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PARTIE IV : PARTIE EMPIRIQUE

Chapitre 7. La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets

4. Conclusions préliminaires et perspectives

Les résultats de cette campagne de recueil de données ont permis de répondre aux objectifs et

de valider les hypothèses formulées.

D’abord, ils confirment les hypothèses 1 et 2 selon lesquelles le degré d’acceptabilité ou non

acceptabilité des écarts est variable et que cette variabilité est relative au type d’écart. Il a été

montré en effet que certains écarts sont plus acceptés que d’autres. D’une part, les écarts

conduisant à un écart de dose ont été considérés comme étant plutôt inacceptables, ce qui

nous laisse présumer que les critères de jugement sont en lien avec les conséquences de

l’écart. Les résultats indiquent qu’un écart devient majoritairement inacceptable dès lors qu’il

risque de ne pas être détecté et récupéré par l’ensemble des professionnels de la chaîne.

Chap. 7 : La diversité des pratiques : des cultures de sécurité distinctes selon l’activité des sujets

D’autre part, certains écarts dont les risques ont été identifiés mais qui n’ont pas conduit à des

écarts de dose ont été considérés comme plutôt acceptables ou acceptables avec conditions.

Ceci renforce l’idée que les jugements d’acceptabilité sont plus en lien avec les conséquences

avérés de des écarts qu’avec leurs risques. Par ailleurs, les résultats mettent en évidence

l’influence du facteur « fréquence de l’écart » dans les jugements. Dans nos situations

majoritairement acceptables et mitigées, le non respect de la norme, qu’elle soit formelle ou

informelle, fait partie des violations routinières, générées par les opérateurs ou par l’équipe et

tolérées (ou plus ou moins ouvertement encouragées) par l’ensemble des acteurs. Ceci peut

constituer une explication de l’acceptabilité de certains écarts par les professionnels de notre

échantillon. Il existe une tâche officiellement prescrite et une tâche attendue officieusement

(Chabaud, 1990). A partir du jugement des professionnels sur les situations présentées, on

vérifie une tolérance aux écarts, dans le sens où le fonctionnement « dégradé » est accepté : il

semble faire partie des pratiques « normales ». Ce mode de fonctionnement « illégal-normal »

(Amalberti, 2004 ; Rasmussen, 1997) peut conduire le système vers les pratiques dangereuses,

comme démontré dans le modèle de migration des pratiques.

Les résultats de cette étude montrent également une variabilité interprofessionnelle dans le

jugement des situations d’écart, ce qui conduit à la validation de notre hypothèse 3. D’une

part, cette tolérance aux écarts avancée ci-dessous est apparue aussi comme attribuable à la

profession des sujets. Nous avons vu par exemple, que pour les médecins, les physiciens

peuvent toujours s’autocontrôler, pour les physiciens et dosimétristes les physiciens peuvent

s’autocontrôler seulement dans les cas des traitements classiques, pour les manipulatrices les

physiciens ne doivent jamais s’autocontrôler. Les sujets s’appuient sur des arguments issus de

leur expérience pour justifier leur tolérance ou non aux écarts : leur rapport au risque, leur

connaissance sur les autres, etc. De manière générale, les médecins ont tendance à plus

accepter les écarts que leurs collègues. Les manipulatrices se sont montrées les plus prudentes

pour l’acceptation des écarts. Ceci peut être dû à leur position dans la chaîne (proximité de

l’acte final) et donc à leur visibilité quotidienne de l’ensemble des écarts produits en amont.

En plus, en cas d’erreur ou d’accident, les conséquences se manifestent au poste de traitement.

D’autre part, nous avons également montré que des sujets de professions différentes

n’accepteront pas un même écart pour des raisons différentes, liées à leur type d’activité (cf.

l’exemple de la feuille d’irradiation).

