• Aucun résultat trouvé

Participation et tourisme participatif

4.4 Contribution de l'innovation ouverte à la participation

Déjà évoqué dans le premier chapitre, le bien-être demande prospérité et égalité, qui se matérialisent, entre autres, par des services publics de qualité et accessibles à tous. Dans ce sens, l'État joue un rôle central en tant que responsable (direct ou indirect) de la prestation de ces services.

Dans la ligne de raisonnement d'Amartya Sen, il est possible d'avoir une société plus heureuse si elle participe à la transformation de sa réalité, en sortant d'une logique bureaucratique et en allant vers une effective révolution dans la manière de résoudre des défis complexes qui émergeront au long du XXIème siècle. Après tout, les vieilles méthodes du passé ne serviront pas à surmonter les nouveaux défis du futur.

Cette résolution de défis peut être encouragée par l'interaction et la participation de différents acteurs concernés qui contribuent à l'innovation. D'ailleurs, il n'existe pas d'innovation dans un environnement où prédomine une seule et unique vision des choses. Qui dit innovation dans la façon de gouverner, dit repenser la façon d'inviter la population à participer à la création de sa propre réalité.

On parle alors d'innovation ascendante ou d'innovation par les usagers : il s'agit d'un processus qui valorise la place de l'usager aux côtés des concepteurs et des acteurs territoriaux

100 (élus, aménageurs, etc.) ; une co-construction de la connaissance dans une logique de plateforme d'innovation ouverte (Gwiazdzinski, 2015).

Dans le cas de l'innovation dans le secteur public, il s'agit moins d'une nouveauté (comme pour les entreprises) mais plutôt d'une transformation de la logique bureaucratique d'organiser et de fournir des services afin d'améliorer la vie des personnes. Ainsi, les défis sociaux peuvent être résolus et les besoins des habitants, satisfaits plus efficacement.

Le paradigme de l'innovation ouverte commence à être étudié surtout dans le secteur privé et dans la production (innovation en recherche et développement), entre autre pas les travaux de Henry Chesbrough66, mais attire aussi rapidement l'attention vers d'autres questions plus larges liées aux affaires (stratégie, marketing, etc.) ainsi qu'aux services publics.

À partir d'une analyse du comportement historique de grandes entreprises nord-américaines au long du XXème siècle, Henry Chesbrough (2003) a constaté que le modèle de gestion des innovations (dit "traditionnel") utilisé dans ces entreprises était assez fermé par rapport à l'apparition d'idées et leur application dans le marché. Cependant, ces prémisses s'effondrent au fur et à mesure que des altérations sociales dans la dissémination des connaissances et dans la division du travail amènent vers un nouveau modèle d'innovation plus ouvert.

Henry Chesbrough (2003) affirme alors que les organisations ont besoin d'un regard vers l'extérieur afin de trouver de nouvelles idées pour innover à une vitesse supérieure de celle d'un travail exclusif avec leurs départements de recherche et développement. Ainsi, l'innovation ouverte intègre un processus collaboratif à double sens, de l'environnement interne vers l'extérieur et vice versa : un ensemble d'efforts tant dans la conception que dans le développement de produits ou services (Rahman et Ramos, 2010) ; un système ouvert où la coopération et la contribution des personnes à des sujets d'intérêt commun ‒ le capital humain et la connaissance ‒ sont deux facteurs fondamentaux pour faire avancer le processus.

4.4.1 Influence du design sur l'innovation ouverte

Dans ce sens, il est possible de considérer que le modèle d'innovation ouverte est fortement influencé par le design. Pendant très longtemps, le design a été synonyme de création de produits ou encore de qualité esthétique. Néanmoins, des réflexions plus approfondies ont montré que le design est depuis toujours lié à l'innovation en raison, d'un côté, de sa capacité à résoudre des problèmes systémiques et d'un autre côté, de son rapport avec les personnes ‒ d'ailleurs l'aspect le plus important du design (Papanek, 1985).

