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Thierry Lucas est l’un des rares logiciens ayant appliqu´e explicitement la th´eorie des cat´e- gories `a la logique d´eontique. La logique qu’il propose s’inspire des travaux de von Wright et est construite `a partir du langage:

P rop = {p1, ..., pn, ...} est un ensemble d´enombrable d’atomes propositionnels de-

scriptifs et ¬ et ∧ sont des connecteurs bool´eens (Lucas 2006, p.87). Une action atomique Ac(ϕ, χ, ψ) est la description de trois ´etats: l’´etat pr´esent ϕ, l’´etat χ qui r´esulterait des actions d’un agent et l’´etat ψ qui r´esulterait advenant que l’agent n’agisse pas. Les ´enon- c´es dans la port´ee de Ac(ϕ, χ, ψ) sont uniquement propositionnels et appartiennent `a l’ensemble d´efini r´ecursivement de la mani`ere suivante:

ϕ := pi | ¬ϕ | ϕ ∧ ψ

L’ensemble des expressions bien form´ees est d´efini par: ϕ := pi | a | ¬ϕ | ϕ ∧ ψ |2ϕ

Les autres connecteurs sont d´efinis de mani`ere usuelle (avec a une action atomique). Les axiomes pour l’action sont:

Ac(ϕ1∨ ϕ2, χ, ψ) ≡ Ac(ϕ1, χ, ψ) ∨ Ac(ϕ2, χ, ψ) (A1)

Ac(ϕ, χ1∨ χ2, ψ) ≡ Ac(ϕ, χ1, ψ) ∨ Ac(ϕ, χ2, ψ) (A2)

Ac(ϕ, χ, ψ1∨ ψ2) ≡ Ac(ϕ, χ, ψ1) ∨ Ac(ϕ, χ, ψ2) (A3)

Ac(ϕ1∧ ϕ2, χ1∧ χ2, ψ1∧ ψ2) ≡ Ac(ϕ1, χ1, ψ1) ∧ Ac(ϕ2, χ2, ψ2) (A4)

ϕ ≡ Ac(ϕ, >, >) (A5)

¬Ac(ϕ, ⊥, ψ) (A6)

¬Ac(ϕ, χ, ⊥) (A7)

Et les r`egles comprennent le modus ponens ainsi que: ϕ ≡ ϕ0, χ ≡ χ0, ψ ≡ ψ0 Ac(ϕ, χ, ψ) ≡ Ac(ϕ0, χ0, ψ0)

L’op´erateur 2 est un op´erateur de n´ecessit´e axiomatis´e par KM.

L’axiome (A1) indique que si l’action est telle que la disjonction ϕ1 ∨ ϕ2 est vraie

pour l’´etat pr´esent, que χ sera vrai si l’action est accomplie et que ψ sera vrai si elle ne l’est pas, alors soit Ac(ϕ1, χ, ψ) est vrai ou Ac(ϕ2, χ, ψ) est vrai. (A2) exprime que si l’action

est telle que ϕ est vrai, que χ1 ∨ χ2 serait vrai advenant que l’action soit accomplie, et

que ψ le serait si elle ne l’´etait pas, alors soit Ac(ϕ, χ1, ψ) est vrai ou Ac(ϕ, χ2, ψ). Dans

le mˆeme ordre d’id´ees, (A3) stipule que si l’action est telle que ϕ est vrai, χ serait vrai si l’action est accomplie et ψ1∨ ψ2 serait vrai si elle ne l’´etait pas, alors soit Ac(ϕ, χ, ψ1)

est vrai ou Ac(ϕ, χ, ψ2) l’est. Le quatri`eme axiome permet d’´eliminer les conjonctions

`

a l’int´erieur de la port´ee de Ac, et le cinqui`eme indique qu’une description ϕ ´equivaut `

a l’action d´ecrite par Ac(ϕ, >, >). Finalement, (A6) indique qu’il est faux qu’il y a une action telle que ϕ est vrai mais que ⊥ serait r´ealis´e advenant que l’action soit accomplie, et donc il est impossible de faire une action contradictoire, au mˆeme titre que (A7) exprime

qu’il est faux qu’il y a une action telle que ⊥ serait r´ealis´e advenant que l’action ne soit pas accomplie. La r`egle permet la substitution d’´equivalences.

