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Cadre méthodologique de l'étude

3.3 Trois théories d'appu

3.3.3 Théorie de la représentation

Dans le contexte actuel au Brésil, de crise politique et de questionnements vis-à-vis des figures politiques, la théorie de la représentation semble particulièrement pertinente aux propos de notre recherche. Ce bref essai (hélas réducteur) d'analyse de la représentation dans la politique part de l'idée (classique) de représentation par autorisation ainsi que celle de monopole, pour analyser ensuite quelques nouvelles conceptions de la représentation : la représentation discursive (Dryzek, 2000 ; Dryzek et Niemeyer, 2008), la représentation au- delà de la dimension électorale (Urbinati, 2003, 2006) et la représentation par affinité (Avritzer, 2007).

Selon Leonardo Avritzer (2007, p. 445), la théorie moderne de la représentation s'appuie sur trois éléments : l'autorisation, le monopole et la territorialité. L'une des œuvres classiques sur ce thème est The concept of Representation, de Hanna Pitkin (1967). Dans la première partie, l'auteure fait une reconstruction de l'origine du terme représentation dans la modernité qui nous amène à Thomas Hobbes et son Léviathan.

Cet auteur va chercher des fondements pour la notion de représentation en Grèce et à Rome, mais c'est la notion d'autorisation qui se démarque. Dans cette notion, T. Hobbes introduit le terme d'action pour désigner les actes pour lesquels les auteurs sont responsables (Avritzer, 2007). Cette action peut être directe ou transférée à autrui par une autorisation. Le problème central ici était comment "posséder" les actions de quelqu'un d'autre, questionnement qui a

156 d'ailleurs provoqué des discussions conséquentes sur la légitimité du mandat au XIXème siècle (Pitkin, 1967).

T. Hobbes s'est particulièrement intéressé à la question de la légitimité de l'acte d'autorisation, ouvrant un nouveau volet dans la théorie démocratique qui questionnait l'autorisation d'un acteur ou agent politique pour agir au nom des représentés. Dans quelles conditions les individus peuvent en représenter d'autres et avec légitimité ? (Avritzer, 2007, p. 446). Ainsi, la théorie hobbesienne essayait de prouver que ce transfert est un acte légitime et donc capable de fondé un pouvoir souverain également légitime.

Pour décrire les formes de vie en société et l'esprit public des États qui venaient de se constituer, on choisirait alors le concept de peuple à celui de multitude proposé par Spinoza (Virno, 2002). En opposition à l'idée de Hobbes, l'idée de multitude désigne une pluralité qui persiste comme telle sur la scène publique des affaires communes et dans l'action collective. De retour au XXIème siècle, alors que la théorie politique de la modernité subit une crise radicale, cet ancien conflit est peut-être en train de se réouvrir et l'opposition de ces termes devient un outil pour toute réflexion sur la sphère publique contemporaine (Virno, 2002). On peut considérer qu'avec T. Hobbes, on a eu le premier grand moment de la théorie de la représentation. Il existe pourtant un deuxième moment (Avritzer, 2007) qui est marqué par une théorie sur le relais de gouvernants au pouvoir et qui aurait son origine dans le républicanisme (Manin, 1997). Néanmoins, Bernard Manin (1997, p. 92) attire l'attention au fait que dans le républicanisme européen, l'idée d'élection n'existait pas.

Ce concept a intégré la théorie républicaine progressivement, provocant un changement de conception : la théorie de la représentation se préoccupait désormais à donner à celui qui était au pouvoir, l'autorisation de tous les individus, transformant ainsi la représentation en gouvernement. Cependant, notamment dans le XXème siècle, les élections, en tant qu'instrument de la représentation, obtiennent un statut monopoliste à l'intérieur d'un territoire (Avritzer, 2007).

Selon cet auteur, les concepts de monopole et de territorialité ont été associés à l'idée de représentation avec la consolidation de l'État moderne, qui deviendrait la seule institution capable d'intervenir à l'intérieur du territoire (Avritzer, 2007, p. 448). D'après lui, on observe alors "qu'il n'existe pas de relation conceptuelle ou institutionnelle entre la transformation de la représentation en principale forme d'opération des institutions politiques et sa modification en autorisation comme le seul type d'organisation du système politique à l'intérieur des États modernes" (Avritzer, 2007, p. 449).

En résumé, à l'origine, la représentation dans la politique moderne comprenait l'idée de représentation par autorisation. Cette dimension a été progressivement remplacée par l'idée de monopole de la représentation à l'intérieur du territoire. Puis, avec la crise du concept monopoliste, de nouvelles réflexions sont apparues, dénonçant les limites de la façon dont la représentation opère dans les démocraties contemporaines. Trois exemples seront rapidement énoncés par la suite.

