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PARTIE II : CADRE THEORIQUE

Chapitre 4. Les aspects collectifs du travail et leur lien avec la sécurité des systèmes

2. La sécurité dans le travail collectif

2.3. Favoriser la coopération pour développer un collectif sûr

2.3.2. Les formations aux activités collectives à risques

Baker, Day et Salas (2006) soulignent que malgré l’importance du travail collectif en milieu

médical, la plupart des unités médicales fonctionnent encore comme une collection de

professionnels (médecins, infirmières, aides-soignantes, etc.). Ces auteurs avancent que ceci

vient en partie du fait que les membres du personnel soignant ne sont que très rarement

ensemble lors des formations continues. Issus de disciplines et de formations de base

différentes, ils continuent à suivre uniquement des formations continues spécifiques à leurs

spécialités d’origine. Celles-ci ne sont bien sûr pas remplaçables, or étant donné le caractère

interdisciplinaire du milieu médical, et la nécessité de coopération entre les différents

professionnels, les progrès en termes de développement du collectif sont fondamentaux pour

augmenter le niveau de culture collective de sécurité et ainsi assurer la sécurité des patients.

Chap. 4 : Les aspects collectifs du travail et leur lien avec la sécurité des systèmes

L’aspect individualisé de la médecine, avec une forte autonomie des médecins, a été cité par

Amalberti et al. (2005) comme une des cinq barrières pour l'évolution de la sécurité en santé.

Selon ces auteurs, pour que la médecine devienne un système ultra-sûr, il faudrait abandonner

les traditions et l’autonomie exagérée que certains professionnels pensent, à tort, être

nécessaires pour rendre leur travail efficace.

Nous avons vu d’une part, que la présence de chacun dans l’activité de tous et la présence de

tous dans l’activité de chacun font partie des conditions d’efficacité du travail coopératif

(Darses & Falzon, 1996), et d’autre part, comme présenté au chapitre 3, que l’augmentation

du niveau de culture de sécurité ne peut être effective sans une prise en compte de tous les

niveaux de défaillance du système sociotechnique, y compris les contraintes réelles de

l’ensemble des individus (Pronovost & Sexton, 2005).

Ces exigences en matière de développement du collectif sûr peuvent constituer, selon le cas,

la visée explicite d’une formation. Les formations existantes prennent des formes diverses,

selon les besoins des professionnels et selon le domaine auquel ils appartiennent. Nous en

présenterons ici deux formes, issues de l’aviation civil et militaire, la première étant plus

connue dans le milieu médical, notamment en anesthésie (Dev, Youngblood, Heinrichs &

Kusumoto, 2007 ; Nyssen, Larbuisson, Janssens, Pendeville & Mayne, 2002).

Les CRM (Crew Resource Management)

Le programme de formation Crew Resource Management (CRM), issu de l’aviation civile

dans les années 1990, a pour but la réduction des erreurs et par conséquence l’augmentation

de l’efficacité des équipages durant les vols (O'Connor & Flin, 2003). Le CRM peut être

défini comme « l’usage de toutes les ressources disponibles – information, équipements et

opérateurs – pour atteindre la sécurité et l’efficacité des opérations aériennes » (Lauber, 1984,

p.20, cité par O'Connor & Flin, 2003, p.591). Le contenu des formations est conçu de manière

à cibler les connaissances, capacités et habilités des opérateurs, ainsi que les attitudes et

motifs liés aux processus cognitifs et aux relations interpersonnelles. Même s’il n’existe pas

de méthodologie standardisée pour développer les programmes de formation CRM – les

compagnies sont libres en termes de développement de cours –, les cours couvrent

généralement six points : travail collectif, leadership, conscience de la situation, prise de

décision, communication et limitations personnelles. Les séances prennent la forme de cours

théoriques, lectures, travaux pratiques, tours de rôle et études de cas d’école via le récit ou la

vidéo. Elles se déroulent pendant deux ou trois jours (O'Connor & Flin, 2003).

L’objectif des CRM est d’accroître les compétences non techniques des équipes pour

améliorer leurs comportements individuels et collectifs vis-à-vis de la sécurité. L’efficacité de

tels programmes est difficilement mesurable entre autres à cause des bas taux d’accidents en

aviation. En revanche, il a été démontré que cette formation a un impact positif sur les

comportements et attitudes des équipages (Flin & Maran, 2004).

Ce type de programme de formation, appliqué de façon réglementaire en aéronautique

professionnelle, voit sa recrudescence dans la gestion des situations à risques impliquant des

petites équipes, dont les équipes médicales (de blocs opératoires notamment). D’autres

appellations ont ainsi vu le jour, comme Crisis Avoidance Resource Management for

Anaesthetists (Flin & Maran, 2004) et Surgical Crisis Management (Moorthy et al., 2006). Il

s’agit ici encore d’un transfert de méthodes des industries ayant fait des progrès en termes de

sécurité vers le milieu médical (cf. chapitre 1, §3). Plusieurs auteurs ont analysé ce

phénomène (Flin & Maran, 2004 ; Morey et al., 2002 ; Thomas, Sexton & Helmreich, 2004).

