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1.4 Quelques repères théoriques

1.4.3 Vers la théorie de transition aléatoire de premier ordre

1.4.3.2 La théorie de couplage de modes

La théorie de couplage de modes (Mode-Coupling Theory (MCT) en anglais) prédit une transition purement dynamique vers une phase gelée à basse température [25]. Cette théorie s’appuie sur les deux observations suivantes :

– les propriétés structurales des liquides surfondus dépendent faiblement de la tem-

pérature tandis que le temps de relaxation τα augmentent de plus de dix décades ;

– pour des températures suffisamment basses, l’échelle de temps correspondant à la relaxation α est significativement plus grande que celle correspondant à la relaxa- tion microscopique (confère figure 1.7).

Dans la théorie de couplages de modes l’étude de la dynamique du système est donc basée sur le découplage de deux échelles de temps afin de se concentrer sur l’étude des variables évoluant le plus lentement : les fluctuations de densité dues à la relaxation structurale du système.

Fonction mémoire Les équations de la théorie de couplage de modes ont été initia- lement dérivées à partir du formalisme de l’opérateur de projection développé par Mori et Zwanzig (voir [25] pour des calculs détaillés). Les fluctuations de densité peuvent être, par exemple, étudiées à travers la fonction intermédiaire de diffusion (incohérente)

Fs(q, t). Dans ce cas, l’équation de Langevin décrivant de manière formelle l’évolution

temporelle de Fs(q, t) s’écrit : d2F s(q, t) dt2 + Ω 2F s(q, t) + Z t 0 Mq(t − t′) dFs(q, t′) dt′ dt ′ = 0 (1.17)

où Ω2 est une fréquence microscopique et M

q(t) une fonction mémoire contenant deux

termes. Le premier vient des variables rapides, le second des variables lentes et couple l’évolution antérieure de la fluctuation de densité à son évolution à l’instant t. Toute la difficulté du problème réside dans le calcul de la fonction mémoire. La théorie de couplage de modes propose des approximations qui permettent de la déterminer plus

facilement. Ainsi, Mq(t) ne dépend plus que de quantités statiques, mesurables et la

théorie de couplage de modes constitue une véritable théorie ab initio de la transition vitreuse.

L’équation 1.17 est similaire à celle de l’équation du mouvement d’un oscillateur har-

monique amorti. Le terme d’amortissement induit par Mq(t) dépend de la température.

Il décrit l’existence d’un mécanisme de rétroaction non linéaire sur les fluctuations de densité du système responsable du fait qu’une petite modification de la structure du liquide induit un fort changement dans la relaxation de la dynamique.

Figure 1.30 – Ralentissement et blocage de la dynamique. La dépendance temporelle de la fonction intermédiaire de diffusion (incohérente) Fs(q, t) a été calculée dans le cadre de la théorie de couplage de modes pour un système de sphères dures. La fraction volumique cri- tique φM CT vaut 0.5159. Les différentes courbes correspondent à différentes valeurs de fraction volumique φ avec φ = φM CT ± 10−n/3. Les régimes de relaxation α et β ainsi que l’effet de cage sont bien décrits par les équations de la théorie de couplage de modes. D’après Fuchs et al [106].

Principales prédictions La forme exacte des solutions de l’équation 1.17 n’est connue que numériquement. La figure 1.30 présente les solutions obtenues lors de simulations numériques sur un système de sphères dures. Nous observons que lorsque la fraction

volumique φ augmente la relaxation ralentit. Pour des petites valeurs de φ, Fs(q, t) pré-

sente une première relaxation rapide, suivie d’une deuxième relaxation significativement plus lente qui décroît à zéro dans la limite des temps longs. Entre ces deux régimes,

Fs(q, t) développe un plateau dont la durée augmente avec φ. Ces caractéristiques sont

analogues à celles observées lors de l’étude de la relaxation des liquides surfondus à la section 1.2.1.1 (se reporter à la figure 1.5). Celà signifie que les régimes de relaxation α et β ainsi que l’effet de cage sont bien décrits par les équations de la théorie de couplage de

modes. A partir d’une certaine valeur de φ dite critique et notée φM CT, nous observons

que Fs(q, t) exhibe un plateau qui persiste aux temps longs et dont la hauteur augmente

avec φ. La relaxation α n’a donc pas lieu. Celà provient du fait que les fluctuations de densité se bloquent et que par conséquent le système ne peut plus relaxer vers son état d’équilibre. Notons que ce régime n’a jamais été observé dans les liquides surfondus pour lesquels la théorie de couplage de modes prédit un gel de la dynamique à la température TM CT > Tg.

