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L’article de Lindahl et Odelstad (2000), o`u les auteurs proposent une analyse alg´ebrique des syst`emes normatifs, est tr`es fortement inspir´ee du texte de Odelstad et Lindahl (2000). Outre la similarit´e entre ces deux article, l’approche de Lindahl et Odelstad (2000) s’ins`ere dans la lign´ee des travaux de Alchourr´on et Bulygin (1971). Sans proposer de d´efinition pr´ecise, Lindahl et Odelstad (2000, p.261) entendent un syst`eme normatif comme un ensemble de lois. En un mot, l’id´ee de Lindahl et Odelstad est de repr´esenter un syst`eme normatif de par la jonction de deux (ou plusieurs) fragments d’une alg`ebre de Boole. Plus pr´ecis´ement, leur objectif est d’ˆetre en mesure repr´esenter formellement la jonction d’un fragment normatif `a un fragment descriptif (Lindahl et Odelstad 2000, p.265).1

Dans le mˆeme esprit que celui des logiques i/o, Lindahl et Odelstad con¸coivent un syst`eme normatif comme un processus input/output qui permet de d´eduire `a partir de certains faits les cons´equences l´egales applicables dans une situation donn´ee (Lindahl et Odelstad 2000, p.262).

Essentiellement, Lindahl et Odelstad (2000, p.266) consid`erent un syst`eme normatif comme un pr´e-ordre bool´een. Cette notion repose sur celle d’une alg`ebre de Boole. Pour le dire en trois mots, une alg`ebre de Boole est un treillis distributif compl´ement´e (Goldblatt 2006, p.134). Un treillis est un poset, c’est-`a-dire un ensemble partiellement ordonn´e (Partially Ordered SET ) pour lequel chaque paire d’´el´ements poss`ede un g.l.b. (greatest lower bound ) et un l.u.b. (least upper bound ) (Goldblatt 2006, p.55). Un poset P est une structure hP, vi, o`u P est un ensemble et v est une relation d’ordre partiel (Goldblatt 2006, p.29). Un ordre partiel est un pr´e-ordre antisym´etrique, c’est-`a-dire une relation r´eflexive, transitive et antisym´etrique (Goldblatt 2006, pp.28-9). Soulignons qu’un ordre partiel n’est pas n´ecessairement lin´eaire. Un g.l.b., ici d´enot´e par x u y, est tel que (cf. Goldblatt 2006, p.49):

1. x u y v x et x u y v x;

2. si z v x et z v y, alors z v x u y.

Un l.u.b., ici d´enot´e par x t y, est tel que (cf. Goldblatt 2006, p.55): 1. x v x t y et y v x t y;

2. si x v z et y v z, alors x t y v z.

Un treillis est donc un poset pour lequel chaque paire d’´el´ements poss`ede un g.l.b. et un l.u.b.. Un treillis est dit distributif lorsque les deux lois suivantes sont respect´ees pour tout x, y et z (Goldblatt 2006, p.134):

1. x u (y t z) = (x u y) t (x u z); 2. x t (y u z) = (x t y) u (x t z).

Finalement, un treillis est dit compl´ement´e lorsque chaque ´el´ement poss`ede un com- pl´ement, c’est-`a-dire que pour tout x il y a un y tel que:

1. x t y = 1; 2. x u y = 0.

Ici, 0 est un objet initial et 1 est un objet terminal, c’est-`a-dire des objets pour lesquels (respectivement) 0 v x et x v 1 pour tout x (Goldblatt 2006, pp.43-4). Pour une analyse plus d´etaill´ee des alg`ebres, le lecteur est invit´e `a consulter le chapitre 14.

Mais quel est le rapport entre un syst`eme normatif et un treillis distributif compl´e- ment´e? D’embl´ee, il faut voir que la logique propositionnelle classique se r´esume `a une alg`ebre de Boole (cf. chapitre 14). En effet, en logique classique, le g.l.b. est la conjonc- tion, le l.u.b. la disjonction, l’objet initial est le falsum ⊥ et l’objet terminal est le verum >. De plus, nous pouvons ais´ement prouver que:

1. p ∧ (q ∨ r) = (p ∧ q) ∨ (p ∧ r); 2. p ∨ (q ∧ r) = (p ∨ q) ∧ (p ∨ r); 3. p ∨ ¬p = >;

4. p ∧ ¬p = ⊥.

