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Cadre méthodologique de l'étude

3.2 Méthodes : étude de cas et entretien

3.2.1 L'étude de cas

Nos choix en termes de science et d'approche sont appliqués dans notre recherche par la méthode de l'étude de cas en raison de vastes capacités qu'elle implique, telle que regarder les situations sous différentes perspectives et prendre en compte les forces externes qui les façonnent. Le choix de la méthode ne dépend pas en effet du problème étudié, mais plutôt de comment on le conçoit au départ, de l'angle sous lequel on l'étudie et des objectifs établis (Burawoy, 2003).

Les usages de l'étude de cas sont multiples, comme le souligne Jean-Pierre O. de Sardan (1995, p. 84) : certains se limitent à l'illustration, d'autres décrivent et analysent des situations locales, et certains produisent, à partir d'un cas de référence, des analyses de "moyenne portée". Dans tous les cas, force est de reconnaître que l'étude de cas fait converger différents types de données dont quatre principaux qui sont issus de l'observation, des entretiens, des recensions et des données écrites (Olivier de Sardan, 1995).

Notre thèse s'appuie sur sept études de cas centrales (décrites dans le chapitre 4) choisies pour illustrer l'objet de la recherche et la problématique élaborée. Nous concevons cette dernière à partir d'une étude transversale de l'objet, passant d'une étude située d'un objet à une analyse plus large – économique, politique ou sociale – des phénomènes qui le traversent et le

91 EMIGH, Rebecca Jean (1997), "The Power of Negative Thinking: The Use of Negative Case Methodology in

the Development of Sociological Theory", Theory and Society, n° 26, vol. 5, p. 649-684.

147 constituent. Dès le choix des cas et des questionnements, nous avons prêté attention à ce que notre étude n'élimine pas la spécificité des situations, des personnes et des lieux.

La méthode de l'étude de cas fournit une analyse approfondie des cas sélectionnés en observant leur unicité et leurs différences, ce qui n'est possible qu'en effectuant une étude détaillée de leurs multiples interactions et complexités. Par ailleurs, nous avons souhaité inscrire les objets étudiés dans leurs environnements sociétaux en les interprétant de manière plus générale. L'expression et la structuration de phénomènes sociaux plus larges sont révélées par l'étude de cas via sa généralisation ‒ ou l'étude de cas élargie.

Le but de l'utilisation de la méthode de cas élargie dans ce travail est de mettre à l'essai un certain nombre de contributions théoriques à travers une analyse détaillée des cas sélectionnés. Selon cette méthode, l'objet de l'analyse est la situation et la causalité vient du lien invisible entre leurs éléments ‒ d'où le nom original de cette méthode, "analyse situationnelle"93.

Bien que la méthode de l'étude de cas élargie ait été appliquée et expliquée dans les années 1950 et 1960 par des auteurs comme Max Gluckman, Clyde Mitchell et Jaap van Velsen, elle a été récupérée et développée par Michael Burawoy dans les années 1990 (Mendes, 2003, p. 4). Les conceptions de Michael Burawoy (2003) sur l'étude de cas élargie sont celles qui sont adoptées ici, même si notre travail présente une limite vis-à-vis de cette méthode : nous n'avons pas pu appliquer la technique d'enquête de l'observation participante, qui serait tout à fait pertinente dans le cadre d'une étude sur la participation.

L'observation participante s'est avérée, en effet, une technique difficile à mettre en place dans ce travail en raison, d'un côté, des contraintes financières déjà mentionnéeset, et d'un autre côté, de la conclusion de certaines des actions au moment de la recherche. Le nombre de territoires étudiés ainsi que les distances entre eux rendent également difficile la mise en place de l'observation participante. Nous croyons pourtant que tant que le chercheur reconnaît et évalue les failles de la conception, toute méthode est une expérience et un contributeur valables au savoir scientifique, et qui fait donc progresser le savoir humain.

Néanmoins, force est de reconnaître que l'observation participante ne permet pas d'accéder à de nombreuses informations pourtant essentielles à la recherche (Olivier de Sardan, 1995). Pour ce faire, il faut recourir aux savoirs, aux souvenirs et aux représentations des acteurs locaux. Pour ce faire, à la place de l'observation participante, nous avons appliqué la technique de l'entretien (notamment du type "récit", qui sera décrite plus loin) qui, selon Jean- Pierre O. de Sardan (1995, p. 79), "reste un moyen privilégié, souvent le plus économique, pour produire des données discursives donnant accès aux représentations locales".

