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Participation et tourisme participatif

4.1 Innovation entrepreneuriale

En entreprise et en marketing, l'innovation se réfère à la mise en marché d'un nouveau produit, d'une nouvelle organisation ou activité. L'économie classique considère que l'entreprise est au centre de la production de la nouveauté ; les processus innovants, ainsi que les facteurs qui les rendent possibles, sont étudiés en interne (Corneloup, 2009). Ainsi, des travaux ont essayé de comprendre les différences des réussites des entreprises à s'adapter à l'économie postindustrielle.

La réussite du modèle japonais est souvent mentionnée au travers du toyotisme. Toyota a su innover dans la manière de penser l'organisation du travail en modifiant, entre autres, les relations entre la direction, les cadres et les ouvriers, dans une approche plus participative (identification de problèmes et leur résolution) de ces derniers à la définition de modèles de production plus adaptés. L'innovation n'était donc plus attachée à la figure de l'entrepreneur, comme le considéraient les travaux de Joseph Schumpeter62.

Ainsi, les formes d'organisation de l'entreprise se transformaient afin de favoriser la production d'innovations, dans un contexte d'une économie de connaissance en pleine ascension (Corneloup, 2009, p. 114). Dans ce contexte, la vision mécanique et le modèle dominant de la logistique taylorienne et fordiste, d'une chaîne descendante où la valeur produite dépend d'une bonne organisation du travail, commençaient à toucher leur fin.

Un changement important s'est produit dans les années 1980, plaçant l'innovation comme moteur de la dynamique entrepreneuriale (Corneloup, 2009, p. 115). Selon l'auteur, le changement principal a été la recomposition des liens entre acteurs au sein de la société qui a modifié les relations entre les collectivités territoriale, les financeurs, les entreprises, les consommateurs, la société civile et les médias. On passait d'une logique linéaire à une

95 approche systémique de l'innovation où les différents éléments sont en interaction créatrice (Corneloup, 2009, p. 115).

Aujourd'hui, l'efficacité d'une entreprise dépend non plus seulement de sa productivité et de la baisse des coûts mais aussi de sa capacité innovante à créer de valeurs, dans un processus dynamique et en introduisant de nouveaux services et biens de consommation. Par ailleurs, il est possible de considérer que la réussite est directement liée à la capacité d'une entreprise à produire de la valeur émotionnelle63 pour répondre aux attentes diversifiées de la clientèle. Jean Corneloup (2009, p. 116) souligne dans ce sens que le renforcement de la communication et de la participation au sein des organisations est un élément clé, et que les savoirs tacites rendent possible l'émergence de nouvelles stratégies, dans des contextes spécifiques d'actions vécues dans le quotidien. Par ailleurs, d'autres théoriciens suggèrent que l'innovation ne se décrète pas mais, au contraire, qu'elle doit laisser de la place aux logiques ascendantes et au détournement des associations classiques qui définissent la valeur et la fonction des produits (Robinson et Stern, 2000).

Ainsi, non seulement le secteur de la recherche-développement mais l'ensemble de l'organisation doit être mobilisé et plus en contact avec à la fois son environnement interne et externe. Cette approche pratique, qui s'appuie sur une intelligence collective, a l'objectif de développer des produits et services plus en phase avec leurs usages sociaux et les attentes de la clientèle.

À partir des résultats de ses études sur l'univers des entreprises, Henry Chesbrough (2003) estime que, la plupart du temps, seulement un choc est capable de montrer la nécessité de changer, d'innover, de transformer une crise en opportunité (comme dans le cas de Toyota ou encore de l'Islande) et que le changement doit s'effectuer sans imposition et à toute échelle, partant du haut et allant vers le bas de la pyramide.

Néanmoins, le changement peut être objet de tensions en lien avec les rapports de force, les identités, les appropriations sociales, etc. Dans le cas où le changement est nécessaire mais des résistances sont observables et persistent, il est possible de mettre en place des actions de "traduction" (Corneloup, 2009, p. 118) pour que les différentes parties comprennent les enjeux de l'innovation et acceptent de changer leur pratique. L'auteur attire pourtant l'attention à la fragilité des processus innovants, qui peuvent être remis en cause par ces jeux de tension, par manque de confiance ou de traduction convenable.

Outre la résistance, les processus d'innovation peuvent rencontrer d'autres freins, tels que manque de motivation, de ressources administratives, de suivi des actions et de priorité dans les problèmes, temps insuffisant et rigidité budgétaire et structurelle, non continuité des projets, absence des personnes avec un profil d'innovation, etc.

Enfin, il est possible de considérer qu'une organisation (ou un ensemble d'organisations) est innovatrice si elle favorise les interactions, les allers-retours permanents, les négociations qui permettent l'adaptation rapide (Akrich et al., 1988, p. 5). Pour y parvenir, le modèle ne peut pas être rigide, très structuré et mécanique, sans laisser de la place à l'improvisation. Par ailleurs, l'acteur collectif impliqué dans l'innovation doit être souple, réactif et en mesure de saisir les opportunités.