Dans cette perspective, Tim Brown, président et CEO de l'IDEO, une importante société de conseil aux États-Unis, cite l'exemple de la Great Western Railway67. Cette voie ferrée, construite en Angleterre au XIXème siècle par Isambard Kingdom Brunel, avait le souci majeur d'offrir le meilleur voyage possible aux passagers.

Le design est une façon de penser et de résoudre des problèmes complexes à partir de la collaboration et de l'expérimentation. Le design en collaboration (Fortin at al., 2005, p. 149) consiste alors à créer des allers-retours entre les objectifs et les solutions, et entre les

66 Henry Chesbrough (2003), Open Innovation: The New Imperative for Creating and Profiting from

Technology, Boston, Harvard Business School Press, 272 p.

67 TED talks, juillet 2009, "Tim Brown urge les designers à penser grand". Disponible sur <

https://www.ted.com/talks/tim_brown_urges_designers_to_think_big?language=fr> (Page consultée le 04 mars 2016)

101 diférentes échelles d'intervention. Un exemple de ce type de démarche est présenté par ces auteurs sur la ville de Québec, lors de l'élaboration d'un projet développé au fil d'une série de rencontres entre différents acteurs : urbanistes, architectes, sociologues, fonctionnaires, élus et résidents.

Le projet consistait à dessiner, ensemble, un plan d'aménagement pour quatre arrondissements de la ville. La démarche consistait d'abord à identifier les réalités physiques, économiques et sociales du territoire du projet à travers des cartes "diagnostic" élaborées avec l'ensemble des participants. Ensuite, à partir de ces constats, les principaux enjeux de développement et problèmes étaient identifiés. Puis, des objectifs et critères pour guider les actions futures étaient formulés. Finalement, ces objectifs étaient traduits en propositions concrètes.

Les démarches de design contribuent à la construction de nouvelles relations entre les concepteurs et les publics à partir de simulations et d'expérimentations ludiques et participatives qui ont lieu dans les lieux du quotidien (Gwiazdzinski, 2015). Dans tous les domaines, on voit émerger de nouveaux acteurs porteurs d'initiatives variées. L'objectif étant de générer des résultats qui sont souhaitables et importants pour les personnes (et leur bien- être) d'un côté, et financièrement intéressants et techniquement possibles d'un autre côté. Le design émerge ainsi comme nouvelle forme de penser l'innovation à partir d'une volonté d'introduire le client ou le public dans le processus novateur (Corneloup, 2009, p. 117). L'innovation en politiques publiques par le design défend une esthétique susceptible de "ré- enchanter" l'action publique et de la rendre "désirable" (Gwiazdzinski, 2015, p. 473). Les démarches du design, si ouvertes et participant au mieux-vivre ensemble, peuvent alors être des éléments non négligeables pour les stratégiques de développement durable et collaboratif, ainsi que d'innovation sociale (Gwiazdzinski, 2015, p. 479).

4.4.2 Modélisation de l'innovation ouverte

Oliver Gassman et Ellen Enkel (2004) essayent d'établir une conceptualisation formelle des trois processus qui forment le modèle d'innovation ouverte : le processus "outside in" (de l'extérieur vers l'intérieur), qui enrichit la base de connaissances de l'organisation par l'ouverture des canaux de communication avec des clients, fournisseurs, etc. ; le processus "inside-out" (de l'intérieur vers l'extérieur), qui externalise les connaissances de l'organisation dans l'objectif d'amener ses idées au marché (et d'en retirer des profits) plus rapidement ; et le processus couplé, qui rassemble les deux stratégies (coopération sous forme d'alliances, consortiums, partenariats avec des universités et instituts de recherche, etc.).

Ce dernier est à la fois fondamental dans l'obtention de ressources et de résultats durables, et nécessaire pour l'innovation dans le secteur public. Même s'ils sont souvent en lien avec le secteur privé et la production de biens, ces processus peuvent également être appliqués au secteur public et aux services à la population (Eggers et Singh, 2009).

