• Aucun résultat trouvé

durable eme le le en

5.1 L'habitant en tant qu'acteur dans son territoire

L'habitant n'est pas simplement celui qui réside quelque part ; l'habiter renvoie au rapport que l'homme entretient avec les lieux de son existence et signifie pratiquer l'espace, se l'approprier symboliquement et s'y investir émotionnellement (Barret, 2012). Dans ce sens, il est à remarquer que les demandes (territoriales) des habitants se déplacent vers l'élaboration du commun par les attaches à des lieux, par des projections affectives sur des espaces (Faburel et Chevallier, 2015, p. 99).

La notion d'habiter est dotée d'une dimension spatiale et temporelle tenant compte des transformations et des évolutions de cette relation homme-lieu. Habiter, c'est construire des systèmes d'action et de relation déterminés par des comportements, valeurs, pratiques, idéologies et positionnements, qui créeront les réalités territoriales locales (Di Méo, 2008). L'habitant peut ainsi être considéré comme sujet pensant et actif ‒ donc un acteur ‒ de son territoire de vie (Frémont, 1999).

Les constructions territoriales sont l'objet d'intentions, de discours, d'actions de la part d'acteurs qui se positionnent, se mobilisent et développent des stratégies pour parvenir à leurs fins (Gumuchian et al., 2003, p. 169). L'analyse du territoire, "l'espace des hommes" (Frémont, 1999, p. 18), implique ainsi une prise en compte de ces aspects, tout comme des dynamiques socio-spatiales et des acteurs.

Tout acteur a une compétence territoriale, qu'elle soit juridique, spatiale, sociale ou culturelle (Gumuchian et al., 2003). En tant que producteurs de l'espace, Roger Brunet (dans Gumuchian et al., 2003, p. 137) identifie cinq catégories d'acteurs : État, collectivités locales, entreprises, groupes, individus. Les acteurs sont marqués par des caractéristiques (intérêts, aspirations, émotions...) qu'ils mobilisent au moment d'agir. Cette perspective suppose alors de reconnaître les acteurs dans leurs diversités ainsi que dans la variété de leurs rôles.

Néanmoins, pour mener à bien un projet, il est possible que l'acteur adopte une "nouvelle position", dans une perspective différente de celle qui est, à l'origine, la sienne. Pour cette raison, et comme le soulignent Hervé Gumuchian et al. (2003, p. 69), "on ne peut pas, en matière d'aménagement ou de développement, considérer que chaque acteur est doté d'un seul statut, mais bien des statuts multiples", selon l'évolution du temps et du contexte de chaque projet.

Plusieurs domaines et chercheurs essayent de trouver la bonne définition pour la notion d'acteur. Nous n'avons pas la prétention, dans notre travail, d'approfondir cette question, qui

114 est abordée de manière beaucoup plus complète par d'autres auteurs73. Parler de l'acteur est, en effet, une mission délicate et difficile étant donné que les analyses peuvent varier énormément, selon que l'on s'intéresse, par exemple, aux raisons de l'action ou aux systèmes d'interaction dans lesquels elle s'exerce (Keerle, 2006).

Le rapport que la géographie entretient avec les autres disciplines anthroposociales joue également un rôle dans ces analyses. Bien que l'emploi de la notion d'acteur tend à devenir légitime en géographie, cette notion est clairement une invention de la sociologie (Keerle, 2006). Pour ce qui concerne notre travail, nous avons procédé à un usage de la notion d'acteur ‒ en opposition à celle d'agent ‒ qui s'appuie sur les analyses de Mark Hunyadi (2001), tout en étant consciente que d'autres approches sont également possibles.

5.1.1 Acteur et agent : différence des notions à partir des usages de la règle

Pour expliciter la différence entre acteur et agent, Mark Hunyadi analyse les deux notions à partir des usages de la règle. Il engage sa réflexion en partant de la constatation qu'une tendance de participation, émise par les concernés eux-mêmes, s'affirme aujourd'hui, quel que soit le domaine de régulation (politique, économique, etc.). Il affirme que les personnes souhaitent participer à l'élaboration des règles qu'ils utilisent ou dont ils dépendent ‒ ils veulent aussi en être les auteurs. Toutefois, le type de point de vue que l'on adopte sur l'agir (objectivant ou performatif) modifie le sens de "suivre une règle".