Les prédictions de la théorie de couplage de modes concernant la forme des fonctions

de corrélation à deux points C(t) sont très précises [25, 106]. A T > TM CT, dans le

domaine temporel, la première décroissance de C(t) (qui correspond à l’approche du plateau de la figure 1.30) suit une loi de puissance caractérisée par l’exposant a tandis que la seconde décroissance de C(t) (i.e. la sortie du plateau) suit une loi de puissance caractérisée par l’exposant b. Les exposants a et b ne sont pas universels : ils dépendent du liquide et de la forme exacte des équations de couplage de modes. Par contre, ils sont

indépendants de la température et satisfont la relation suivante : Γ((1 − a)2)

Γ(1 − 2a) =

Γ((1 + b)2)

(1 + 2b) = λ (1.18)

où Γ est la fonction Gamma d’Euler, λ un paramètre indépendant de la température, 0 < a < 0.5 et 0 < b ≤ 1 [25]. Dans le domaine fréquentiel, la théorie de couplages

de modes prédit que la partie imaginaire de la susceptibilité diélectrique linéaire χ′′

1(ω)

présente à T < Tf deux pics séparés par un minimum d’amplitude χ

′′

1(min). Le pic situé à basses fréquences est lié à la relaxation α. Sa position dépend de la température : il se décale vers les basses fréquences lorsque la température diminue. Le pic situé à hautes fréquences est le pic de Bose. Sa position ne dépend pas de la température. Autour du

minimum, χ′′

1(ω) est décrit par la relation [107] :

χ′′1(ω) = χ ′′ 1(min) a + b " b  ω ωmin a + a  ω ωmin −b# (1.19)

avec ωmin la position du minimum : ωmin ∼ (T − TM CT)1/(2a) et a et b les exposants

décrivant la décroisssance en deux temps de la fonction de corrélation C(t). Lunkenhei-

mer et al [23] ont montré que pour le glycérol, a = 0.325, b = 0.63 et TM CT = 262K.

Remarquons que si dans la gamme de température T > TM CT la décroissance de χ

′′

1(ω) entre fα et fβ est bien décrite par une seule loi de puissance caractérisée par l’exposant b,

en-dessous de TM CT, la situation est plus confuse en raison de l’émergence de processus

de relaxation lents et de faibles amplitudes (aile ou pic β) non décrits par la théorie de couplage de modes. Notons enfin que, dans le régime α, la théorie de couplage de modes prédit que C(t) et χ′′1(ω) doivent vérifier le principe de superposition temps-température. La théorie de couplage de modes prédit un blocage de la dynamique à la température

TM CT i.e. une divergence du temps de relaxation structural τα à TM CT [25] :

τα(T ) = c(T − TM CT)−γ (1.20)

où c est un préfacteur indépendant de T près de TM CT et γ > 1.0 un exposant qui

ne dépend pas du choix de la fonction de corrélation donnant accès à τα. Notons que

γ = 1/(2a) + 1/(2b). A la température TM CT, le liquide surfondu devrait présenter

une transition de phase (dynamique) entre un état ergodique et un état non-ergodique, sans aucune singularité dans la structure ou la thermodynamique du liquide. C’est la transition vitreuse idéale. Expérimentalement, cette divergence de τα à TM CT > Tg n’est

pas observée. La figure 1.31 représente la dépendance en température de fα pour du

glycérol surfondu. Si à haute température, fα suit la loi de puissance prédite par la

théorie de couplage de modes, près de Tg fα quitte cette loi : sa décroissance semble être

mieux décrite par une loi de type Volgel-Fulcher-Tamman indiquant une divergence de τα à T0 < Tg.

Bilan En raison de ses nombreuses prédictions détaillées, la théorie de couplage de modes a fait l’objet d’un grand nombre de tests expérimentaux et numériques. Ainsi, il a été montré qu’elle permet une description relativement satisfaisante de la mise en place

Figure1.31 – Etude de la décroissance de la fréquence de relaxation fα du glycérol. Ces figures présentent la dépendance en température de fα tirée des mesures de la partie imaginaire de la susceptibilité diélectrique linéaire χ′′1(ω) (ronds creux). Sur la figure a, nous pouvons observer que pour T > T∗, la décroissance de fαest bien décrite par une loi d’Arrhénius (droite en pointillée notée ARR) tandis que pour T < T∗ un ajustement des données par une loi de type Vogel-Fulcher-Tamman semble préférable (ligne continue notée VFT). La figure b montre qu’à haute température fα suit la loi de puissance prédite par la théorie de couplage de modes (ligne continue notée MCT). D’après Lunkenheimer et al [7].

du ralentissement visqueux dans la zone où la température T > 1.3Tg. La théorie de cou-

plages de modes prédit l’existence d’une divergence du temps de relaxation structural τα

des liquides surfondus à une température critique TM CT située au-dessus de la tempéra-

ture de transition vitreuse. Expérimentalement, cette divergence n’est pas observée : la

singularité est « évitée ». TM CT serait donc une température de crossover supérieure à

Tg [96], correspondant à un temps de relaxation de l’ordre de 10−9s, séparant un régime

décrit par la théorie de couplage de modes (T > TM CT) et un régime dominé par des

mécanismes de relaxation supplémentaires (T < TM CT) tels que les processus activés

qui ne peuvent être décrits par cette théorie. Retenons donc que la théorie de couplages de modes permet de donner une description quantitative de la dynamique des liquides surfondus modérement visqueux.