Pour Hakikur Rahman et Isabel Ramos (2010), les valeurs du modèle de l'innovation ouverte seraient : connexion et développement, coopération, collaboration en réseau et établissement de partenariats. Cependant, Henry Chesbrough affirme que les institutions performantes surestiment leurs habilités et sous-estiment celles des autres, et cette mentalité est le principal défi de l'innovation ouverte aujourd'hui. Il existe également la difficulté de la mise en place

102 d'un travail partenarial entre les différents acteurs (universités, entreprises, administrations publiques, etc.) qui est pourtant nécessaire dans le modèle de l'innovation ouverte68.

De manière pratique, à partir du modèle d'innovation ouverte, le processus d'innovation peut être imaginé comme un cycle de quatre phases principales : la proposition d'idées, la sélection des idées plus pertinentes, leur implémentation et finalement leur diffusion. William Eggers et Shalabh K. Singh (2009) suggèrent cinq stratégies pour encourager différentes sources d'innovation et aider les gouvernements dans leurs capacités à générer des approches normatives.

D'une orientation plus interne vers une autre plus externe, les auteurs proposent : de cultiver l'innovation à l'intérieur de l'organisation ; de reproduire et adapter une innovation déjà existante à un nouveau contexte ; de s'associer à d'autres acteurs ; de créer des relations formelles et informelles avec plusieurs organisations ; d'utiliser le "open source" (source libre) qui encourage les gens à collaborer volontairement et à créer des solutions disponibles gratuitement (souvent liés à l'usage de la technologie et des logiciels).

D'après les auteurs, les gouvernements ont longtemps utilisé les trois premières, qui n'ont pas eu les résultats et le succès attendus. Pour ce qui concerne les deux dernières, les gouvernements commencent à les explorer mais ils sont encore loin d'être conscients de leur vrai pouvoir ‒ d'ailleurs devenu plus important avec Internet et d'autres technologies.

4.4.3 Stratégies des gouvernements qui s'appuient sur l'innovation ouverte

Aujourd'hui, les gouvernements (notamment dans des pays plus développés) s'efforcent de trouver des solutions pour répondre à des défis avec une stratégie basée sur l'innovation ouverte qui, au-delà d'un plus grand accès aux services publics de haute qualité et effectivité, garantit également une réduction des coûts : des solutions souhaitables, viables et durables à la fois pour les gouvernements et les habitants.

Le Royaume-Uni en est un exemple : un processus "outside in" fut capable de créer non seulement un agenda national cohérent mais aussi les conditions nécessaires pour influencer le comportement et les décisions gouvernementaux (Tellus, 2012). Le Parlement français, à travers la page "Parlement & Citoyens, ensemble faisons la loi" (https://www.parlement-et- citoyens.fr) invite les citoyens à collaborer avec les parlementaires afin de "rechercher ensemble des solutions aux problèmes" du pays (voir figure 3). Ce type d'initiative est connue sous le terme de "crowdsourcing" qui, dans plusieurs cas dont celui du parlement français, se fait sur des plateformes collaboratives.

Les parlementaires participants proposent de thèmes pour la consultation et/ou le débat (point 1, "présentation et suivi"), et les citoyens inscrits peuvent voter pour ou contre leurs propositions (point 2, "consultation"), en faire d'autres ou faire part de leurs points de vue ("arguments"). Les débats sont ouverts en général pendant un mois ou un mois et demi, et débouchent ensuite sur une "synthèse" (point 3), puis soit à un "rapport", soit à un "débat" virtuel (points 4) où les personnes peuvent envoyer des messages sous forme de vidéo.

68 Henry Chesbrough, en entretien à la revue brésilienne "Época Negócios", le 02 mars 2009. Disponible sur

<http://epocanegocios.globo.com/Revista/Common/0,,EMI21426-16642,00-

LEIA+A+INTEGRA+DA+ENTREVISTA+COM+HENRY+CHESBROUGH.html> (Page consultée le 12 juin 2015).