Afin de contre balancer l'absence d'observation directe sur le terrain, nous nous appuyions sur la perspective ethnométhodologique post-analytique utilisée par Michael Lynch et David Bogen (1996) dans leur célèbre ouvrage, The Spectacle of History: Speech, Text, and Memory at the Iran-Contra Hearings. Les auteurs explorent la question de la production de l'histoire par les individus en prenant comme cas les audiences "Iran-contra" tenues en 1987 aux États- Unis, qui portaient sur l'assistance militaire secrète nord-américaine à l'Iran et à l'opposition du Nicaragua.

93 Terme encore préféré par certains chercheurs, comme l'anthropologiste Jaap van Velsen (1987), compte tenu

148 Les auteurs développent ainsi un aperçu des problèmes au cœur de la société et de la théorie sociale (témoignage et histoire, mensonge et crédibilité, utilisation de la mémoire, interaction entre la parole et l'écriture, etc.) au travers d'interrogations méthodologiques sur l'intertextualité des images, des sons et des écrits des procédures de ces audiences, largement télévisées à l'époque.

À travers le cas du lieutenant colonel Oliver North, premier suspect qui est pourtant devenu héros de la droite américaine avec la complicité de la presse et du public, Michael Lynch et David Bogen questionnent également les stratégies de détournement que pratiqueraient les acteurs, ainsi que les rapports entre communication visuelle et démocratie aux États-Unis. L'approche ethnométhodologique post-analytique considère alors l'histoire et les documents comme des ressources construites localement par les acteurs impliqués dans les processus d'intérêt, permettant de reconstituer l'histoire, le contexte et la mémoire des processus au cœur des cas sélectionnés. Cette approche, ancrée dans les récits et les analyses documentaires, a ainsi été considérée comme un outil précieux, notamment en ce qui concerne la reconstruction des chronologies des événements, les attentes et les discours des acteurs impliqués. La recherche bibliographique sera présentée plus en détails dans le prochain point.

3.2.2 L'entretien

La production par le chercheur de données à base de discours locaux qu'il aura sollicités reste un élément central des recherches de terrain. Néanmoins, les questionnaires relèvent souvent d'un fort coefficient d'artificialité et de directivité (Olivier de Sardan, 1995). Pour cette raison, dans notre travail, nous privilégions la méthode de l'entretien.

L'objectif est double : d'un côté, il s'agit de recueillir des données mesurables (science positive) sur les cas (coûts, nombre de participants, etc.) et d'un autre côté, d'utiliser l'entretien comme un outil stratégique de dialogue avec les acteurs (l'entretien "récit"), capable de faire émerger leurs multiples expériences et savoirs situés (science réflexive).

L'entretien porte souvent sur des référents sociaux ou culturels, sur lesquels on consulte l'interlocuteur. Celui-ci est invité à dire ce qu'il pense ou ce qu'il connaît d'une question, sans qu'il soit un expert au sein de la société locale. Néanmoins, l'interviewé peut parfois être sollicité à propos de son expérience personnelle, dans un récit d'épisodes biographiques limités choisis en fonction de leur pertinence pour l'enquête.

Cette technique permet de rapprocher l'entretien d'une situation d'interaction quotidienne, de conversation. Il s'agit, comme le souligne Jean-Pierre O. de Sardan (1995, p. 79), d'une stratégie récurrente qui cherche à réduire l'artificialité de la situation d'entretien et l'imposition par l'enquêteur de normes méta-communicationnelles.

Le voyage dans les savoirs situés des acteurs se fait notamment dans l'interprétation contextuelle (historique et sociale) de faits et d'interactions, et dans l'analyse de leurs dimensions. Nous avons alors essayé de saisir les forces sociales dans leur extériorité, en les comprenant en tant que facteurs qui, vraisemblablement, aident à modeler notre objet.

La dimension discursive des savoirs situés est souvent atteinte via l'entretien. Leur dimension non discursive, inexpliquée lors de l'entretien, requiert une analyse de la part du chercheur et, d'une certaine manière, une réduction ‒ ou agrégation : dans la science réflexive, il s'agit de

149 regrouper plusieurs versions descriptives et interprétatives d'un même cas et de les associer dans des processus sociaux (Burawoy, 2003).

D'où l'importance de la triangulation qui, comme l'affirme Jean-Pierre O. de Sardan (1995, p. 85), est le principe de base de toute enquête : toute information émanant d'une seule personne est à vérifier. On distingue deux types de triangulation possibles selon l'auteur : la triangulation simple croise les interviewés afin de vérifier les informations, tandis que la triangulation complexe cherche à faire varier les interviewés en fonction de leur rapport à la question traitée. La différence fait alors sens et on cherche des discours contrastés.

