PARTIE IV : PARTIE EMPIRIQUE
Chapitre 7. La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets
2. Méthodes
L’étude a été réalisée dans le terrain A. La méthode de recueil employée dans cette phase
consiste à présenter un ensemble de situations d’écart à différents professionnels de la
radiothérapie. Cette partie détaillera la préparation et la mise en œuvre pratique de cette phase
de recueil ainsi que les méthodes d’analyse des données obtenues.
2.1. Méthodes de recueil des données
La première étape consiste à sélectionner des situations d’écart.
2.1.1.Sélection des situations d’écart
Les situations d’écart ont été sélectionnées selon deux sources : la base de données du groupe
de Gestion des Evénements Indésirables (GEI) du service de radiothérapie étudié et les
observations ouvertes réalisées dans ce service.
Les critères de sélection des situations étaient :
o la fréquence de l’écart : dans un souci de « réalisme » et dans le but de comprendre
l’origine des dysfonctionnements, les écarts le plus souvent observés et déclarés au
groupe GEI ont été sélectionnés ;
o la profession concernée par l’écart : de manière à représenter toutes les professions, les
écarts sélectionnés concernent les radiothérapeutes, les physiciens médicaux et
dosimétristes et les manipulatrices ;
o l’existence d’une norme écrite encadrant l’écart : de façon à vérifier l’allusion aux
normes de sécurité et la diversité d’évaluation face à un écart non encadré par
celles-ci, les écarts sélectionnés font référence à des normes écrites et non écrites.
Neuf situations ont été sélectionnées et concernent trois grandes classes de
dysfonctionnements :
o les ambiguïtés dues au double support d’information (électronique et papier) ;
Chap. 7 : La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets
o la non réalisation des contrôles prescrits.
Les situations peuvent contenir un ou plusieurs écarts. Le Tableau 6 présente, pour chaque
situation, l’ordre de présentation, une description de la situation, la norme à laquelle elle fait
référence, le type d’écart le plus souvent identifié par les sujets et codé pour le jugement et
l’origine de la sélection de la situation.
Légende : NE : norme écrite ; NNE : norme non écrite ; GEI : groupe de Gestion des Evénements Indésirables ; Obs : Observations ouvertes ; RT : Radiothérapeute collaborateur
Ordre Description des situations Norme Ecart codé pour le jugement Origine de la sélection de la situation 1
Un traitement a été planifié sur une seule journée. La dosimétrie a été validée par le physicien médical et par le radiothérapeute.
Les données sont présentes dans Varis25, mais
la feuille d'irradiation26 est arrivée vierge au
poste. Le traitement a été réalisé
conformément à Varis. NE : Le remplissage de la feuille d'irradiation est de la responsabilité de tous les intervenants Feuille d'irradiation qui arrive vierge au poste GEI 2
Nous sommes le 23 juin et Mme X aura sa première séance le 24 juin (séance 0, sans
irradiation) au matin. La dosimétrie n'a pas
encore été lancée vers Varis et le dossier27 de la patiente n'est pas encore au poste de traitement.
NNE : Afin de respecter la phase "d'appropriation du
dossier" par les manipulatrices, celui-ci doit arriver au poste au
moins 24h avant la réalisation de la séance 0. Réduction du temps d'appropriation du dossier Obs 3
Il est mardi, 10h, le patient est en salle d'attente pour sa première séance. Le dossier est au poste, mais le double contrôle par un physicien (contrôle Varis)28 n'a pas été fait. Aujourd'hui le physicien d'astreinte pour le double contrôle est celui qui a réalisé le premier contrôle sur la
dosimétrie deux jours avant. Il réalise le
contrôle Varis de la dosimétrie.
NNE : Le physicien qui réalise le double contrôle (P2) doit être différent de celui qui a
réalisé le premier contrôle sur la dosimétrie (P1).
