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Krister Segerberg est un logicien qui a surtout travaill´e en logique modale, principale- ment en logique dynamique ´epist´emique ainsi qu’en logique de l’action. Ce dernier of- fre une logique d´eontique dynamique enrichie permettant de rendre compte de beaucoup plus de subtilit´e que celle propos´ee par Meyer. L’originalit´e de l’approche de Segerberg est d’augmenter la logique dynamique avec des modalit´es temporelles, l’objectif ´etant de fournir une repr´esentation formelle ad´equate de l’action. Dans ce qui suit, nous pr´esen- terons la s´emantique telle que pr´esent´ee dans Segerberg (2009). Le lecteur peut aussi consulter Segerberg (2007, 2012) pour l’essentiel de sa position en logique d´eontique dy- namique.

Afin de bien comprendre la s´emantique propos´ee, il faut d’abord expliquer certains concepts. Le mod`ele propos´e par Segerberg (2009, p.389) comprend un univers U (non vide), lequel contient des points. Les suites non vides (finies ou infinies) de points sont nomm´ees des traces (ou chemins, en anglais path), auxquelles l’auteur r´ef`ere par les lettres p, q, r, etc.11 Deux traces p et q peuvent ˆetre combin´ees en une trace pq `a condition que le dernier point de p soit le premier point de q. L’ensemble Ev est un ensemble d’´ev`enements12, lequel est aussi consid´er´e comme un ensemble d’actions (i.e., un ensemble de choses qui sont r´ealis´ees). Un ´ev`enement a ∈ Ev, o`u Ev ⊆ ℘(U ) est tel que les ´ev`ene- ments de Ev ne contiennent que des traces finies, est un ensemble de traces finies. En ce sens, U contient des points, ℘(U ) contient des traces et ℘(℘(U )) contient des ´ev`enements. Informellement, une action a peut ˆetre r´ealis´ee (advenir) de plusieurs mani`eres. Par exemple, si la porte est ouverte, alors Paul peut ouvrir la porte, la garder ouverte avec son pied, mettre un objet pour empˆecher que la porte se ferme, etc. Plusieurs traces diff´erentes peuvent donc faire advenir le mˆeme ´ev`enement (la mˆeme action). L’´ev`enement est formellement con¸cu comme un ensemble qui contient toutes les traces (finies, sans quoi l’´ev`enement n’adviendrait jamais) qui peuvent y mener.

Les ´ev`enements trivial et impossible correspondent respectivement `a any et fail chez Royakkers, ou encore `a U et ∅ chez Meyer.

L’ensemble H est un ensemble d’histoires maximales (`a comprendre de la mˆeme

10Dans cet article, l’auteur int`egre le connecteur ⇒

s de Jones et Sergot (1996) `a la logique dynamique pour actions collectives.

11Attention `a ne pas confondre les traces avec les variables propositionnelles.

12A ne pas confondre avec la notion d’´` ev`enement chez Royakkers, qui associe un agent ou groupe d’agents `a une action.

mani`ere que dans le cas des logiques temporelles), o`u une histoire hg = (h, g) est une trace infinie pour laquelle le dernier point de h est le premier point de g et repr´esente le pr´esent (et donc h et g repr´esentent respectivement le pass´e et le futur). L’ensemble cont(h) = {g : hg ∈ H} d´enote les continuations possibles (les futurs possibles) de h.

Le langage contient un ensemble d´enombrable de propositions atomiques P rop = {P1, ..., P n, ...} (en majuscule pour ne pas confondre avec les traces) et un ensem-

ble d´enombrable de termes T = {e1, ..., en, ...} qui repr´esentent des ´ev`enements atomiques.

Le mod`ele M = hU, Ev, H, V i contient les ensembles susmentionn´es (l’univers U , un en- semble d’´ev`enements Ev et un ensemble d’histoires H) ainsi qu’une fonction d’´evaluation V qui assigne des valeurs de v´erit´e aux propositions.