103 Figure 3. Innovation ouverte et "crowdsourcing" au Parlement français

Source: https://www.parlement-et-citoyens.fr

Au Brésil, par exemple, le gouvernement a pour grand défi d'augmenter la valeur des services publics et ce, entre autres, à cause du nombre de transformations sociaux-démographiques de ces dernières années et de leur rapidité : entre 2000 et 2011, la proportion de "pauvres" a chuté de 38,7 % à 20,6 %, tandis que le taux de "extrêmement pauvres" est passé de 17,4 % à 6,9 % ‒ ces chiffres représentent un total de 40 millions de brésiliens qui ont quitté une situation de pauvreté. La classe moyenne, de son côté, est passée de 38 % à 53 % entre 2002 et 2012, c'est-à-dire 104 millions de personnes en 201269.

Malgré ces défis, des efforts ont été engagés à ce sujet. Depuis 2014, par exemple, il existeune plateforme collaborative entre gouvernement national, citoyens et institutions dont le but est de construire des politiques publiques plus fortes. Un autre exemple, au niveau régional, est le Réseau paulista d'innovation en gouvernement créé par le gouvernement de l'État de São Paulo avec son Conseil de l'Innovation. Il s'agit à la fois d'un environnement physique et virtuel où les agents publics peuvent partager des expériences innovatrices en termes d'amélioration de la gestion publique et des services prestés à la population.

Pour le premier environnement (physique), il s'agit d'une rencontre mensuelle (environ soixante-cinq agents publics de différents organismes) pour l'échange d'expériences à l'intérieur et en dehors du gouvernement connue comme "InovaDay". Cet événement est également transmis par Internet sur approximativement cent quarante ordinateurs et pour des écoles des gouvernements des États de l'Acre (région Nord du pays) et du Rio Grande do Sul (région Sud). L'environnement digital offre, de son côté, une gamme d'options de connexion entre les agents publics, tout comme un tutoriel avec des orientations pratiques sur les outils et les techniques d'administration et d'usage de la technologie.

Ces exemples montrent clairement que le phénomène de l'innovation ouverte est aujourd'hui renforcé par la croissante globalisation de la recherche, de la technologie et de l'innovation elle-même. Parallèlement, les personnes et organisations sont davantage connectées en réseau et l'échange d'informations est rapidement transformé en connaissance, qui est de plus en plus catalysée par les organismes.

69 Tellus (2012), A era do governo cidadão. Um novo caminho para os serviços públicos no Brasil.

Disponible sur <https://gabrielaslotta.files.wordpress.com/2014/01/151112maisinovacao_miolo-2.pdf> (Page consultée le 19 juin 2015).

104 Le terme d'innovation ouverte est souvent lié à d'autres phénomènes, qui même sans partager tous les concepts, ont en commun au moins le caractère d'ouverture du processus d'innovation pour que d'autres sources puissent être explorées : le "open source" (source ouverte) (West et Gallagher, 2006), l'innovation centrée sur l'usager (Hippel, 2005), l'innovation distribuée (Sawhney et Prandelli, 2000) ou encore la co-création (Franke et Piller, 2004). Dans ce débat, la technologie, avec notamment les possibilités données par Internet, est un facteur clé de développement de l'innovation ouverte, comme nous l'avons mentionné auparavant.

Ainsi, il est commun d'utiliser le terme "systèmes d'innovation ouverte" en référence à des systèmes et à des plateformes virtuelles qui stimulent le citoyen-usager et lui donnent la possibilité de contribuer à la résolution de problèmes ‒ une stratégie souvent utilisée à l'heure actuelle par les gouvernements et à laquelle la génération Y70 se montre prête à collaborer. Le large usage de nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) est également le moteur du développement de "villes intelligentes" aujourd'hui.