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PARTIE IV : PARTIE EMPIRIQUE

Chapitre 7. La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets

3. Résultats

3.3. La hiérarchie d'acceptabilité des écarts

Dans cette partie la hiérarchie d’acceptabilité des écarts et les principaux critères pris en

compte par les sujets lors des jugements seront mis en lumière.

Des traitements de données il ressort que, dans le jugement global, les écarts présentés en

expérimentation ne sont pas tous jugés inacceptables (cf. figure 18).

28%

27%

45% Acceptable

Acc. conditions Inacceptable

Figure 18 : Jugement d’acceptabilité des écarts

o Cinquante-sept réponses sur 126 (45%) concernent un jugement négatif sur les

conduites tenues. Dans ces situations les sujets considèrent que les actions réalisées ne

doivent pas se répéter car elles représentaient une prise de risque trop importante pour

la sécurité des patients.

o Trente-quatre réponses sur 126 (27%) se retrouvent dans une catégorie plus nuancée

« acceptable avec conditions » : les situations présentées en expérimentations ne

doivent pas se standardiser, mais peuvent être appliquées dans des cas particuliers,

avec des conditions bien précises qui seront présentées plus loin dans le texte.

o Dans 35 des 126 réponses (28%), les situations ont été jugées comme étant tout à fait

acceptables, c'est-à-dire qu’elles ne présentent, selon les sujets, aucun inconvénient ni

aucun risque pour la sécurité des patients.

Ainsi, dans la majorité des réponses, les situations ont été jugées comme étant acceptables ou

acceptables avec conditions (55%). Ceci montre une certaine flexibilité dans les jugements

des écarts par les professionnels de la radiothérapie (cf. §3.4.1). Cette tolérance aux écarts

varie en fonction du type d’écart, comme illustré dans la figure 19.

Chap. 7 : La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets 0 2 4 6 8 10 12 14 16 Arriv ée d’ une F I vier ge au pos te Rédu ction du te mps d'appr opr iation d u d ossi er p our les mani p' Contr ôle Var is par phys icien 1 Absenc e de méd. s enior au si mul ateur Faille de c ontr ôle c ulm inan t à un é cart de d ose Réal isati on du tr aitement s ans dos i sign ée par le médec in Fail le d e contr ôle c ulm inan t à un écar t de d ose Réal isatio n du t raitement s ans por tal Man ip' s eule en s alle d'ir radia tion Acceptable Acc. conditions Inacceptable

Figure 19 : Jugement d’acceptabilité des écarts selon le type d’écart

La hiérarchisation des écarts et les critères globaux de juments sont présentés par la suite.

3.3.1.Les écarts majoritairement inacceptables

Trois des 9 écarts présentés en expérimentation ont été jugés comme inacceptables par la

majorité des sujets. Il s’agit de :

o l’arrivée d’une feuille d’irradiation vierge au poste de traitement (situation 1) ;

o une faille de contrôle concernant l’ambiguïté de l’information et conduisant à un écart

de dose (situation 5) ;

o une faille de contrôle concernant l’oubli de la mise en place d’un accessoire de

traitement et conduisant à un écart de dose (situation 7).

L’arrivée d’une feuille d’irradiation vierge au poste de traitement est une situation

inacceptable pour 11 sujets car celle-ci représente une source d’information importante pour

l’action. Les arguments sous-jacents aux critères de jugement de cet écart sont en lien avec

l’activité des sujets et seront présentés au point 3.4.2.

Les deux autres situations, toutes les deux conduisant à un écart de dose, ont également été

considérées majoritairement comme inacceptables. Dans la situation 5, l’écart est considéré

inacceptable par 12 sujets parce que les défaillances se sont poursuivies jusqu’à la fin du

traitement sans qu’aucun intervenant n’ait pu détecter l’erreur. Toute la chaîne de traitement a

été mise en question, dès la prescription, jusqu’à la consultation avec le médecin.

Dans la situation 7, l’écart est considéré comme inacceptable par tous les sujets : d’une part,

l’oubli d’un accessoire (le cache) pour un protocole « crâne » apparaît comme un fait

invraisemblable pour 12 sujets car dans ce type de protocole les caches sont toujours

prescrits ; d’autre part, les caches n’étaient pas faits, ce qui témoigne d’une défaillance

produite en amont de la chaîne et qui a pu contribuer à l’oubli en poste de traitement selon 8

sujets.

3.3.2.Les écarts majoritairement acceptables sous conditions

Deux des 9 écarts présentés en expérimentation ont été jugés comme acceptables sous

conditions par la plupart des sujets. Il s’agit de :

o la réalisation d’un traitement sans dosimétrie signée par le médecin (situation 6), et

o la réalisation des traitements du jour sans image portale (situation 8).

