
qu’il existe ainsi des sous-cultures de sécurité au sein du domaine de la radiothérapie. La
diversité dans le jugement des écarts peut avoir des origines différentes dont le rôle de la
35
Accessoire personnalisé en caoutchouc, placé sur la peau du patient dans le but de réduire la profondeur de la dose.