Formellement, V : (P rop∪T ) −→ ℘(U ) d´etermine les ensembles `a l’int´erieur desquels se trouvent (respectivement) les atomes propositionnels et les termes. Informellement, V d´etermine les sc´enarios o`u les atomes propositionnels sont vrais et les termes sont vrais, ce qui est d´enot´e par V (A) = kAk. La fonction est d´efinie r´ecursivement de fa¸con habituelle pour les propositions (o`u ϕ, ψ ∈ EBFprop, les expressions bien form´ees ´etant

d´efinis usuellement):

V (Pi) = kPik

k¬ϕk = U − kϕk kϕ ∨ ψk = kϕk ∪ kψk kϕ ∧ ψk = kϕk ∩ kψk

Quant aux actions (o`u α, β ∈ EBFT pour un ensemble de termes bien form´es)13:

V (ei) = keik

kα + βk = kαk ∪ kβk kα; βk = kαk ↑ kβk kα; ; βk = kαk ⇑ kβk

Cette derni`ere d´efinition (cf. Segerberg 2009, p.390) utilise les ensembles d´efinis par (o`u A et B contiennent des traces finies):

A ↑ B = {pq : p ∈ A, q ∈ B et pq est une combinaison}

A ⇑ B = {prq : p, r ∈ A, q ∈ B et pr et rq sont des combinaisons}

Le connecteur + permet d’ouvrir des choix possibles pour les suites d’´ev`enements et les connecteurs ; et ; ; permettent de concat´ener respectivement des traces finies et infinies. En ce sens, + repr´esente l’action disjonctive et ; la s´equence d’actions.

13La d´efinition des expressions bien form´ees n’est pas explicite chez Segerberg. N´eanmoins, consid´erant que celui-ci introduira des op´erateurs dynamiques, on peut en comprendre que ceux-ci sont d´efinis de mani`ere usuelle en logique dynamique.

Cela fait, Segerberg (2009, p.390) introduit des op´erateurs (temporels) modaux afin de repr´esenter le pass´e ~P , le futur ~F et la n´ecessit´e historique 2.14 Un sc´enario peut ˆetre repr´esent´e par une histoire (h, g). Soit w le point (pr´esent) qui constitue le dernier point de h et le premier point de g. Les clauses s´emantiques pour ces op´erateurs sont:

|=(h,g) ϕ ⇔ w ∈ kϕk (1)

|=(h,g) F ϕ ⇔ |=~ (h0,g0)ϕ pour tout v, h0, g0 t.q. hv = h0 et vg0 = g (2)

|=(h,g) P ϕ ⇔ |=~ (h0,g0) ϕ pour tout v, h0, g0 t.q. h0v = h et g0 = vg (3)

|=(h,g) 2ϕ ⇔ |=(h0,g0) ϕ pour tout g0 ∈ cont(h) (4)

Les clauses (1) et (4) vont de soi: une proposition est vraie pour un sc´enario lorsque ce sc´enario fait partie de l’ensemble qui contient les sc´enarios o`u la proposition est vraie et une proposition est historiquement n´ecessairement vraie pour un sc´enario w relativement `

a un pass´e h `a condition que la proposition soit vraie pour tout futur possible accessible `

a w relativement `a h. Les clauses (3) et (4) quant `a elles se comprendront mieux `a la lumi`ere de la figure 4.1.

v g0 g h h0 Figure 4.1: Futur

En un mot, l’id´ee est de dire qu’une proposition ~F ϕ est vraie pour un sc´enario w d’une histoire hg `a condition que ϕ soit vrai pour tout sc´enario v de la mˆeme histoire qui vient apr`es w. Soulignons qu’un sc´enario est un ensemble de points, et qu’une histoire peut ˆetre vue comme la repr´esentation de l’´evolution d’un sc´enario (global) o`u chaque point repr´esente un ´etat statique, voire une description, du sc´enario `a un moment donn´e. Dans la figure 4.1, on voit clairement que hv = h0 et que g = vg0. Ainsi, une propo- sition ~F ϕ est vraie lorsque ϕ est vrai dans toutes les ´evolutions possibles d’une histoire. Notons qu’une proposition est vraie pour un futur relativement `a un pass´e sp´ecifique. La proposition ~F ϕ est vraie lorsque ϕ est vrai pour tous les d´eploiements possibles de w.

La clause pour le pass´e se comprend dans le mˆeme ordre d’id´ees. Il est vrai `a un moment w pour une histoire hg que ϕ ´etait vrai `a condition que ϕ soit vrai pour tout moment qui vient avant w sur hg.

14Ici, nous avons modifi´e la notation de Segerberg afin de ne pas confondre avec les op´erateurs dy- namiques.

En plus de ces op´erateurs temporels, Segerberg d´efinit un op´erateur binaire ~U qui signifie jusqu’`a (until ). L’´enonc´e ~Uϕψ signifie ψ jusqu’`a ce que ϕ. L’interpr´etation s´eman-

tique de cet ´enonc´e est similaire `a celle du `a moins que en logique propositionnelle.

|=(h,g)U~ϕψ ⇔ soit (5)

1. 6|=(h0,g0)ϕ pour tout h0, g0 t.q. h0g0 = hg ou

2. |=(h0,g0)ϕ pour un v t.q. h0 = hv et g = vg0 et

|=(h00,g00) ψ pour tout x t.q. h00= hx et g = xg00

Autrement dit, il est vrai pour w relativement `a hg que ψ jusqu’`a ce que ϕ `a condition que soit 1. ϕ soit faux pour tout sc´enario v de hg ou 2. ϕ est vrai pour un v de hg qui suit w et que ψ est vrai pour tout x de hg qui vient avant w.