Si on est observateur, on ne produit que des hypothèses explicatives. On découvre une règle au sens des régularités observées et il n'y a pas de point de vue performatif possible sur les causes. L'observateur ne peut pas donner les vraies raisons de l'action, car selon Mark Hunyadi, la raison d'une action ne peut être fournie que par celui qui agit. Dans ce cas, la règle ne résulte pas de la description d'une régularité (comme les lois de la nature), mais se réfère à l'adoption d'une convention (comme les règles d'un jeu). Il s'agit donc d'une règle au sens de convention instituée.

Sur la base de ces éléments, cet auteur propose les définitions suivantes : agent est celui pour qui la règle est une cause de son agir ; acteur est celui pour qui la règle est une raison d'agir (Hunyadi, 2001, p. 35). L'attitude intentionnelle face aux règles caractérise ainsi la position qui va de l'agent à l'acteur : les individus concernés par les règles, dans leur capacité d'acteur et leur pouvoir d'action sur les règles qu'ils utilisent, ne veulent plus être les agents d'une règle qu'ils n'approuvent pas (Hunyadi, 2001, p. 39).

Néanmoins, on ne peut pas oublier que l'acteur agit en fonction de normes et principes imposés par la dynamique collective et que l'action est le résultat d'une stratégie (individuelle ou collective) inscrite dans un territoire et contrainte par des logiques institutionnelles, déterminées par des processus politiques ou économiques (Gumuchian et al., 2003). Se pose alors la question de l'acteur en termes de liberté, qui est directement liée à une caractéristique ontologique de l'individu d'après la vision de Mark Hunyadi (2001, p. 35) : celle d'être libre, que ce soit en termes d'existence, de droits, de pouvoir, de capacités, etc.

Cette caractéristique d'être libre est, selon l'auteur, inévitablement confrontée au problème de ses limites, de la liberté individuelle et des contraintes sociales. L'approche à partir de règles ne présente pas ce problème parce que l'individu y est caractérisé selon l'usage qu'il fait des

73 Sur l'usage de la notion d'acteur en géographie, voir Hervé Gumuchian et al., 2003 ; Guy Di Méo et Pascal

115 règles et le rapport qu'il entretient avec elles. La question ici n'est pas de savoir si la règle contraint ou pas la liberté de l'individu mais plutôt de questionner le type de rapport que l'individu entretient avec les règles. Il n'y a donc pas d'opposition entre liberté et contraintes sociales, mais des usages possibles des règles qui structurent le monde (Hunyadi, 2001, p. 36). Il existerait alors une exigence procédurale de participation, révélée par des conflits à propos de règles instituées, ainsi qu'une exigence morale, qui se concentrerait sur la capacité d'une communauté d'utilisateurs de la règle ‒ les personnes concernées ‒ de prendre en compte les aspirations à propos de cette règle. Ces aspirations expriment des choses sur les acteurs sociaux et leurs identités, et ils veulent donc en être les porteurs. Pour cette raison, affirme Mark Hunyadi (2001, p. 40), "le déni de reconnaissance [...] à une aspiration peut être vécu comme une marque de mépris [qui] consiste à nier chez l'individu sa capacité d'acteur, pour le réduire à sa simple condition d'agent".

L'auteur affirme ainsi que la démocratie ‒ participative, dirions-nous ‒ apparaît comme le système où l'espace normatif appartient aux acteurs sociaux eux-mêmes et où les utilisateurs des règles en sont aussi les auteurs (Hunyadi, 2001, p. 39). La démocratie ne garantit pas le succès d'actions ou de règles, mais, au moins, elle les préserve du pire, comme l'affirme Philippe Marchesin (2013). Même si elle n'apparaît pas comme une condition du démarrage du développement, elle se révèle indispensable pour sa continuité (Marchesin, 2013).