Le symbole = renvoit `a l’´equivalence logique et l’ordre partiel `a la cons´equence logique.2 C’est dans cet esprit que Lindahl et Odelstad parlent d’un syst`eme normatif en tant que pr´e-ordre bool´een. Leur objectif est de d´eterminer les propri´et´es de la relation R d’un syst`eme normatif qui permettent d’interpr´eter aRb comme a ⊃ b.

Let S be a normative system and let a, b be two conditions. The subject-matter of our inquiry is a relation R such that aRb represents that it follows from S that a implies b (Lindahl et Odelstad 2000, p.262).

Une condition peut ˆetre soit une proposition atomique au sens du calcul des proposi- tions ou une proposition atomique au sens du calcul des pr´edicats. Malgr´e que cela ne soit pas pr´esent´e ainsi, voici une fa¸con de comprendre la notion de condition. Soit Ciun ensem-

ble d´enombrable de conditions qui ont i variable(s) dans leur port´ee. Si i = 0, alors nous obtenons l’ensemble des conditions qui ne portent sur aucune variable et qui sont repr´esen- t´ees par des atomes propositionnels. Lorsque i = 1, on obtient les conditions repr´esent´ees par des pr´edicats unaires (p. ex., x est majeur), i = 2 donne des pr´edicats binaires (p. ex., x est le p`ere de y), i = 3 des pr´edicats ternaires, etc. Lorsque la condition ai est d´efinie, la

condition a0i(x1, ..., xi) repr´esente la n´egation de la condition ai(x1, ..., xi), (ai∧bi)(x1, ..., xi)

la conjonction ai(x1, ..., xi) et bi(x1, ..., xi), et la condition (ai∨ bi)(x1, ..., xi) repr´esente la

disjonction ai(x1, ..., xi) ou bi(x1, ..., xi), o`u a ∨ b =def (a0∧ b0)0 (Lindahl et Odelstad 2000,

p.263). Soit

C = [

i∈N

Ci

l’ensemble de toutes les conditions atomiques (portant sur le nombre de variables i possi- bles, avec Ci = {c

j

i : j ∈ N} . L’ensemble des expressions bien form´ees pour les conditions

est d´efini r´ecursivement `a partir de l’ensemble C de toutes les conditions atomiques (Lin- dahl et Odelstad 2000, p.264).3

2Notons cependant que lorsque l’on traite la logique classique dans un cadre alg´ebrique, il faut con- sid´erer un ordre partiel entre des classes d’´equivalences de propositions (en vertu de l’antisym´etrie).

3Nous avons modifi´e la formulation de la d´efinition r´ecursive des expressions bien form´ees afin que cela soit coh´erent avec la suite de leur texte ainsi qu’avec la position de Odelstad et Lindahl (2000).

1. si a ∈ C, alors a ∈ EBF ;

2. si A, B ∈ EBF , alors A0, A ∧ B ∈ EBF .

Ainsi, en posant EBF = hEBF, vi, on obtient une alg`ebre de Boole hEBF, ∧,0i, o`u ⊥ et > sont respectivement l’objet initial et l’objet terminal.

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A partir de cela, les auteurs d´efinissent un syst`eme normatif S = hN , ∧,0, Ri (o`u N ⊆ EBF est un poset) lorsque pour tout a, b ∈ N , aRb si et seulement si a implique b selon S (Lindahl et Odelstad 2000, p.265). Un parall`ele m´erite d’ˆetre fait entre la conception d’un syst`eme normatif chez Lindahl et Odelstad et l’ensemble des contraintes institutionnelles chez Boella et van der Torre. Au mˆeme titre que l’ensemble des contraintes institutionnelles contient les paires (a, x) pour lesquelles a compte pour x au sein du syst`eme normatif (i.e., pour lesquelles a ⊃ x est vrai), un syst`eme normatif est con¸cu chez Lindahl et Odelstad comme une structure qui d´etermine un ensemble de paires < a, b >∈ R pour lesquelles a ⊃ b est vrai dans le syst`eme normatif. La principale diff´erence est que chez Lindahl et Odelstad, S contient `a la fois les contraintes institutionnelles et les ensembles (g´en´erateurs) d’obligations et de permissions. Cela dit, dans les cas o`u a est descriptif et que b est normatif, et donc que (a, b) est plutˆot dans un ensemble g´en´erateur d’obligations ou de permissions chez Boella et van der Torre, Lindahl et Odelstad parleront de corr´elations normatives (Lindahl et Odelstad 2000, p.265).