De même, les risques des situations ne sont pas perçus de la même manière selon la

profession des sujets. On a identifié ainsi des sous-cultures de sécurité selon les professions et

des métarègles d’action propres aux professions (par exemple : si cas simples,

s’autocontrôler). Ceci a été déjà mentionné dans la littérature comme une donnée à prendre en

compte pour éviter/réduire les situations à risque, et correspond à l’un des mécanismes

sociaux relatifs à la culture de sécurité : la différenciation (Cooper, 2000 ; Richter & Koch,

2004). Ce mécanisme se traduit par une absence de consensus dans les collectifs concernant

les significations données aux choses et aux événements. Ces éléments associés aux résultats

présentés conduisent à la validation de notre hypothèse 4. Dans certaines situations, les

cultures de sécurité propres à une profession peuvent représenter un obstacle à la coopération

sûre interprofessions. Cela est montré au travers du non remplissage de la feuille d’irradiation,

dans la mesure où une fois que l’information utile à l’activité d’un sujet a été prélevée, il ne

s’efforcera pas de rajouter des nouvelles données pour l’activité de la personne suivante de la

chaîne. Pidgeon (1997) parle du fait d’être conscient de ces différentes et tacites sous-cultures

pour faire face à des risques jusqu’à lors non envisagés. L’ambigüité culturelle peut se

manifester comme une extension de la différenciation (Richter & Koch, 2004) et conduire à

des situations d’incertitude quant au partage de références communes (Karsenty, 2003, cité

par Giboin, 2004).

Par ailleurs, un manque de culture de sécurité réglée est également constaté par rapport à

l’insuffisance et au non respect des normes formelles, et à l’élaboration de normes non écrites.

Cette latitude vis-à-vis des procédures a été déjà mentionnée comme un facteur de risque pour

la sécurité des patients en radiothérapie (MeaH, 2007). Certes l’existence de procédures bien

formalisées ne constitue pas une garantie de sécurité car d’une part toute procédure comporte

une part d’incomplétude liée au caractère imprévu des situations, et d’autre part le non-suivi

des procédures seul ne conduit pas nécessairement à l’accident. Or en l’absence d’une règle

explicite, en présence d’une nécessité fonctionnelle immédiate, chacun aura tendance à

construire ses propres règles, fondées sur son expérience professionnelle et/ou personnelle,

son éthique, sa représentation du risque. Un problème de gestion de la sécurité peut se poser

lorsque l’opérateur ne connaît pas suffisamment les résultats de son action d’invention,

d’adaptation (Dekker, 2003), ou encore quand cet ensemble de normes construites

individuellement n’est pas mis en commun, discuté, collectivement (Falzon, 2007).

L’ensemble de ces résultats nous conduit vers la gestion de la sécurité en action ou la sécurité

gérée, c’est-à-dire arbitrée par les professionnels eux-mêmes, en complément aux règles

formelles ou en contradiction avec elles (Amalberti, 2007 ; de Terssac, Boissières & Gaillard,

2009). Le fait est que les professionnels gèrent quotidiennement la variabilité des situations, la

complexité de la chaîne de traitement, les contraintes liées aux patients et l’incomplétude des

normes sans que cela culmine dans l’accident majeur. L’intérêt est de mieux rendre compte de

ces mécanismes de régulations, en cherchant à comprendre comment les professionnels gèrent

l’espace sûr, qui finalement se montre assez large et distinct d’une profession à une autre.

Nous nous intéressons ainsi à observer le travail réel, les aléas, les variations et à identifier et

quantifier les écarts et les adaptations par rapport à ce qui est attendu ainsi que leurs formes de

détection et de récupération si celles-ci ont lieu. L’objectif est également de vérifier le rôle du

collectif dans la production et la récupération des écarts et d’approfondir les aspects de culture

de sécurité selon l’angle des professions mais aussi de le vérifier selon l’angle des terrains

observés (A et B).

Chapitre 8. La gestion de la sécurité en bout de chaîne :

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