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Le scénario des hétérogénéités dynamiques

1.2 L’état liquide surfondu

1.2.2 Hétérogénéité de la dynamique

1.2.2.2 Le scénario des hétérogénéités dynamiques

Pour expliciter la phénoménologie de la transition vitreuse, nous pouvons supposer

qu’il existe une longueur de corrélation dynamique ξdyn dont la taille augmenterait à

mesure que la température diminuerait et que la distribution des temps de relaxation est spatialement hétérogène. Ces deux hypothèses constituent les briques de base du scénario des hétérogénéités dynamiques. Comme nous l’avons vu, de nombreuses obser- vations expérimentales suggèrent l’existence d’une hétérogénéité spatiale et temporelle de la dynamique des liquides surfondus. Notons que cette hétérogénéité de la dynamique se manifeste également de manière indirecte par le découplage de certains temps de re- laxation du système dans le régime surfondu. Ainsi, pour les liquides de fragilité m > 70, la relation de Stockes-Einstein n’est plus vérifiée près de Tg [31].

Si de nombreuses observations expérimentales suggèrent l’existence d’hétérogénéités dynamiques, l’origine, la nature, la taille et l’évolution avec la température de ces hé- térogénéités dynamiques sont encore mal comprises. Celà provient du fait qu’il est très difficile de visualiser le déplacement individuel des molécules dans les liquides surfondus tel que le glycérol.

L’apport des simulations numériques Cette difficulté est inexistante dans les si- mulations numériques. En effet, ces dernières permettent de calculer les trajectoires des particules du système étudié et ont largement contribué à la mise en évidence des hété- rogénéités dynamiques. Citons par exemple les travaux de Berthier et al [47] présentés sur la figure 1.13a. Ces derniers ont observé le déplacement individuel de particules de type Lennard-Jones dans un mélange binaire à deux dimensions. Cette simulation nu- mérique révèle que la dynamique de deux particules spatialement proches peut être très différente. Nous observons des zones où ces particules sont particulièrement mobiles et d’autres où elles ne bougent que très peu. De plus, l’étude de l’évolution temporelle de ces zones révèle que les zones rapides vont devenir lentes, et vice-versa. La dynamique est donc spatialement et temporellement hétérogène. Remarquons toutefois que les si- mulations numériques ne permettent pas d’étudier les hétérogénéités dynamiques à des

températures proches de Tg en raison des grands temps de calculs nécessaires.

L’apport des colloïdes et des granulaires Les hétérogénéités dynamiques peuvent être visualisées, près de de la transition vitreuse, par des méthodes optiques sur des matériaux composés de grosses particules (au moins plusieurs centaines de nanomètres de diamètre) comme les colloïdes ou les granulaires. Notons toutefois que si ces matériaux présentent une phénoménologie analogue aux verres structuraux, le paramètre qui pilote la transition n’est pas, en général, la température T mais la fraction volumique φ. De

ce fait, la dynamique ralentit quand la fraction volumique augmente vers φg. Weeks et

al [21] ont réalisé une expérience de microscopie confocale sur une sollution colloïdale stériquement stabilisée dans l’état surfondu. Celà leur a permis de visualiser en temps réel le déplacement des particules dans l’espace réel à trois dimensions (confère figure 1.13b). Ils ont ainsi pu confirmer les résultats des simulations numériques en montrant que la dynamique était spatialement et temporellement hétérogène. De plus, ils ont

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 (a) (b)

Figure 1.13 – Mise en évidence des hétérogénéités dynamiques. La figure a présente

le résultat d’une simulation numérique réalisée sur un mélange binaire de particules de type Lennard-Jones. Les flèches montrent le déplacement des particules sur une durée de l’ordre de 10τα. Cette répartition spatialement inhomogène des fluctuations temporelles est un exemple d’hétérogénéités dynamiques. D’après Berthier et al [47]. La figure b représente la visualisation directe des hétérogénéités dynamiques dans une solution colloïdale par spectroscopie confocale. Les particules ont un rayon de 1.18µm et une polydispersité d’environ 5%. Pour φ ≈ 0.56, les particules les plus rapides, dont le diamètre a été grossi, forment des clusters. Le cluster rouge contient 69 particules et le bleu en contient 50. D’après Weeks et al [21].