Cela nous am`ene aux op´erateurs dynamiques. Alors qu’en logique dynamique propo- sitionnelle on peut simplement exprimer qu’une description est vraie apr`es qu’une action soit r´ealis´ee, l’approche de Segerberg permet de rendre compte de beaucoup plus de subtil- it´es. En effet, ce dernier introduit les op´erateurs does, realises, occurs, done, realised et occured.15 Pour des raisons d’´economie (et parce que leur interpr´etation s´emantique est triviale), nous ne pr´esenterons pas en d´etails la s´emantique de ces op´erateurs. Soulignons simplement que leur signification est univoque et se traduit directement `a l’aide des modal- it´es temporelles d´evelopp´ees jusqu’`a pr´esent. La diff´erence entre does et realises est que le premier s’applique aux actions alors que le second s’applique aux propositions, au mˆeme titre que occurs et occured s’appliquent seulement `a des actions.

En ce qui concerne les notions d´eontiques, Segerberg (2009, p.392) mentionne que son approche, ´etant bas´ee sur une logique dynamique, s’ins`ere dans le cadre des approches de type Ougth-to-do. D’abord, Segerberg (2009, p.393) consid`ere les normes simples, c’est- `

a-dire les normes qui assignent `a un pass´e plusieurs futurs id´eaux possibles. ´Etant donn´e que cont(h) correspond `a l’ensemble des futurs possibles suite au pass´e h, N (h) ⊆ cont(h) isole les futurs accessibles id´eaux. Cet ensemble doit satisfaire `a la condition suivante, qui exprime la coh´erence normative.

g = vg0 ⇒ [g0 ∈ N (hv) ⇒ g ∈ N (h)]

En d’autres termes, si g0 est un futur id´eal accessible `a l’histoire hv, alors g est un futur accessible `a l’histoire h lorsque g est vg0. Segerberg adopte aussi la condition de s´erialit´e (i.e., N (h) 6= ∅) mais souligne que celle-ci pourrait tr`es bien ne pas ˆetre incluse. De fait, le sch´ema d’axiome (D) est valide. Cela fait, l’auteur est en mesure d’introduire quatre modalit´es d´eontiques locales et quatre modalit´es d´eontiques normales (Segerberg 2009, pp.293-5). Les quatre modalit´es sont l’obligation, la permission, l’interdiction et l’omission. Commen¸cons d’abord par les modalit´es locales. Soit les quatre conditions s´emantiques suivantes:

15A ce sujet, soulignons que la signification de ces op´` erateurs est beaucoup plus clair dans Segerberg (2012, p.13) que dans Segerberg (2009, p.391).

|=(h,g)Oα ⇔ (6) 1. pour tout g0∈ N (h) il y a v ∈ kαk (v sous-trace de g0)

2. pour tout v ∈ kαk il y a g0∈ N (h) (v sous-trace de g0)

|=(h,g)P α ⇔ (7)

2. pour tout v ∈ kαk il y a g0∈ N (h) (v sous-trace de g0)

|=(h,g)F α ⇔ (8)

3. pour tout g0∈ N (h) et pour tout v ∈ kαk (v n’est pas sous-trace de g0)

|=(h,g)OM M Iα ⇔ (9)

4. il y a un g0 ∈ N (h) t.q. pour tout v ∈ kαk (v n’est pas sous-trace de g0)

En mots, il est vrai que α est obligatoire relativement `a (h, g) si et seulement si 1. tout futur accessible `a partir de h contient au moins une partie v membre de l’ensemble qui contient les sc´enarios o`u α est r´ealis´ee et 2. pour tout sc´enario v qui est membre de l’ensemble qui contient les sc´enarios o`u α est r´ealis´ee il y a au moins une trace g0 membre de l’ensemble des futurs id´eaux `a partir de h et dont v fait parti. Il est vrai que α est permise si et seulement si pour tout sc´enario v qui est membre de l’ensemble qui contient les sc´enarios o`u α est r´ealis´ee il y a au moins une trace g0 membre de l’ensemble des futurs id´eaux `a partir de h et dont v fait partie. Il est vrai que α est interdite si et seulement si pour tout futur id´eal accessible `a h et pour tout sc´enario v membre de l’ensemble qui contient les sc´enarios o`u α est r´ealis´ee, v ne fait pas partie de g0. Autrement dit, si α est interdite, alors chaque futur id´eal accessible ne contient pas de traces qui font partis de l’ensemble qui contient les traces o`u α est r´ealis´ee. Finalement, α peut ˆetre omise si et seulement s’il y a au moins un futur accessible id´eal qui ne contient pas de trace qui fait partie de l’ensemble qui contient les traces o`u α est r´ealis´ee.