Lucas (2006, p.88) d´efinit un mod`ele s´emantique M = hU, Ag, R, M i par: a : U −→ U

n : U −→ U R ⊆ U × U

M : U × P rop −→ {0, 1}

La fonction a repr´esente l’action d’un agent, `a savoir la transition d’un ´etat `a un autre, tandis que la fonction n repr´esente les « actions » de la nature, c’est-`a-dire la tran- sition d’un ´etat `a un autre advenant l’absence d’action de la part de l’agent. La relation d’accessibilit´e R entre les sc´enarios est r´eflexive et M est une assignation de valeurs de v´erit´e qui assigne `a chaque paire <sc´enario,proposition> une valeur de v´erit´e. Les condi- tions de v´erit´e pour les ´enonc´es propositionnels sont d´efinies usuellement et la condition de v´erit´e pour les actions est:

|=w Ac(ϕ, χ, ψ) ssi |=w ϕ et |=a(w) χ et |=n(w)ψ

Autrement dit, l’action Ac(ϕ, χ, ψ) est vraie pour w si et seulement si ϕ est vrai pour w, χ est vrai pour les sc´enarios accessibles `a w qui correspondent aux sc´enarios qui r´esultent des actions de l’agent, et ψ est vrai pour les sc´enarios accessibles `a w qui correspondent aux actions qui r´esultent de la nature.

L’originalit´e de l’approche de Lucas (2006, p.101) est que ce dernier consid`ere les actions en tant que morphismes dans le cadre de la th´eorie des cat´egories. En effet, il entend les actions comme des fl`eches allant d’un ensemble de conditions initiales `a un ensemble de r´esultats.

Lucas (2008, p.370) d´efinit une alg`ebre d’action comme un triplet hB, ACT , Ci avec B et C deux alg`ebres de Boole (possiblement diff´erentes l’une de l’autre) et ACT = hA, 0, 1, ¬, ∧, ∨, C0, i un ensemble partiellement ordonn´e se comportant comme

une logique bi-intuitionniste (Lucas 2006, p.86). (La notion de co-support C0 est intro-

duite pour repr´esenter les conditions dans lesquelles la n´egation d’une action est obtenue.) Supposant que F1 et F2 sont respectivement les ensembles d’expressions bien form´ees de

B et C, Lucas (2006, p.102) con¸coit une action comme un morphisme a : Σ → F2, avec

Σ ⊆ F1. En ce sens, une action est vue comme un morphisme d’un ensemble de condi-

tions `a un ensemble de r´esultats. Les actions doivent satisfaire une condition de coh´erence telle que a(σ) = a(σ0) pour σ, σ0 ∈ Σ, c’est-`a-dire que l’action a donne le mˆeme r´esultat pour toute sous-condition σ ∈ Σ. En d’autres termes, les sous-conditions sont coh´erentes entres-elles, c’est-`a-dire que deux sous-conditions d’un ensemble Σ donnent les mˆemes r´esultats.

Les actions sont pr´e-ordonn´ees par ≤ (Lucas 2008, p.369), 1 est l’action vide et 0 l’action nulle. L’action vide correspond `a ne rien faire, alors qu’il est impossible d’accomplir l’action nulle.