Nadia Urbinati (2003, 2006) avance les réflexions faites par Hanna Pitkin sur l'utilisation du terme de représentation. Pour l'auteure, la relation entre représentation et autorisation n'est plus adéquate face aux changements dans la politique nationale et internationale, notamment vis-à-vis de nouveaux acteurs (internationaux, transnationaux et non-gouvernementaux) qui agissent en tant que représentants des individus à l'intérieur de l'État national (Urbinati, 2006).

157 Elle pose ainsi les bases des formes non électorales mais légitimes de représentation politique. Mais comment alors justifier la légitimité de ces nouvelles formes de représentation ? Nadia Urbinati propose deux idées. La première est un essai de défaire la relation entre souveraineté et représentation. Sa deuxième contribution cherche à montrer que l'élection, bien qu'une option pertinente, n'est qu'une dimension de la relation entre État et société civile, et donc incapable de prendre en compte l'ensemble des relations de représentations.

L'auteure essaie ainsi d'intégrer l'élection à un concept plus vaste de jugement politique qui comprendrait d'autres temporalités et formes non électorales de représentation, voire la possibilité de retirer l'autorisation accordée. Elle propose deux formes d'amplification de la représentation, qui sont d'ailleurs une réalité dans l'institutionnalité du monde anglo-saxon (Avritzer, 2007) : une amplification temporelle, via le référendum qui annule le mandat, et la révision de lois (Urbinati, 2006, p. 205-206).

De manière similaire à la critique élaborée par Nadia Urbinati, John Dryzek (2000) souligne l'incapacité de la forme électorale de représentation ‒ qui suppose le demos en tant qu'agrégation de la totalité des individus ‒ de réunir les diverses dimensions de la politique moderne. D'après lui, il existe une dimension discursive méprisée par le constitutionnalisme libéral qui nécessiterait d'être envisagée, afin de rendre compte des formes de discours non exprimées dans les voies électorales (Dryzek, 2000, p. 19).

Il s'agirait de dessiner des formes institutionnelles que cette pluralité discursive peut faire émerger. J. Dryzek propose ainsi une réflexion sur la possible création d'une "chambre de discours" (Chamber of Discourses) qui existerait au côté des formes de représentation (Dryzek et Niemeyer, 2008). Il s'agirait alors d'identifier un ensemble de discours différents et de les laisser s'exprimer dans une chambre où ils se retrouvent en opposition les uns contre les autres. Les membres de cette chambre devraient être sélectionnés de façon aléatoire, ne pouvant pas être élus (Dryzek et Niemeyer, 2008, p. 487).

Cette idée, bien que similaire à la théorie habermassienne d'espace public, s'en différencie notamment par son caractère institutionnel. Il s'agit également d'une avancée sur les idées de Nadia Urbinati puisqu'elle remet en question le fonctionnement de la représentation via les élections en tant qu'instance monopoliste d'agrégation d'individus (Avritzer, 2007, p. 454). Néanmoins, les deux contributions qui précèdent, bien que pertinentes, ont des faiblesses qui peuvent pourtant être comblées, d'après la vision de Leonardo Avritzer (2007), avec leur union. Pour ce faire, l'auteur propose de réfléchir au contexte dans lequel la représentation peut opérer et dans lequel les deux représentations ‒ l'électorale et de la société civile ‒ vont se côtoyer (Avritzer, 2007, p. 456). Pour mieux comprendre son idée, il convient d'expliquer brièvement la différence que l'auteur en fait des deux.

La représentation de la société civile est une forme collective et non-institutionnalisée d'action. Elle est dépossédée des caractéristiques de la représentation électorale, telles que l'égalité mathématique de la souveraineté et le monopole territorial (puisqu'elle partage les décisions avec les autres institutions du territoire). Par rapport à l'élection, la pragmatique de la légitimation ici est différente : c'est l'expérience et la relation avec le thème qui génère la légitimité, contrairement à la représentation électorale (Avritzer, 2007, p. 457).

Cette forme de représentation est originaire d'un choix parmi les acteurs de la société civile ayant une certaine expérience dans le thème, et se fait souvent à l'intérieur des associations civiles. On ne représente pas alors les personnes, comme dans l'élection ; on représente les thèmes et les expériences.

158 Dans la perspective de Leonardo Avritzer (2007, p. 459), les nouvelles formes de représentation ne se montrent pas pures dans la politique contemporaine. La représentation électorale continue à être la façon la plus démocratique pour choisir ses représentants, mais une fois élus, ceux-ci se retrouvent face à d'autres types de souveraineté dont la représentation civile. La représentation électorale doit alors désigner une ouverture des relations entre les différentes formes de représentation. Cette relation se définit à partir de la proposition politique élue, pouvant être plus ou moins complémentaire.