Dans le cas des modalit´es normales, nous avons besoin de la condition suivante, `a laquelle nous r´ef`ererons par (C): « pour toute trace finie v telle que hv est une combinaison (et donc le dernier point de h est le premier point de v), s’il n’existe pas de trace x ´el´ement de kαk telle que x est une sous-trace de v, alors ... »:

|=(h,g)OFα ⇔ (C) (6’)

1. pour tout g0∈ N (hv) il y a x ∈ kαk (x sous-trace de g0) 2. pour tout x ∈ kαk il y a g0∈ N (hv) (x sous-trace de g0)

|=(h,g)PFα ⇔ (C) (7’)

2. pour tout x ∈ kαk il y a g0∈ N (hv) (x sous-trace de g0)

|=(h,g)FFα ⇔ (C) (8’)

3. pour tout g0∈ N (hv) et pour tout x ∈ kαk (x n’est pas sous-trace de g0)

|=(h,g)OM M IFα ⇔ (C) (9’)

Chacune des clauses utilise la condition (C), laquelle exprime que s’il n’y a pas de sous-trace x incluse dans v pour hv (pour toute trace v), alors les conditions 1–4 doivent ˆetre remplies d´ependamment des cas. Autrement dit, s’il n’y a pas de v tel que x est une sous-trace de v et x est membre de l’ensemble des traces o`u α est r´ealis´ee, alors: dans le cas de l’obligation normale, cela implique que tout futur accessible `a hv contient au moins une trace qui fait partie de l’ensemble des traces o`u α est r´ealis´ee et que toute trace qui fait partie de l’ensemble des traces o`u α est r´ealis´ee fait partie d’au moins un futur accessible `

a hv. Pour la permission, cela implique que toute trace qui fait partie de l’ensemble des traces o`u α est r´ealis´ee fait partie d’au moins un futur accessible `a hv. Pour l’interdiction, cela signifie que les traces qui font parties de l’ensemble qui contient les traces o`u α est r´ealis´ee ne sont pas des sous-traces des futurs accessibles `a hv. Finalement, dans le cas de l’omission, cela implique qu’il y a au moins un futur accessible `a hv qui ne contient aucune trace dans laquelle α est r´ealis´ee.

Apr`es avoir consid´er´e les normes simples, Segerberg (2009, p.395) en vient `a con- sid´erer les normes compl`etes, la principale distinction ´etant que la derni`ere ne s´electionne pas l’ensemble des futurs id´eaux accessibles, mais plutˆot un sous-ensemble (pr´ef´erable) de l’ensemble des futurs id´eaux accessibles. Le formalisme est similaire `a celui des normes simples, `a l’exception du fait que l’on consid`ere une histoire (h, g) relativement `a un S ⊆ N (h) o`u tout futur accessible membre de S est pr´ef´erable aux futurs accessibles qui ne sont pas membres de S. Cela se fait notamment en introduisant un op´erateur qui permet de s´electionner un ensemble de sc´enarios o`u une certaine proposition est vraie.

Tout compte fait, l’approche de Segerberg concernant la logique d´eontique dynamique a ses m´erites, incluant le fait d’introduire plusieurs modalit´es dynamiques afin de rendre compte des modes d’actions. En plus de la richesse de son langage, un aspect int´eressant de l’approche de Segerberg est que celui-ci propose une s´emantique pour les logiques dy- namiques diff´erente de celle de Meyer. Plutˆot que de d´efinir des ensembles de simultan´eit´e et des mondes possibles, Segerberg fait d’une pierre deux coups en consid´erant les mondes possibles comme des suites d’´ev`enements.

Outre ses travaux en logique dynamique, Segerberg a aussi propos´e une formalisation de la logique d´eontique reposant sur une logique de l’action bas´ee sur une alg`ebre de Boole. Nous reviendrons sur ses travaux dans le chapitre 7. Les travaux de Segerberg ont notamment ´et´e repris par Demolombe (2014), lequel suppl´emente le cadre de travail de Segerberg afin de rendre comte des obligations qui ont une date de tomb´ee.16