Nous avons prêté une attention spéciale à cet aspect dans notre recherche de terrain. Cependant, en raison de la difficulté à établir contact avec plusieurs sources, nous avons été contrainte de changer de stratégie. Afin de combler cette difficulté, nous avons vérifié, dans la mesure du possible, les informations en les croisant avec d'autres données, notamment des données écrites. Le seul cas où la triangulation (il s'agissait d'une triangulation complexe) a pu être faite via des entretiens, a eu cours dans l'étude de cas à Foz do Iguaçu.

Du point de vue de la science réflexive, l'entretien n'est pas simplement une façon de déclencher des réactions de l'interviewé (science positive) mais une vraie intervention dans sa vie. L'enquêteur est un partenaire nécessaire de cette interaction. Les éventuels "bruits" produits ne sont pas de perturbations à éliminer mais une vertu à exploiter, capable de révéler des "secrets" du monde des acteurs.

Ainsi, l'entretien ne doit pas être un exercice qui réduit à une cordonnée unique la multiplicité des expériences des acteurs. La science réflexive prône une approche transversale de leurs expériences ; un "voyage" dans leurs savoirs, situés dans un temps et un espace spécifiques et en perpétuel mouvement (Burawoy, 2003, p. 439). Ce mouvement caractérise alors une certaine "instabilité" du terrain.

En effet, le terrain d'étude n'est pas un espace neutre. D'un côté, il est configuré avant l'arrivé du chercheur, dans la préparation de l'enquête, et est pris en charge en amont, par des descriptions multiples (Mondada, 1998, p. 47). D'un autre côté, son existence est conditionnée par des facteurs extérieurs et par la dynamique des forces sociales présentes, même si celles-ci ont cours en dehors du domaine de la recherche (Burawoy, 2003).

Le terrain peut être alors compris comme étant un lieu où se développent des activités et des pratiques spécifiques qui sont localement organisées et dépendantes du contexte (Mondada, 1998, p. 40). Les activités des chercheurs, tout comme les faits scientifiques, s'ajustent et prennent forme dans ces contextes particuliers.

Dans ce sens, lors des recherches sur le terrain et des entretiens, on voit apparaître des "effets de contexte" que les chercheurs essaient parfois de minimiser mais qui ne peuvent pourtant pas être niés (Burawoy, 2003). Il s'agit des effets d'entretien, des effets de l'interviewé, des effets de terrain et des effets de situation. Comme l'affirme Lorenza Mondada (1998, p. 40), on tente d'éliminer les difficultés qui se posent lors de l'enquête au lieu de se demander si elles ne sont pas des éléments "inéliminables", constitutifs de la situation.

La science positive part du principe que ces effets sont des interférences qui doivent être minimisées et contrôlées par l'intervieweur, tandis que la science réflexive les perçoit comme étant la réalité du monde analysé qui ne peut donc pas être neutralisée (Burawoy, 2003, p. 436). Notre approche de ces éléments dans cette recherche suit ainsi les principes de la science réflexive.

150 Les effets d'entretien correspondent à l'influence des caractéristiques de l'intervieweur ou de l'organisation de l'entretien sur les réponses. Les caractéristiques culturelles et linguistiques de l'entretien, ainsi que son contexte, engendrent de nombreux biais sur les contenus référentiels (Olivier de Sardan, 1995). Par ailleurs, nous étions attentive au fait que l'entretien est un rapport social spécifique entre l'intervieweur et l'interviewé. D'une part, il s'agit d'une relation sociale particulière entre les deux : le chercheur est inconnu de la vie de l'enquêté tandis que ce dernier lui confie des moments de sa vie ainsi que des confidences. D'autre part, cette relation est aussi un rapport social.

Ces aspects demandent que le chercheur adapte son comportement aux situations des enquêtés. Cette particularité est encore plus frappante lorsque le chercheur est confronté à des cultures autres que la sienne. Dans des telles situations, le chercheur ne peut pas imposer ses propres normes méta-communicationnelles à ses interlocuteurs et se voit confronté à la nécessité d'acquérir une compétence communicationnelle adéquate (Mondada, 1998).

Ainsi, afin de maximiser les divers niveaux d'information recherchés, la prise en compte du contexte méta-communicationnel se révèle indispensable (Olivier de Sardan, 1995). Dans notre cas, le fait d'être brésilienne et doctorante, et d'avoir des connaissances sur les projets et les actions étudiés au moment de l'entretien, a facilité les échanges et nous a donné plus de crédibilité auprès des interviewés.