Ces deux types d’écart aux contrôles prescrits ont été jugés comme étant majoritairement

acceptables dans certaines conditions. Les conditions avancées pour la première situation (n°

6), sont en lien avec l’activité des sujets et seront présentées au point 3.4.3.

Pour la situation 8, les conditions d’acceptabilité sont en lien avec la phase de traitement des

patients. L’écart est inacceptable pour les patients en début de traitement ou en traitement par

la technique de l’IMRT – qui nécessite une image portale quotidienne. Néanmoins l’écart sera

plutôt acceptable dans les conditions suivantes : si le patient est en cours de traitement et s’il

se positionne correctement (10 sujets), ou si le médecin l’a autorisé au préalable (7 sujets).

En général un médecin n’annule pas une séance, parce que ça a des conséquences quand même d’annuler une séance juste pour un portal. Ils préfèrent avoir 3-4mm de déplacement – considéré, parce qu’on ne pourra pas vérifier – plutôt qu’annuler la séance. Sauf forcément les débuts de traitement et les IMRT, donc là tu es obligé de l’annuler. Ma1

3.3.3.Un écart majoritairement acceptable : la variabilité « normale »

Un seul écart parmi les 9 présentés en expérimentation a été jugé comme majoritairement

acceptable. Il s’agit de la « réduction du temps d’appropriation du dossier par les

manipulatrices ».

Malgré le fait que le travail sous contrainte de temps ait été signalé comme un facteur de

risque, la réduction du temps d’appropriation du dossier par les manipulatrices a été jugée

comme un écart acceptable. Cette situation n’apparaît pas comme une situation idéale, mais

elle semble faire partie du fonctionnement « normal » du service, puisque les situations de

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retards dans la chaîne ont été mentionnées comme très fréquentes. Les sujets vont accepter la

situation, malgré les inconvénients qu’elle comporte, cars ils sont conscients de la difficulté

d’application de la règle – « arrivée du dossier au poste 24 heures avant la séance 0 » –

compte tenu la charge de travail de tous les intervenants et du temps de préparation que

demande les dossiers difficiles.

Les physiciens aussi demandent que la simulation soit faite entre 10-15 jours avant le traitement pour qu’ils puissent avoir le temps pour faire la dosi, ce n’est pas toujours respecté, donc je comprends aussi leur côté, que des fois il y ait des dossiers à faire à la dernière minute…et ils [les physiciens] font beaucoup de chose à côté. Ils ne font pas que de la dosi. Ma4

A mon avis, pour les cas difficiles, ça va continuer d’arriver et il faut que l’on soit prêt à accepter, il faut plutôt qu’on ait un système qui soit prêt à accepter que de temps en temps on va avoir des

cas comme ça. P4

3.3.4.Les écarts mitigés : désaccords entre sujets et entre professions

Trois des 9 écarts présentés en expérimentation ne font pas objet d’un consensus parmi les

sujets. Il s’agit :

o du contrôle varis par un physicien 1 (situation 3) ;

o de l’absence de médecin référent au simulateur (situation 4) ;

o de la manipulatrice seule en salle d’irradiation (situation 9).

Les écarts qui n’ont pas fait l’objet d’un consensus entre les sujets/professions concernent les

contrôles réalisés par une tierce personne : le physicien médical qui doit contrôler le travail de

son collègue, le médecin référent qui doit contrôler le travail de l’interne et la manipulatrice

qui doit contrôler le travail de sa collègue. On voit que les contrôles redondants sont remis en

question par certains sujets, alors qu’ils sont d’une grande importance pour d’autres. Des

arguments plus nuancés sont présents lors des jugements des situations 3 et 9 : pour certains

sujets ces écarts peuvent être acceptés sous conditions particulières liées au type de cas

(dossiers simples) et au type de situation (rattrapage de retards, situation d’urgence). Lors du

jugement de ces 2 situations, les résultats montrent les désaccords entre professions.

La situation 4 est acceptée par certains sous l’argument que les internes sont en période de

formation et qu’il est donc normal qu’ils se retrouvent seuls en simulation, en sachant qu’ils

auront l’opportunité de confronter leurs pratiques à celles des médecins référents lors des

réunions de staff. Les contraintes de temps des médecins référents ne leur permettent pas

d’être tout le temps présents sur le poste de simulation, mais ils sont joignables en cas de

problème à travers un système de bip. La même situation est considérée comme inacceptable

par d’autres sujets car elle comporte trop d’inconvénients en cas d’erreur de l’interne et de

non vérification à temps par les médecins. Les inconvénients sont notamment la perte de

temps pour refaire une simulation et le risque que ceci ne se fasse pas dans les temps et qu’on

perde des places au poste de traitement. Une relation entre la profession des sujets et le

jugement de cet écart n’a pas été observée.