63 Il s'agit de la notion de l'économie de l'expérience de Joseph Pine et James Gilmore (1999) qui sera mieux

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4.2 Innovation en dehors du cadre de l'entreprise

Bien que largement analysée dans l'univers de l'entreprise, l'innovation est également étudiée sous d'autres perspectives telles que le développement durable, le territoire et la sociologie. Le premier pose la question des vulnérabilités sociétales attachées à l'innovation et envisage le développement d'innovations soutenables. Comme le souligne Jean Corneloup (2009, p. 121), la priorité n'est pas forcément l'économie ; elle concerne aussi l'accessibilité, le développement local, etc., dans une dynamique qui s'inscrit fortement au niveau des pratiques récréatives. Le tourisme social, le tourisme éco-découverte, les éco-villages récréatifs, entre autres, sont quelques exemples d'activités qui s'interrogent sur les rapports et les bonnes pratiques développées sur un territoire.

Dans ce contexte d'innovation dans une perspective durable, l'innovation entrepreneuriale fonctionne sous des principes de qualité plutôt que sous une optique productiviste. Par ailleurs, la notion de responsabilité sociale des entreprises et les éco-labels font leur apparition, et les principes de la gouvernance sont instaurés dans la gestion des innovations (Corneloup, 2009, p. 121).

Dans le cas de l'innovation territoriale, il s'agit souvent d'une démarche qui commence par une nouveauté (dans un sens technique), par un changement en réponse à un problème, et qui finit par être socialement assimilée. L'accent est mis sur l'importance croissante des dynamiques socio-culturelles (Corneloup, 2009, p. 121) où se construisent des scénarios propices à l'expérimentation de nouveaux arrangements économiques, culturels ou politiques.

Si les études sur les systèmes productifs locaux ont révélé des territoires innovants ancrés sur le local, d'autres travaux portant sur les milieux innovateurs ont permis une approche plus globale du développement régional (Corneloup, 2009, p. 120). Dans cette perspective, chaque individu participe à la constitution d'un capital territorial spécifique qui est favorable à la production d'une dynamique innovante. Ceci permet la production de ressources spécifiques capables de produire un avantage compétitif. Les liens entre les différents acteurs ainsi que la présence d'une intelligence territoriale sont alors centraux pour développer les économies locales et rendre les territoires plus attractifs.

Néanmoins, certains auteurs, tels que Jean Hillier et al. (2004) attirent l'attention au fait que les outils traditionnels d'analyse économique restent insuffisants pour intégrer les aspects de différentes formes de capitaux ‒ économique, social et humain64 ‒ à l'innovation. Révéler ces diverses formes de capitaux permettrait que plus d'attention soit accordée aux dynamiques non marchandes du développement territorial ‒ celles non concurrentielles et non soumises à une logique unilatérale du rendement immédiat (Hillier et al., 2004, p. 141).

Les auteurs affirment, par ailleurs, que la littérature sur l'innovation territoriale est marquée par deux insuffisances principales (Hillier et al., 2004, p. 137-138). D'un côté, une prédominance de la vision technologiste du développement qui ne rend pas compte des autres dimensions de l'innovation. D'un autre côté, une importance accordée aux comportements et mécanismes marchands et concurrentiels, et un mépris d'autres processus sociaux fondamentaux pour le développement qui font intervenir d'autres formes d'innovation. Cette critique est d'ailleurs renforcée par l'influence de la sociologie sur l'innovation.

64 Le capital social est ensemble de relations plus ou normées qui forment des ressources pour les individus. Le

capital humain se réfère à l'ensemble des savoirs et savoir-faire intégrés par les individus (Hillier et al., 2004, p. 140).

97 La sociologie apporte un complément sur la lecture économique et entrepreneuriale de l'innovation et le rapport aux biens de consommation et aux organisations. En effet, les aspects sociaux de l'innovation sont essentiels et "le social ne peut pas être contourné pour comprendre le processus innovant", affirme Jean Corneloup (2009, p. 118). Comme nous l'avons mentionné auparavant, l'innovation n'a lieu que si un changement social est vérifié et assimilé. Ainsi, il n'est pas possible de limiter la réflexion sur le rapport entre innovation et développement à la contribution technologique et organisationnelle sur l'efficacité marchande des entreprises.

Bien qu'essentielles, les relations marchandes et l'efficacité concurrentielle ne forment qu'un aspect du développement territorial et régional. On ne peut pas négliger, par ailleurs, que l'accroissement des relations marchandes laisse une partie des populations en quelque sorte hors du champ de l'économie et du développement, créant une polarisation sociale (Hillier et al., 2004). Or, le développement est indissociable de l'augmentation générale du bien-être, de la qualité de vie et du sentiment de justice, comme nous l'avons souligné dans le premier chapitre. L'absence de cette condition peut être une entrave au développement.

Si les relations marchandes participent à la dynamique de développement mais ne la résument pas, il est donc nécessaire d'élargir le lien entre innovation et développement en parlant non seulement d'une analyse par le marché, qui implique une offre (innovation dans la production) et une demande (consommation de produits innovants), mais aussi par les besoins et la satisfaction de ceux-ci (chapitre 1).

Dans cette perspective, le processus innovant ne peut pas se concentrer exclusivement sur les innovations technologiques ; il doit porter sur un ensemble d'actions ‒ sociales, culturelles, politiques, économiques et patrimoniales (Corneloup, 2009, p. 124). Il convient alors d'adopter une vision de l'innovation qui intègre les besoins non pris en compte par le marché concurrentiel.

Il est important de noter que l'innovation dans les relations sociales n'exclut pas l'existence de relations marchandes mais vise à les réguler dans l'objectif non seulement de développement du capital marchand mais aussi de satisfaction des besoins (Hillier et al., 2004, p. 142). C'est cette capacité à satisfaire les besoins, en mettant en relation plusieurs facteurs du bien-être, qui construit l'analyse de l'innovation sociale.