Les effets de l'interviewé réfèrent aux différentes interprétations des questions de la part de l'intervieweur et de l'interviewé. Nous croyons que ces effets peuvent être négatifs si la réponse finale ne correspond absolument pas à la question, ou si l'interviewé essaient de manipuler les réponses. Certes, les questions que le chercheur se pose ont une pertinence pour lui et sont spécifiques à sa recherche, mais elles ne font pas naturellement sens pour son interviewé. Le chercheur doit alors les transformer pour pouvoir converser sur le terrain en utilisant les codes de son interlocuteur (Olivier de Sardan, 1995).

Par ailleurs, il convient de remarquer, comme le fait Jean-Pierre O. de Sardan (1995, p. 80), que les intérêts de l'enquêté et de l'enquêteur divergent, tout come leurs représentations de l'entretien. Se pose alors le défi au chercheur de garder le contrôle de l'entretien tout en laissant son interlocuteur s'exprimer comme il le souhaite. Si le chercheur fournit à l'intervieweur un nouveau regard ou abord, les effets peuvent être alors plutôt positifs.

Ainsi, à la place de contrôler ces effets, le chercheur doit être prêt à la confrontation avec des réponses et des comportements inattendus de la part des interviewés, comme le souligne Lorenza Mondada (1998). Son rôle est de trouver une solution qui convient aux deux parties. Après tout, les informations recueillies sont des "interprétations coproduites conjointement par l'enquêteur et l'informateur au sein d'un événement communicationnel" (Mondada, 1998, p. 59).

Les effets de terrain renvoient au pouvoir des conditions extérieures à l'entretien (sociales, politiques, économiques, etc.) d'en modifier les réponses. Ces effets peuvent être centraux dans une étude comme la nôtre, qui a un rapport direct avec les pouvoirs publics. Ainsi, il est fondamental de maîtriser les contextes afin de comprendre l'interférence des conditions extérieures dans les discours des acteurs.

À titre d'exemple, nous nous attendions que les municipalités (ou d'autres organismes à elles liés) ne critiquent pas les gouvernements et qu'au contraire, les autres acteurs (notamment les ONG) ne fassent pas de compliments aux gouvernements. Or, ces hypothèses n'ont pourtant

151 pas été vérifiées dans tous les contextes et avec tous les acteurs, ce qui montre des effets de terrain hétérogènes et particuliers.

Enfin, les effets de situation font référence à l'étude des situations sociales plutôt que des individus. Nous avons ainsi mené des analyses qui, à la place de regarder l'individu interviewé, ont plutôt cherché à comprendre ses points de vue par l'intermédiaire du contexte et des conditions dans lesquels cette personne se trouvait au moment de l'entretien, ainsi que de ses vécus et de ses savoirs issus d'expériences passées. N'oublions que l'entretien est avant tout une interaction et son déroulement dépend des stratégies et des ressources cognitives des partenaires de l'interaction, ainsi que du contexte dans lequel celle-ci se situe.

La situation d'interaction durant l'entretien peut également être "domestiquée", le cas le plus radical étant celui où cette interaction relève entièrement du dispositif de l'enquête (Mondada, 1998, p. 54). Cette auteure affirme, par ailleurs, que l'interaction peut être également domestiquée par le questionnaire ou par les contraintes imposées à l'organisation de la conversation, par la succession des questions du chercheur et des réponses de l'interviewé. Pour ce qui concerne nos entretiens, les interviewés étaient libres de choisir le lieu et l'horaire qui leur convenaient. Nous estimons alors que nos entretiens et situations d'interaction n'ont pas été domestiqués.

Au contraire, nous avons utilisé chaque entretien comme une occasion de trouver de nouvelles pistes de recherche, de modifier des hypothèses ou d'en élaborer de nouvelles, de formuler de nouvelles questions ou d'en reformuler d'anciennes. C'est la phase de production des données que Jean-Pierre O. de Sardan (1995, p. 87) définie comme "une restructuration incessante de la problématique", "un réaménagement permanent du cadre interprétatif [rendu possible] au fur et à mesure que les éléments empiriques s'accumulent".

Ce "temps perdus sur le terrain" n'étaient pas de "temps morts" mais nécessaires pour nous (Olivier de Sardan, 1995, p. 73). C'étaient des temps nécessaires pour mieux définir nos objectifs et cibler nos objets d'études, mais également pour apprendre à être chercheur sur le terrain et pouvoir acquérir de nouvelles compétences.