Morey et al. (2002) ont évalué l’utilisation du CRM en médecine d’urgence à travers

MedTeams, un projet de recherche américain qui vise à appliquer les programmes de

formation CRM en médecine d’urgence. Environ 690 médecins, infirmières et techniciens

ayant participé à la formation CRM ont eu leurs comportements et attitudes évalués – et

comparés à un groupe-contrôle (n’ayant pas subi la formation) – avant, et quatre et huit mois

après la formation. Les résultats indiquent une réduction des erreurs, un comportement plus

tourné vers le groupe et une amélioration de la qualité du groupe, qui sont statistiquement

significatifs chez les 690 professionnels ayant suivi la formation quand comparés au groupe

contrôle.

Flin & Maran (2004) incitent à la prudence lors du transfert des formations CRM vers le

milieu médical, dans le sens où elles doivent être conçues à partir d’une analyse des

compétences non techniques en médecine, qui ne sont pas forcément de même nature que

dans l’aviation : « ce n’est pas suffisant de prendre les méthodes de formation de l’aviation et

simplement remplacer « pilote » par « infirmière » ou « médecin » » (p. i83). Ceci renvoi

également à la place des patients dans la participation à la sécurité des soins, qui est différente

de celle des passagers dans la sécurité du vol. Les auteurs ajoutent que les pilotes ont un

environnement de travail très procéduralisé en comparaison au bloc opératoire ou à la

médecine d’urgence, et qu’il existe des différences marquantes entre les professionnels de

santé selon les cultures nationales, et que celles-ci influent beaucoup sur l’acceptation ou non

de certains comportements.

Les formations croisées (cross-training)

Les formations croisées, utilisées initialement dans la marine américaine, tentent de répondre

à la question suivante : « comment pouvons-nous passer d’une équipe d’experts à une équipe

experte ? » (Cannon-Bowers, Salas, Blickensderfer & Bowers, 1998, p. 92). Elles ont été

définies comme une stratégie à travers laquelle chaque membre d’un groupe est formé sur les

tâches, les contraintes et les responsabilités des autres membres du groupe. L’objectif est de

permettre à l’ensemble des membres du groupe une compréhension claire de l’ensemble des

fonctions du groupe et comment leurs tâches et responsabilités spécifiques sont en lien avec

celles des autres membres du groupe (Cannon-Bowers et al., 1998).

Cet entraînement peut être de nature diverse, allant des formations données oralement ou par

écrit à des permutations momentanées des rôles. Les études expérimentales réalisées avec 120

marins confirment l’hypothèse de l’efficacité de la formation croisée pour améliorer la qualité

et la performance du groupe. Les auteurs de ces études (Cannon-Bowers et al., 1998 ; Volpe,

Cannon-Bowers, Salas & Spector, 1995) attribuent l’effet positif de la formation croisée au

Chap. 4 : Les aspects collectifs du travail et leur lien avec la sécurité des systèmes

fait qu’elle améliore la coordination implicite, c’est-à-dire les coordinations qui ne nécessitent

pas de manifestation ou explicitation.

La question initiale a ensuite été adaptée au milieu médical, notamment dans un article

intitulé : How to turn a team of experts into an expert medical teams : guidance from the

aviation and military communities (Burke, Salas, Wilson-Donnelly & Priest, 2004). L’idéeest

d’utiliser les leçons tirées de ces domaines pour accélérer l’impact des formations collectives

dans le domaine médical.

La mise en place de tels espaces de confrontation des pratiques, lorsqu’ils sont outillés au

moyen de méthodes adaptées, favorise la pratique réflexive, c’est-à-dire la pratique « dans

laquelle l’opérateur se donne comme objet de travail sa propre activité de travail » ou celle de

ses collègues (Falzon & Teiger, 1995). Il existe plusieurs techniques pour susciter les activités

réflexives. L’auto-confrontation et l’allo-confrontation (Mollo & Falzon, 2004) en constituent

deux possibilités fréquemment utilisées en ergonomie.

Ce type de formation à la réflexivité permet aux différents participants (opérateurs et

hiérarchie de proximité) d’analyser collectivement le travail réel, de combler le vide entre les

procédures et les pratiques réelles de travail et de développer la capacité de jugement sur

quand et comment s’adapter à l’implicite des procédures ou à l’imprévu des situations

(Dekker, 2003). De manière plus générale, ces espaces de confrontation de pratiques, outils de

développement du collectif, auraient des bénéfices immédiats en termes de mise en visibilité

de l’activité de chacun, de correction de certaines pratiques ou de création de règles d’action

collectives (Mhamdi, 1998). La formation collective aux pratiques réflexives vise à donner

aux professionnels des occasions de réfléchir sur leur pratique permettant notamment le

développement de métaconnaissances.

PARTIE III : PROBLEMATIQUE

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