Contrôle Varis
par Physicien 1 Obs
25
Il s’agit du type du logiciel d’enregistrement et contrôle des paramètres d’irradiation utilisé dans le terrain A. Il est connecté à l’appareil de traitement et contient les paramètres d’irradiation pour chaque patient (nombre de séances, nombre de faisceaux, nombre de dose par séance et par faisceaux, paramètres de positionnement du bras de l’accélérateur et de la table, etc.).
26
La feuille (ou fiche) d’irradiation, est une feuille en papier qui contient la construction séquentielle du
traitement depuis la prescription médicale. Elle est « censée » être une copie conforme de ce qu’il y a dans Varis. Sur la feuille nous retrouvons néanmoins, comme nous les verrons, des photos et des annotations qui ne sont pas présentes dans Varis.
27
Il s’agit du dossier papier du patient contenant la feuille d’irradiation, la dosimétrie imprimée et les images de contrôle du positionnement (images portales).
28
Le contrôle Varis (ou double contrôle) est le contrôle réalisé sur la dosimétrie une fois que celle-ci a été transférée du poste de dosimétrie vers le poste de traitement. Le but est d’identifier des erreurs dues au transfert informatique des données.
4
Un patient est passé au simulateur lundi. Le
radiothérapeute référent du patient n'y était
pas présent et n'est pas satisfait de la
simulation réalisée par l'interne. Un nouveau RDV au simulateur est pris pour le vendredi suivant. La date de début du traitement avait été fixée pour ce vendredi en question. Le début du traitement sera décalé.
NNE : Le radiothérapeute référent
doit être présent durant la phase de simulation du traitement. Absence de radiothérapeute référent au simulateur RT 5
Sur un poste sans contrôle automatique des paramètres (Varis), pour un traitement d'un
sein en DD29, la dose prescrite sur la feuille
d'irradiation est de 50 Gy. La dose prescrite sur la dosimétrie imprimée et approuvée est de 45
Gy. La patiente a été traitée avec une dose
de 50Gy (vérifié lors d'une consultation de fin de traitement). NE : La dosimétrie approuvée est la référence pour le traitement Faille de contrôle culminant à un écart de dose GEI 6
Une dosimétrie pour un pelvis a été prévue avec 4 faisceaux. La séance 1 a été effectuée conformément à la dosimétrie. Lorsque le radiothérapeute vient valider les images de contrôle pour la séance 2, il a dit ne vouloir
que 2 faisceaux. Il se rend compte que la
dosimétrie n'était pas signée, ni par lui-même ni par le physicien.
NE : Le traitement ne doit pas être réalisé en absence des signatures
des physiciens et médecins sur la dosimétrie Réalisation du traitement sans signature sur la dosimétrie GEI 7
Pour un protocole crâne, le patient a été traité
sans cache30 le 9 octobre. Le lendemain la
manipulatrice du poste s'aperçoit, après le premier faisceau, qu'il faudrait mettre des caches. Le traitement est arrêté. Les caches n'étaient pas faits.
La norme est la prescription du cache Faille de contrôle culminant à un écart de dose GEI 8
Deuxième séance d'irradiation, la patiente est sur la table. L'imagerie portale31 est en panne. Le technicien de maintenance informe que l'appareil fonctionne, mais que le portal ne sera pas réparé aujourd'hui. Il reste 30 patients à traiter. Les traitements sont réalisés.
NE : L'imagerie portale doit être réalisée pour les séances 0, 1 et 2 et
puis une fois par semaine. Pour les patients traités avec IMRT celle-ci doit être
réalisée tous les jours de traitement. Réalisation du traitement sans portal Obs 9
Le poste était en panne ce matin. Il est midi et pour récupérer le retard, les manipulatrices
s'organisent entre elles de manière qu'une doit
s'occuper des patients (car elle les connaît
mieux) pendant que l'autre avance les données sur la feuille d'irradiation, c'est-à-dire le remplissage des cases quotidiennes (unité, dose/séance, etc.) NE : Les manipulatrices doivent travailler en binôme, en dehors et à l'intérieur de la salle d'irradiation. Manipulatrice seule en salle d'irradiation Obs
Tableau 6 : Description des situations d’écart présentées aux sujets
29
Décubitus Dorsal : allongé sur le dos.