Afin de formaliser la notion de syst`eme normatif, Lindahl et Odelstad (2000, pp.264- 5) introduisent la notion de pr´e-ordre bool´een. En termes simples, un pr´e-ordre bool´een est une alg`ebre de Boole sur laquelle on impose un pr´e-ordre R, c’est-`a-dire une relation r´eflexive et transitive, qui doit satisfaire les conditions suivantes (cf. Lindahl et Odelstad 2000, p.266):

1. si aRb et aRc, alors aR(b ∧ c); 2. si aRb, alors b0Ra0;

3. (a ∧ b)Ra; 4. non >R⊥.

Le lecteur familier avec la logique propositionnelle aura remarqu´e que cela se r´esume aux conditions suivantes:

1. si a implique respectivement b et c, alors a implique la conjonction de b et c; 2. si a implique b, alors non a implique non b (contraposition);

3. une conjonction implique chacun de ses membres; 4. le vrai n’implique pas le faux.

Soulignons au passage une remarque technique. Lindah et Odestad utilisent un pr´e- ordre bool´een plutˆot qu’une alg`ebre de Boole afin de repr´esenter l’implication mat´erielle par la relation R et ainsi ´eviter de traiter des classes d’´equivalences. En utilisant un ordre partiel plutˆot qu’un pr´e-ordre, on obtient que aRb et bRa implique que a = b, ce qui requiert que l’on parle d’identit´e sur les classes d’´equivalences des propositions plutˆot que sur les propositions elles-mˆemes. Les auteurs pr´ef`erent utiliser un pr´e-ordre afin de pouvoir distinguer entre deux propositions qui ont une signification diff´erente malgr´e que aRb et bRa.

Dans le but de rendre compte des corr´elations normatives, c’est-`a-dire des condi- tionnels qui mettent en jeu un ant´ec´edent descriptif et un cons´equent normatif, Lindahl et Odelstad (2000, p.267) repr´esentent un syst`eme normatif S comme la jonction de deux (ou plusieurs) sous-structures N1 et N2. Dans un tel contexte, S1 = hN1, ∧,0, R1i et

S2 = hN2, ∧,0, R2i sont des fragments de N , c’est-`a-dire des sous-structures pour lesquelles

N1, N2 ⊂ N et Ri ⊂ R est une sous-relation qui isole les implications pertinentes `a Ni

(Lindahl et Odelstad 2000, p.269). Deux fragments peuvent ˆetre joints par le biais de deux mani`eres, en l’occurrence la connexion et l’assemblage (coupling).

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A supposer deux fragments S1 et S2, une connexion a lieu lorsqu’il y a a ∈ N1 et

b ∈ N2 tels que aRb et un assemblage est tel qu’il y a une et une seule connexion entre

S1 et S2. En fait, l’assemblage se distingue de la connexion dans la mesure o`u S1 et S2

sont uniquement connect´es de par le l.u.b. de S1 et le g.l.b. de S2. En ce sens, dans le

cas d’une connexion, il y a des liens directs entre les conditions de S1 et celles de S2, alors

que dans le cas de l’assemblage, toute relation est indirecte et requiert le passage par un interm´ediaire (voir la repr´esentation graphique dans Lindahl et Odelstad 2000, pp.267-8). L’assemblage permet de mettre l’ensemble S1 en relation avec S2 alors que la con-

nexion ne met qu’une partie de S1 en relation avec S2. Consid´erons la figure 7.1, o`u a, a∗

et b, b∗ repr´esentent respectivement des membres de S1 et S2. `A gauche, la fl`eche entre a

et b repr´esente une connexion `a partir de laquelle il est seulement possible de lier a ∨ a∗ et a `a b et b∗. En ce sens, la connection ne permet de lier qu’une partie des deux fragments. Notons qu’il pourrait tr`es bien y avoir une autre connexion de a∗ `a b∗. Dans le cas de droite, la fl`eche repr´esente plutˆot un assemblage puisqu’il s’agit de la seule connexion, laquelle permet de lier chaque membre de S1 avec ceux de S2.