Figure 1.14 – Représentation schématique des hétérogénéités dynamiques dans un liquide surfondu. Les zones de réarrangements coopératifs ont une extension égale à ξdyn en moyenne et un temps de vie égal à τlocal. Les hétérogénéités dynamiques ne sont pas statiques, elles évoluent au cours du temps. Ainsi, une région plus rapide que la moyenne deviendra plus tard à dynamique plus lente, et son temps de relaxation tendra en moyenne vers le temps de relaxation moyen du système. Un raisonnement similaire fonctionne pour les régions les plus lentes. D’après [15].

montré que les particules les plus rapides forment des clusters dont la taille augmente avec la fraction volumique. Pour φ ≈ 0.56, c’est à dire près de φg, les plus grands clusters contiennent environ 70 particules. Enfin, cette expérience a permis de montrer qu’au sein des clusters les mouvements des particules sont corrélés : les particules appartenant à un même cluster se déplacent toutes dans des directions parallèles.

Concept d’hétérogénéité dynamique En résumé, ce concept est basé sur l’existence

de zones de réarrangement coopératifs de dimension moyenne ξdynà l’intérieur desquelles

toutes les molécules relaxent avec le même temps τlocal. Chaque zone a un temps de

relaxation propre bien défini et différent de celui des régions voisines, et ceci pendant un certain temps avant une évolution vers une nouvelle répartition des temps de relaxation dans le système. On peut ainsi définir des régions lentes ou rapides à un instant donné. Elles vont évoluer dans le temps et leurs positionnements dans l’espace varient comme le symbolise la figure 1.14. Notons que ce concept d’hétérogénéités dynamiques présente le double avantage d’être indépendant de toute description théorique de la transition vitreuse et d’offrir des outils quantitatifs expérimentalement accessibles (voir section 1.5). C’est pourquoi l’existence des hétérogénéités dynamiques et l’intérêt de ce concept pour comprendre la transition vitreuse font l’objet d’un des rares consensus assez global de la communauté travaillant sur la transition vitreuse.

Durée de vie et taille des hétérogénéités dynamiques Dans les liquides surfon- dus, il n’est pas possible de visualiser directement les hétérogénéités dynamiques. C’est pourquoi la question de leur durée de vie et de leur taille n’est pas entièrement résolue.

Durée de vie A priori, il semble naturel de penser que la durée de vie des hé- térogénéités dynamiques est comparable au temps de relaxation structural du système

τα. Toutefois, diverses expériences et simulations numériques ont montré que ce n’était pas toujours le cas. Ainsi, si d’après les expériences de Non resonant Hole Burning la

durée de vie des hétérogénéités dynamiques est de l’ordre de τα ou de 3τα [31], des

expériences de blanchiment photochimique [48] menées sur des systèmes très proches de leur température de transition vitreuse ont montré que le rapport du temps de vie de l’hétérogénéité dynamique au temps de relaxation augmentait de plusieurs décades

à l’approche de Tg. De plus, des simulations numériques ont montré que le temps de

vie des hétérogénéités dynamiques augmentent par rapport à τα lorsqu’on s’approche

de Tg mais que cette augmentation est moins importante que celle déduite des expé-

riences de blanchiment photochimique [49]. C’est pourquoi la question du temps de vie des hétérogénéités dynamiques est sujette à discussion.

Taille Les premières estimations de la taille des hétérogénéités dynamiques ont été réalisées via des mesures de Résonance Magnétique Nucléaire multi-dimensionnelle [37, 38]. Selon ces expériences, la taille typique des hétérogénéités dynamiques augmen- terait quand la température diminuerait et serait de l’ordre de quelques nanomètres

(typiquement 3 à 10 diamètres moléculaires) à Tg. Ainsi, pour le glycérol ξdyn serait de

l’ordre de 1nm à T ≈ Tg+ 10K [38]. Cependant, l’estimation de ces longueurs via des

techniques de RMN reste très indirecte et ne permet pas de déterminer avec précision

la dépendance en température de la longueur de corrélation dynamique ξdyn car dans ce

type d’expérience il est très difficile de faire varier la température. Dans la section 1.5, nous présenterons deux méthodes récentes permettant d’avoir accès à la dépendance en

température de ξdyn via des mesures de spectroscopie diélectrique linéaire et non linéaire.