30
Les caches en plombs servent à protéger certaines zones des rayons. Ils sont personnalisés et doivent être accouplés à l’appareil de traitement avant le lancement des faisceaux.
31
Chap. 7 : La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets
2.1.2.Consigne
La consigne a été présentée oralement en début de passation. La première partie de la
consigne concerne un rappel du projet de recherche.
Je vous remercie de m’accorder votre temps et de bien vouloir participer à cette recherche
qui rassemble votre établissement, le laboratoire d’ergonomie du Cnam et l’Institut de
Radioprotection et Sûreté Nucléaire (IRSN). Notre objectif est d’étudier la sûreté/sécurité des
pratiques de planification et d’administration de la dose de rayons en radiothérapie,
c’est-à-dire de comprendre comment vous vous organisez individuellement et collectivement pour
garantir la sécurité des soins. L’objectif n’est ni de juger vos pratiques ni de vous
sanctionner.
La seconde partie est la consigne proprement dite.
Je vais vous présenter des situations qui ont été construites à partir d’observations réalisées
dans ce service. Vous serez dans une position où il faut évaluer les situations et ses
contraintes. Pour chacune des situations présentées, je vous demande d’exprimer ce que vous
en pensez. Je vous demanderai si ce type de situation se produit souvent, ou au contraire,
exceptionnellement. Je vous demanderai également de signaler quelques facteurs qui peuvent
contribuer à cette situation. Enfin, je vous demande de signaler les situations que vous
déclareriez en tant qu’événement indésirable. Les situations vous seront présentées les unes
après les autres. Vous pouvez poser des questions à tout moment.
2.1.3.Validation du protocole expérimental
Le protocole expérimental a été validé en collaboration avec un radiothérapeute du service de
radiothérapie étudié (terrain A).
La phase de validation a consisté à soumettre l’ensemble des situations au radiothérapeute,
dans les mêmes conditions que celles prévues pour la mise en œuvre pratique (présentation de
la consigne et des situations). L’objectif était d’estimer le temps de la passation et de vérifier
la compréhension, par le radiothérapeute, des situations décrites.
A la fin de la passation, une phase de débriefing a permis de valider le protocole expérimental
proposé et de rajouter la situation 4.
2.1.4.Sujets
Au total, 14 sujets ont accepté de participer à cette étude, dont 4 radiothérapeutes, 4
physiciens médicaux, 4 manipulatrices et 2 dosimétristes. Ils appartiennent tous au terrain A
et leur ancienneté dans le service est de 3 ans minimum.
L’ensemble des sujets a traité les 9 situations. L’ordre des situations a été le même pour tous
les sujets. Les entretiens individuels ont duré 40 minutes environ. Les verbalisations ont été
enregistrées, puis retranscrites dans leur intégralité.
2.2. Méthode d'analyse des données
La retranscription des 14 verbalisations à propos de 9 situations d’écart a fourni 126
protocoles verbaux. Ils ont été analysés par une analyse de contenu manuelle.
Les catégories de codage des verbalisations ont été construites selon nos hypothèses et
objectifs de recherche. Sur cette base, 7 catégories de codage ont été construites, comme suit :
i) référence à une situation nominale ; ii) écarts identifiés ; iii) facteurs contribuant à l’écart ;
iv) risques de la situation; v) acceptabilité de l’écart ; vi) conditions d’acceptabilité de l’écart ;
vii) déclaration de la situation en tant qu’événement indésirable.
Les données ont été analysées de manière qualitative à travers le codage des verbalisations et
de manière quantitative, par fréquence d’appariation d’une information dans une catégorie
donnée. Les résultats seront illustrés par des verbatim (dans les encadrés, en italique ;
Légende : Ma = manipulatrices ; P = physiciens médicaux ; D = dosimétristes ; M = médecins radiothérapeutes