L’id´ee de Lindahl et Odelstad est donc de repr´esenter un syst`eme normatif complexe, par exemple la l´egislation canadienne, par le biais d’un pr´e-ordre bool´een S que l’on peut diviser en fragments, comme le Code criminel, le Code civil, la Charte des droits et libert´es, etc., lesquels peuvent eux aussi ˆetre divis´es en fragments, et ainsi de suite. Cela dit, chaque fragment peut lui aussi ˆetre divis´e en deux fragments, l’un descriptif et l’autre normatif. En ce sens, la l´egislation canadienne consiste en la jonction d’un fragment descriptif et d’un normatif, de mˆeme pour le Code criminel, le Code civil, etc. Selon cette conception, un syst`eme normatif peut donc ˆetre divis´e de plusieurs mani`eres afin d’obtenir diff´erents fragments d´ependamment de ce que l’on cherche `a ´etudier. Dans l’ensemble, un syst`eme normatif correspond `a la jonction d’un fragment qui contient des « v´erit´es » descriptives (ou du moins des conventions, ce qui est pris pour acquis) avec un fragment qui contient

a ∧ a∗ a a∗ a ∨ a∗ b ∧ b∗ b b∗ b ∨ b∗ b ∧ b∗ b b∗ b ∨ b∗ a ∧ a∗ a a∗ a ∨ a∗

Figure 7.1: Connexion et assemblage

des normes.

Il s’agit l`a d’un portrait bross´e `a gros traits. Pour rendre justice `a l’approche de Lin- dahl et Odelstad, il faudrait plutˆot comprendre un syst`eme normatif comme la jonction d’un fragment descriptif, d’un fragment de corr´elations normatives (qui font le pont entre le descriptif et le normatif) et d’un fragment purement normatif. Dans la suite de leur ar- ticle, les auteurs utilisent leur conception d’un syst`eme normatif comme pr´e-ordre bool´een afin d’´etudier les notions de concepts interm´ediaires et de cons´equence l´egale, laquelle se comprend en fonction de la relation R transitive qui permet de passer d’un fragment `a l’autre. La notion de concept interm´ediaire se comprend en parall`ele avec la notion de count-as chez Jones et Sergot ou chez Boella et van der Torre (cf. chapitre 6).

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A titre d’exemple de concept interm´ediaire, consid´erons l’´enonc´e suivant: tout citoyen canadien a le droit de vote. Autrement dit, si x est un citoyen canadien, alors x a le droit de vote. Mais qu’est-ce qui compte pour (count-as) un citoyen canadien? Notamment, le fait que x soit n´ee au Canada de parents ayant la citoyennet´e canadienne et qu’il r´eside au Canada compte pour « x est un citoyen canadien ». Dans ce cas, « citoyen canadien » est un concept interm´ediaire entre les conditions et le fait que x ait le droit de vote.

Le lecteur int´eress´e par cette approche trouvera dans Lindahl et Odelstad (2004) une combinaison des pr´e-ordres bool´eens avec une forme de logique de l’action. Dans Lindahl et Odelstad (2002), les normes sont con¸cues comme des corr´elations normatives, c’est-`a-dire comme les connections entre les fragments purement descriptifs et les fragments purement

normatifs. Lindahl et Odelstad (2003) utilisent les pr´e-ordres bool´eens afin d’´etudier les changements de normes ainsi que la pr´eservation de la coh´erence du syst`eme normatif dans les cas d’obligations contraires au devoir. Lindahl et Odelstad (2006) reprennent ce qui a ´et´e pr´esent´e dans Lindahl et Odelstad (2000) par rapport aux concepts interm´ediaires et un exemple l´egal plus complexe est donn´e dans Lindahl et Odelstad (2008b). Les travaux de Lindahl et Odelstad (2006, 2008b) sont repris dans Lindahl et Odelstad (2008a, 2011). Finalement, Lindahl et Odelstad (2004) reprennent l’analyse des concepts interm´ediaires dans le cadre alg´ebrique afin de la vulgariser et rendre le tout pertinent pour les juristes.