Les élus qui méprisent les autres représentations, notamment celle de la société civile, ont une tendance à se délégitimer face aux électeurs et peuvent être incapables de mettre en œuvre leurs agendas politiques. L'auteur affirme qu'au Brésil, par exemple, cette relation entre représentation électorale et non électorale est un élément présent dans les actions des gouvernements (Avritzer, 2007, p. 458). À titre d'exemple, l'auteur mentionne la mise en place de réunions publiques (audiências públicas) par le gouvernement Lula, sur des questions avec fort impact environnemental, telles que la construction d'une autoroute (la BR- 163) et la transposition des eaux du fleuve São Francisco (Avritzer, 2007, p. 461).

Ainsi, la rencontre des élus avec les acteurs issus d'autres types de représentation montre que la continuité de la politique assume des formes institutionnelles diverses nécessaires à la discussion et peut rassembler des représentants choisis par différents processus (Avritzer, 2007, p. 459). La question que l'auteur soulève est de savoir comment les nouvelles formes de représentation doivent se superposer dans un système politique.

Il conclue son raisonnement en affirmant que l'avenir de la représentation électorale semble être de plus en plus lié à la combinaison de cette dernière avec des formes de représentation qui émergent de la participation de la société civile (Avritzer, 2007, p. 459). Ces formes de représentation sociale serviront peut-être à réélaborer, plus tard, la notion de représentation dans la politique contemporaine.

À partir des concepts présentés dans cette partie, ce travail cherche alors à penser la légitimité de la représentation institutionnalisée de la société civile développée au Brésil à partir de la fin des années 1980. En outre, nous cherchons à examiner les limites de cette concertation officielle et les possibilités de s'en affranchir, au travers de démarches plus "libres" vers les habitants et à partir de leurs expériences et savoirs.

Nous cherchons à revoir empiriquement ces théories et concepts à travers un domaine spécifique, celui du tourisme, et l'adoption de sept cas particuliers. Ainsi, bien que la méthode de l'étude de cas ne soit pas une approche purement comparative, elle s'appuie sur des cas qui sont sélectionnés en tant qu'exemples de processus ou phénomènes spécifiques. Cela signifie que la présente recherche implique un exercice d'analyse détaillée et théoriquement éclairée de ces actions et de leur rapport aux forces extérieures (l'approche comparative d'intégration mentionnée auparavant).

L'intention est d'identifier les connexions partielles entre les processus et les lieux en question, ou les interconnexions, comme défendu par Jaap van Velsen (1987, p. 371). Nous estimons que les études de cas sélectionnées, centrées sur des expériences distinctes de participation au développement du tourisme, peuvent ainsi fournir des points d'entrée pour une confrontation fructueuse dans leurs similitudes ou leurs analyses croisées.

159 Ces actions donnent une vision contrastée des processus de participation des habitants au tourisme sous différents modes de gouvernance95 touristique locale. Sur ce pluralisme de modes de gouvernance, Jean-Pierre Olivier de Sardan (2009, p. 5-6) affirme qu'il "peut être appréhendé sur un plan externe (plusieurs modes de gouvernance) et sur un plan interne (un même mode de gouvernance associe divers acteurs et institutions)". Dans cette thèse, les deux situations se présentent.

Sur le plan externe, nous vérifions les modes communal (les mairies étant les instances officielles par excellence des pouvoirs touristiques locaux depuis quelques années), interrégional (entre différents États fédérés), associatif et "projectal"96. Dans le plan interne, certains des processus participatifs analysés s'inscrivent dans un mode de gouvernance touristique intégré, avec différents acteurs locaux.

En conclusion, nous considérons que, globalement, deux perspectives principales sont poursuivies dans ce travail. La première est une perspective critique qui analyse les différents éléments de chaque cas et qui cherche à vérifier les interrelations avec l'histoire et le contexte ainsi qu'avec d'autres cas. La seconde est une perspective réflexive qui contribue, d'un côté, à l'expansion des concepts qui fondent notre recherche et, d'un autre côté, au développement d'un tourisme plus durable caractérisé par l'inclusion et la participation des habitants à la prise de décision.

95 Nous considérons "modes de gouvernance" comme étant les accords institutionnels nationaux et/ou les formes

concrètes d'action des pouvoirs locaux pour la délivrance de biens et services publics ou collectifs, fonctionnant selon des normes particulières et mettant en œuvre des logiques spécifiques (Olivier de Sardan, 2009, p. 4).

96 Les projets sont des structures provisoires, censées créer les conditions pour que les biens et les services qu'ils

délivrent soient progressivement délivrés par des acteurs locaux. Les projets doivent, entre autres, sensibiliser les populations, appuyer les bureaux et les comités locaux, et former les acteurs locaux au nouveau jeu institutionnel, à son idéologie démocratique et à ses mécanismes procéduraux (Olivier de Sardan, 2009, p. 25).

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4. Outils et moyens de recherche