Les deux autres écarts sont majoritairement acceptés par les médecins et certains physiciens,

tandis que les manipulatrices et dosimétristes se montrent plus prudents quant à leur

acceptation. On constate un désaccord entre les groupes professionnels.

La situation 3 sera acceptée par certains sujets sous la condition qu’il s’agisse de cas simples.

Par d’autres elle sera complètement acceptée car la chaîne de contrôles est suffisamment

fiable et l’autocontrôle réalisé par le physicien ne remet pas en cause la sécurité des

traitements.

La situation 9, concernant la manipulation effectuée seule au lieu du travail en binôme a été

jugée inacceptable par les 4 manipulatrices. Pour elles, cet écart semble invraisemblable et ne

garantie en rien le rattrapage des retards. Au contraire, cette situation contribue à

l’augmentation des retards dans le sens où il est plus facile et plus rapide de placer le patient à

deux qu’individuellement. En plus, la manipulation à effectuer seule représente une

augmentation des risques d’erreurs et de leur non récupération dont le risque d’oublier

certains accessoires de placement, notamment. Notons donc que, pour les manipulatrices, le

type d’organisation énoncée dans la situation 9 pour récupérer les retards est inconcevable.

Je ne comprends pas que ça puisse se passer. Déjà, ça ne me fait pas gagner de temps parce qu’on travaille plus vite à deux que toute seule. Il faut être d’un côté, de l’autre côté… C’est quand même plus facile de placer un patient quand on est à deux. Je trouve ça [cet écart] aberrant. C’est trop source d’erreur, parce que la manip est toute seule à l’intérieur. Quand tu es tout seul c’est donc plus difficile de s’en apercevoir, parce que faire une erreur c’est aussi signaler le fait que tu as fait une erreur, c’est ça le plus important, parce ça a des conséquences

plus ou moins sur le patient. Ma2

A l’inverse des manipulatrices, la majorité des médecins et physiciens considèrent que le

travail en binôme n’est pas forcément un gage de sécurité car parfois les professionnels

peuvent « se reposer » sur le travail de leurs collègues, ce qui signifie que le contrôle et l’aide

mutuels n’existeront pas toujours. Ils rajoutent que compte tenu de la pénurie de personnel en

radiothérapie, le travail de manipulation en binôme n’est pas toujours possible partout.

C’est bien si elles s’organisent comme ça pour aller plus vite. Moi, je n’ai rien contre, ça ne me pose pas de problème. Au contraire, je trouve ça bien ! Vous savez ? ce n’est pas forcément parce qu’elles sont seules qu’elles vont faire des erreurs. Parfois, le fait d’être seul vous oblige à être

plus vigilant. M1

Un physicien, un médecin et une dosimétriste acceptent l’écart sous la condition qu’il ne se

reproduise pas systématiquement, mais seulement dans les situations de rattrapage de retard,

c’est-à-dire les situations de récupération, dont on sait qu’elles sont à risque.

Le jugement de cette situation met en évidence la méconnaissance qu’ont les sujets du travail

réel des manipulatrices, de ce qui est important pour elles pour assurer la sécurité des patients,

que ce soit lors des situations de récupération ou des situations nominales.

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3.3.5.Les écarts déclarés au système d’événements indésirables : la prise en compte

des conséquences et non des risques de l’écart

En fin d’expérimentation, les sujets devaient indiquer les situations qu’ils auraient déclarées

en tant qu’événement indésirable (EI). Les écarts de dose ont été majoritairement indiqués.

Ceci correspond au fonctionnement du système de retour d’expérience local : seul y sont

déclarés les écarts de dose ou de volume avérés.

o la situation 5 a été indiquée par 11 sujets ;

o la situation 6 a été indiquée par 10 sujets ;

o la situation 7 a été indiquée par 9 sujets.

Les situations 1 et 4 ont été chacune indiquée par un sujet. En dépit du fait que la majorité des

sujets jugent la situation 1 inacceptable, 1 sujet seul la déclarerait en tant qu’EI. De même, les

4 situations restantes ne seraient pas déclarées en tant qu’EI alors que des risques pour la

sécurité des patients ont été identifiés. Deux sujets ne déclareraient aucune des 9 situations

présentes, avec la justification qu’aucune d’entre elles n’a eu de conséquences graves pour les

patients.

Les résultats présentés dans cette partie valident nos deux premières hypothèses, qui

présument qu’il existe des écarts qui sont acceptables et d’autres qui ne le sont pas (H1) et que

les critères d’acceptabilité sont en lien avec le type d’écart (H2).

Les résultats ont montré que les critères d’acceptabilité des écarts semblent être plus en lien

avec les conséquences avérées de l’écart, qu’avec les risques de celui-ci. Autrement dit,

malgré l’identification de certains risques dans une situation donnée, celle-ci peut être

acceptable tandis que les situations qui ont conduit à des écarts de dose ont été considérées

comme inacceptables.

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