PARTIE IV : PARTIE EMPIRIQUE
Chapitre 9. Du virtuel au réel : la recherche d’optimalité et l’anticipation des risques
3.4. La diversité de cultures : l’effet des ressources disponibles et des protocoles médicaux sur la
Dans cette section, il sera démontré l’effet des cultures locales sur les compromis réalisés par
les physiciens. Nous avons montré que les compromis réalisés sont dépendants des ressources
mises à disposition des physiciens, et donc variables d’un centre à un autre. Cependant, même
à niveau égal de ressources techniques (accès à une technique alternative, par exemple), une
variabilité entre les centres a été observée. Ceci est dû à la diversité de protocoles médicaux
pour un même cas, comme il sera démontré dans ce qui suit. Ainsi, associé aux ressources
techniques et humaines disponibles, les protocoles médicaux constituent des éléments à
l’origine de la diversité de cultures observée dans les centres. Nous le démontrerons en
prenant appui sur la diversité de solutions proposées pour le cas de cancer de la prostate
(dosimétrie 1).
La radiothérapie pour le cancer de la prostate est considérée comme protocolaire. A part
quelques adaptations pour permettre une balistique optimale vis-à-vis des caractéristiques de
chaque patient (morphologie, taille de la tumeur), la configuration des faisceaux et la
prescription de la dose font partie des référentiels thérapeutiques. De ce fait, nous nous
attendions à voir peu de variabilité entre les solutions proposées pour ce type de cas.
Les prostates de toute façon c’est quelque chose de très standardisé, c’est-à-dire qu’en gros, deux patients qui sont en traitement de prostate ont quasiment le même traitement. La seule différence qu’il y aura c’est sur le multi-lames qui sera un peu plus grand, un peu plus petit selon la prostate du monsieur. […]. En tout cas, l’énergie, l’angulation du bras, le nombre de faisceaux, les doses,
tout ça c’est très standard. P2, Centre A
C’est un traitement hyper protocolaire, parce qu’anatomiquement cela varie quand même assez peu d’un patient à un autre. Evidemment il y a des gens plus au moins gros mais la balistique
varie peu. P4, Centre D
Néanmoins, plusieurs protocoles ont été proposés pour le cas de cancer de la prostate
présenté. En plus de la solution initialement présentée aux sujets (solution 1), nous avons
obtenu 5 autres solutions proposées.
L’ensemble des solutions proposées par sujet et par centre est présenté dans le tableau 14.
Trois grands résultats s’en dégagent.
Centres
Sujets Solutions proposées par sujet Solutions proposées par centre P15 fx IMRT (80Gy)
ou 5 fx conformationnelle (70-76Gy)
P2 ou 5 fx conformationnelle (70-76Gy) 5 fx IMRT (80Gy)
P3 ou 5 fx conformationnelle (70-76Gy) 5 fx IMRT (80Gy)
P7 5 fx IMRT (80Gy) ou 5 fx conformationnelle (70-76Gy) Centre A P8 5 fx IMRT (80Gy) ou 5 fx conformationnelle (70-76Gy)
Sol. 1 : 5 fx IMRT (80Gy)
Sol. 2 : 5 fx conformationnelle (70-76Gy)
P11 4fx conformationnelle (45Gy) + 4fx (72-76Gy)
Centre B
P12 4fx conformationnelle (45Gy) + 4fx (72-76Gy)
Sol. 3 : 4fx conformationnelle pour 45Gy + 4fx (72-76Gy)
P13 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
Centre C
P14 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
Sol. 4 : 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
P4 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
Centre D
P5 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
Sol. 4 : 4fx conformationnelle (45Gy) + 6fx (76Gy)
P6 4fx conformationnelle pour (45Gy) + 6fx (74Gy)
P9 4fx conformationnelle pour (45Gy) + 6fx (74Gy)
Centre E
P10 4fx conformationnelle pour (45Gy) + 6fx (74Gy)
Sol. 5 : 4fx conformationnelle pour (45Gy) + 6fx (74Gy)
TOTAL 5 solutions
Tableau 14 : Solutions proposées par sujet et par centre concernant un cancer de la prostate
Légende : P : physicien médical ; fx : faisceaux ; Gy : gray, unité de mesure de la dose de rayons
En premier lieu, la répartition des différentes solutions montre que les solutions diffèrent
selon les centres, à l’exception d’une solution qui est partagée par les centres C et D (solution
4).
En second lieu, à l’exception du centre A, aucun centre ne peut proposer la solution
initialement proposée (en IMRT), faute de ressources techniques, humaines et
Chap. 9 : Du virtuel au réel : la recherche d’optimalité et l’anticipation des risques
organisationnelles. Ceci constitue un premier facteur à l’origine de la diversité de solutions
vis-à-vis de la solution 1, considérée par la quasi totalité des sujets (13/14) comme une
solution idéale. Les compromis réalisés vis-à-vis de cette « solution idéale » conduisent les
sujets à proposer une solution possible avec les moyens disponibles, c’est-à-dire dans ce cas,
avec la technique conformationnelle (au lieu de l’IMRT).
En troisième lieu, en dépit de l’égalité de ressources techniques, 4 solutions sont identifiées
parmi les solutions proposées en conformationnelle. Ceci laisse présumer qu’au delà des
ressources disponibles, les protocoles médicaux constituent un facteur à l’origine de la
diversité de solutions proposées. En effet, les sujets d’un même centre, qui disposent donc des
mêmes protocoles médicaux, proposent des solutions identiques, ce qui laisse penser que les
compromis et les choix réalisés sont le résultat de cultures locales. Nous en donnerons ici
deux exemples.
Dans le centre B, par exemple, pour justifier leur choix de solution proposée, les physiciens se
réfèrent à « l’habitude des médecins » d'utiliser cette technique. Un physicien signale qu’en
dépit de nouvelles propositions de la part des physiciens, les médecins gardent leur protocole
habituel. Ce sujet questionne l’efficacité de la solution proposée dans son centre lors de la
comparaison avec une technique utilisée ailleurs. Cet exemple montre l’effet du protocole
médical utilisé sur les solutions proposées.
Je sais qu’ici les médecins ont l’habitude de la technique des 4 faisceaux et même si on leur propose des nouveautés en général ils repartent dessus. Je pense que peut-être avec 6 faisceaux en réduction on est plus conformés qu’avec nous juste avec nos 4 faisceaux. Finalement cela fait
un carré sur la tumeur qui ne l’est pas, on est peut-être moins conformés au volume. P11, Centre
B
De même, dans le centre E, les sujets ont évoqué que le choix pour la solution proposée a été
réalisé suite à une étude menée dans le centre, à travers laquelle il a été constaté qu’il s’agit de
la meilleure balistique pour bien concentrer la dose à la prostate. Cette étude, réalisée
localement, est le fruit d’une collaboration entre physiciens et médecins. La technique utilisée
dans le centre E est proche de celle utilisée dans les centres C et D, la seule différence étant la
prescription de la dose totale. Celle-ci est réalisée par les médecins.
On est partis sur 6 obliques équi-distribués en réduction. On a fait une dizaine de dossiers en cherchant l’angle pour chaque patient et on s’est aperçu qu’équi-distribués à 45° pour la majorité
des patients, sauf cas particulier, cela nous donnait des isodoses qui nous vont bien. P9, Centre E