Sur la base de (A, 0, 1, ∧, ∨), Lucas (2006, p.106) d´efinit (A, 0, 1, ∧, ∨, ∼, →) comme un syst`eme d´eductif intuitionniste avec → l’adjoint de ∧ et ∼ la n´egation intuitionniste, d´efinie par ∼ α = α → 0 (voir aussi Lucas 2008, p.383). Cela dit, Lucas ajoute aussi un adjoint `a la disjonction en plus d’une n´egation v. L’adjoint `a la disjonction est gouvern´e par (cl’) et la n´egation est d´efinie par:

vα = 1\α :

γ ≤ α ∨ β

(cl’) γ\β ≤ α

C’est en vertu de cette seconde n´egation que ACT est d´efini comme une logique bi-intuitionniste. Une logique bi-intuitionniste est entendue comme une alg`ebre de bi- Heyting, c’est-`a-dire un treillis distributif qui comprend une alg`ebre de Heyting et une alg`ebre de co-Heyting.

Lucas (2008, p.370) utilise une troisi`eme n´egation afin de dualiser les connecteurs, en introduisant les connecteurs duaux (−)∗ `a l’aide de:

α ≤∗ β ⇔ ¬β ≤ ¬α α ≤ β ⇔ ¬β ≤∗ ¬α α ∧∗β = ¬(¬α ∨ ¬β) α ∨∗β = ¬(¬α ∧ ¬β) 1∗ = ¬0 0∗ = ¬1 α\∗β = ¬(¬β → ¬α) v∗α = ¬ ∼ ¬α α →∗ β = ¬(¬β\¬α) ∼∗ α = ¬v¬α

Ainsi, ∧ et ∧∗ distribuent sur ∨. L’interpr´etation de ces connecteurs n’est cependant pas explicit´ee.

Outre les avanc´ees faites par Lucas (2006) et reprises dans Lucas (2007), Lucas (2008) propose d’utiliser sa logique de l’action afin de construire une logique d´eontique. En un mot, l’id´ee est de d´efinir l’obligation de α comme la n´ecessit´e que la description des conditions entraˆıne les r´esultats. Autrement dit, une action est obligatoire lorsque les conditions entraˆınent n´ecessairement les r´esultats. Cette conception est `a entendre dans les mˆemes lignes qu’en logique modale, o`u la relation induite sur le mod`ele s´emantique par l’axiomatisation de l’obligation permet d’isoler les sc´enarios o`u l’obligation est r´ealis´ee. En ce sens, il s’agit d’une s´emantique id´eale: on met de cˆot´e les sc´enarios o`u l’obligation n’est pas r´ealis´ee. De mˆeme, chez Lucas, la conception de l’obligation est telle que la v´erit´e

des conditions entraˆınera n´ecessairement la v´erit´e du r´esultat. Comme Lucas (2008, p.79) le mentionne, sa conception de l’obligation permet de d´eriver plusieurs cons´equences du syst`eme standard, notamment l’agr´egation, la distribution de O sur l’implication, (ROM) et le paradoxe de Ross.

Un point int´eressant de l’approche de Lucas est que celui-ci adopte la distinction courante en logique dynamique entre la logique de l’action et la logique propositionnelle. En effet, l’id´ee fondamentale derri`ere son approche est que la structure alg´ebrique des actions est fondamentalement diff´erente de la structure alg´ebrique des propositions que l’on utilise afin de parler de ces actions. Il s’agit l`a d’un principe auquel nous adh´erons et qui, comme nous le verrons, sera au fondement de l’analyse propos´ee au chapitre 14.

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Ceci clos notre la revue de la litt´erature portant sur les approches alg´ebriques en logique d´eontique. Au total, outre l’approche de Lucas (qui n’a d’ailleurs malheureusement pas eu ´enorm´ement d’impact au sein de la litt´erature), on voit ais´ement que toute approche en logique d´eontique qui repose sur une alg`ebre d’action utilise en fait une alg`ebre de Boole. Au chapitre 14, nous analyserons plus en d´etails d’autres logiques de l’action, qui ne sont pas n´ecessairement utilis´ees en vue de la logique d´eontique. Pour l’instant, passons `a la logique non-monotone avant de conclure cette revue de la litt´erature.

Chapitre 8